Tous ensemble, tous ensemble…
Ce n’était pas une manifestation de plus mais une simple conférence de presse. Pourtant on a bien cru entendre, en filigrane des propos tenus, le célèbre mot d’ordre des lycéens, syndicats et autres gilets jaunes, qui résonne lorsqu’ils trépignent sur le pavé : « tous ensemble, tous ensemble ! ». Avec un peu d’audace, ils auraient même pu ajouter « on ne lâchera rien ». Les élus Marseillais sont ainsi, lorsque leur maire les convoque pour affirmer aux médias que le conseil municipal de ce lundi 10 décembre verrait leurs rangs serrés comme jamais. Une vraie unité, une seule voix, un seul objectif : « défendre cette cohésion » que des mauvais coucheurs voudraient lézardée. Il ne faut pas cependant avoir une très longue expérience de la vie phocéenne, pour constater que tout cela sonne creux et pire, faux. Jean-Claude Gaudin est dévasté ou plutôt désarçonné. Pour lui, et de tout temps, la politique c’était des hommes et des femmes qu’il adoubait avec une onctuosité cardinalesque, ou qu’il chahutait avec un plaisir gourmet. On passait par lui ou on trépassait par lui. Une rue, un quartier, des immeubles, des « gens » comme le dit un leader maximaliste, ont ouvert, avec la brutalité d’une tragédie, un dossier. Lui qui aime tant égrainer les délibérations à la vitesse d’un secrétaire général de mairie, a dû s’attarder sur des détails techniques, des lois, des circulaires, lui qui s’est toujours contenté des synthèses. L’heure n’est pas à ironiser, à taquiner, à agacer tel ou tel adversaire de gauche ou d’extrême droite, l’heure est à rendre des comptes et ils ne sont pas bons. Ce lundi, il y aura des dizaines de délibérations à expédier et des dizaines de manifestants dehors, autour de l’hémicycle, qu’on ne peut pas expédier d’un revers de main. Le maire peut compter – enfin – sur cette majorité gazeuse qui a failli se dissoudre dans le mauvais air du temps. Il aura à ses côtés son premier adjoint Dominique Tian, condamné à quitter, comme lui la scène politique en 2020, pour une sombre affaire de fraude fiscale. Seront là aussi ses plus fidèles, consternés par son désarroi et ses maladresses lors des premières heures du drame de la rue d’Aubagne. Et présents enfin, tous ceux qui feront semblant de le soutenir en évitant soigneusement que cela s’entende dans l’opinion. Sur le fronton de la mairie de Marseille on peut voir le buste de Louis XIV. En son temps, après avoir maté les Marseillais, il était descendu lors d’une visite dans la ville de son cheval pour leur témoigner son respect. Il n’est pas certain que Jean-Claude Gaudin puisse faire aujourd’hui le même geste.
De la confusion naît le chaos
« La perfection des moyens et la confusion des buts semblent caractériser notre époque ». Ainsi prophétisait l’inventeur de la théorie de la relativité. Albert Einstein pointait du doigt une des caractéristiques de notre nouveau siècle. Les buts à atteindre sont souvent partagés, mais faute d’une approche sérieuse, ils débouchent sur une impasse, une chaotique confusion. On a beaucoup parlé ces dernières heures de convergence. A Marseille et en Provence notamment où l’on est prompt à dégainer son étendard partisan. A y regarder de près, on peut s’en amuser, ou pas. Force Ouvrière a ainsi poussé les feux chez les territoriaux, pour dénoncer le « flicage » des horaires ou « le stress » au travail et, cerise sur le gâteau demandé dans certains secteurs, le renforcement des effectifs. Les Marseillais n’en sourient même plus et plus personne n’a envie de plaisanter lorsqu’un audacieux devant le petit noir du matin déclare qu’il « travaille à la mairie ». Un élu nous confiait que cette surenchère démontrait surtout que FO avait perdu, auprès des salariés de la grande maison, sa prédominance. Elle lui permettait hier encore d’avoir un œil sur l’embauche, l’avancement et autres petits avantages entre amis. Confusion encore lorsque les étudiants ou les lycéens tentent d’accrocher leurs wagons au convoi des gilets jaunes. Les uns revendiquent des droits d’inscription a minima pour les étudiants étrangers et tout particulièrement ceux issus de pays en souffrance. Les autres craignent qu’une sélection inavouable se niche derrière Parcours sup ou la réforme du bac. Cet égalitarisme revendiqué est inaudible du côté de ceux qui ont mis la France cul par-dessus tête. La convergence ne peut que masquer l’instrumentalisation, et les « cires molles », comme le disait naguère le général Vanuxem, ne feront que nourrir la confusion, en se mêlant à ceux qui ne les regardent pas.
