Tous les chemins mènent aux Roms
L’opposition, déjà maigrichonne, s’est déchirée à Aix à propos d’un camp de Roms. Me Edouard Baldo s’est vu reprocher par ses camarades au premier rang desquels Gaëlle Lenfant d’avoir comparé, avec d’autres, cet espace où survivent quelques miséreux à une « déchetterie ». Maryse Joissains, la maire, a d’ailleurs repris à son compte cette terminologie, ce qui démontre s’il en était besoin le mépris qu’inspire à beaucoup ce peuple d’immigrés de l’Est. Le symbolique rattrape parfois le réel. Car ces pauvres gens tenus pour des moins que rien dans la cité du Roi René sont bien utiles à Marseille où ils apportent leur contribution modeste mais réelle à une des carences lourdes de la ville, le tri des déchets. Qui n’a pas remarqué, à chaque heure de la journée, armé d’un pauvre fil de fer travaillé en torsade, un de ces Roms s’appliquant à faire le tri dans les poubelles de la ville la moins écologique de France. Accusés de vivre dans une déchetterie à Aix. Autorisés à trier les déchets à Marseille. Les Roms sont décidément les damnés de cette terre.
La faute à personne
Il n’est plus question de faire silence devant le danger de mort qui guette l’hôpital public à Marseille. Chacun y va de son explication avec la même propension à rejeter la faute sur l’autre. Du coup, les communes qui découvrent qu’elles ont un besoin impérieux de ces services sont prêtes à mettre la main à la poche. Et puis, dans un même élan solidaire qui va du PC à En Marche, on en appelle à l’État et à son pouvoir central pour résoudre d’urgence une situation catastrophique dans laquelle sa responsabilité est secondaire. Les rentes de situation, l’absentéisme outrancier, le manque de gestion rationnelle, tout est passé par pertes et profits. On espère que l’État providence tant décrié apporte les financements massifs que réclame une machine kafkaïenne selon les plus optimistes des acteurs de ce système dispendieux. En attendant des coupes claires sont annoncées et il n’est pas sûr qu’elles touchent juste. On craint ainsi le pire pour la maternité de l’hôpital Nord. Elle est située dans les quartiers où les familles en ont un impérieux besoin. Il y a fort à parier que l’argent ne