La Barque est un peu chargée
Pour quelques observateurs pressés le péage autoroutier de La Barque près d’Aix est un parfait échantillon de ceux que sont les gilets jaunes. A y regarder de près – c’est-à-dire en feuilletant les réseaux sociaux – on peut être dubitatif. On a vu là-bas revêtu du fameux gilet des élus du Pays d’Aix et même revendiquant, sa solidarité, un député honoraire, Christian Kert. Il a été battu par un « marcheur », Mohamed Laqhila d’un cheveu (50,95%) aux dernières législatives. Ce fin spécialiste de Mirabeau devrait relire l’une des maximes du tribun : « Une mémoire active et fidèle double la vie ». Kert qui fut longtemps un modéré et qui a siégé près de 20 ans au Palais Bourbon, sait bien que le mouvement des Gilets Jaunes a nourri sa colère de décennies de frustration. Y compris celles où la majorité à laquelle il a appartenu, filait droit, sans se préoccuper de ceux qui restaient au bord de la route et qui stationnent désormais aux péages pour tendre l’addition. Dans cette même barque, on a vu des étudiants venant, si ce n’est humer l’air des cimes au moins partager l’odeur de l’asphalte. On leur avait tant parlé dans leurs livres d’Histoire du « peuple », qu’ils étaient convaincus de le rencontrer là. Il y était certes, mais en partie seulement… Il y avait ainsi ce militaire qui, commentant le saccage de l’Arc de Triomphe, promettait « le poteau » aux casseurs. Et encore ces puissantes cylindrées saluant d’une main les occupants qui avaient libéré la route et offraient un passage gratuit. Le réchauffement climatique pourrait attendre.
Comme une drôle d’impression
Il y a quelques mois un ami qui a voté pour Mélenchon s’interrogeait sur le possible enracinement du leader des Insoumis à Marseille. Il était convaincu que la ville pourrait le suivre, s’il lui prenait l’envie de viser le fauteuil de maire. Le même confiait ces dernières heures qu’il avait été peut-être un peu rapide dans son analyse. Mélenchon a été élu dans la 4ème circonscription avec près de 60% de voix, mais faut-il le rappeler avec une participation d’un peu plus de 35%. Cette circonscription a été un fief communiste puis socialiste, pendant 30 ans (Hermier, Dufour, Dutoit pour le PC puis Jibrayel et Mennucci pour le PS). Et Mélenchon n’a eu au second tour qu’à franchir l’obstacle Corinne Versini, qui n’aura fait qu’un stage de quelques mois à LREM, dans une sphère politique qu’elle n’avait jamais réellement foulée. Ce samedi M. Mélenchon qui a gagné avec une abstention record dans la 4ème, estimait que le président de la République avait été élu par défaut. Et il pointait l’abstention qui selon lui en disait long sur la réalité de l’opinion en 2017. Il demande une dissolution de l’Assemblée nationale pour tenir compte d’une revendication parmi tant d’autres des gilets jaunes. Il constate sans sourciller que le mouvement est un conglomérat un peu étrange mais, contrairement à la CGT qui constate l’impossibilité d’une convergence, il estime dans un bel exercice de cynisme appliqué que le mouvement va dans le même sens. Marseille et la quatrième circonscription n’ont dans son raisonnement que la part du pauvre. Il convient d’abord de replacer sa personne au centre du monde. A cette vitesse-là et cela fera plaisir post mortem à Salvador Dali, Mélenchon va se présenter à Perpignan. Avant cela, il devra arpenter la Canebière et tenter d’expliquer aux propriétaires de la boutique de l’OM et aux autres magasins pillés sur cette artère qu’il s’agissait des conséquences d’une « destituante ». Des finesses sémantiques qui lui vaudront ici un gros carton rouge.
Non ce n’est pas une fiction
« 48 heures chrono », « acte 4 », « alerte jaune » nos quotidiens hésitent à raconter les événements actuels sur le ton du feuilleton TV, du théâtre ou du cinéma. En d’autres mots pendant le désastre politique, social et économique il est important d’accrocher le chaland. Certes on verra dans cette pratique la recommandation de Françoise Giroud, l’une des grandes patronnes de l’Express qui disait à ses journalistes : « ce n’est pas la peine d’avoir du talent à la cinquième ligne si le lecteur ne dépasse pas la troisième ». Pour autant et France Info nous a livré un excellent débat sur la question ce vendredi, les mots dans les jours que traversent la France pèsent de tout leur poids et jouent un rôle majeur dans une confrontation verbale qui part dans tous les sens. Quelques-uns revisitent l’Histoire et, de manière sélective, choisissent les pages qui servent leur démonstration : on est prié de croire que nous sommes en 1789. D’autres font dans la sociologie à réaction imposant sans le moindre surplomb leurs analyses à géométrie variable : on vous dit qu’il s’agit de la France péri-urbaine face à la France des villes. Quelques-uns qui n’avaient pas vu venir la fin du bloc soviétique affirment que Karl Marx l’avait prédit et que… taratata. On est, devant tant de certitudes assises, entre la fiction et l’affliction.
Il faut tourner la page
La librairie Maupetit fête son siècle à Marseille sur la Canebière. La librairie de La Provence ferme ses portes sur le cours Mirabeau à Aix. On se réjouit du bel âge de la Marseillaise, on pleure la mort de l’Aixoise. Le livre recule ou plus exactement les lieux où l’on pouvait en silence partager le plaisir de le feuilleter disparaissent. D’aucuns affirmeront que c’est inscrit dans la logique des choses. A moins que l’on ne résiste. Comme dans les Bouches-du-Rhône où un ouvrage sur la laïcité gagne du terrain ville après ville. A Istres le maire, François Bernardini, vient d’en doter les écoliers et ses élus. Une petite lueur d’espoir donc. Il faudrait désormais engager tous les territoires à se livrer ainsi. On écrit que Marseille, après Aix, pourrait se doter au Parc Chanot d’une grande salle dédiée aux sports et aux spectacles. Est-ce bien l’urgence ?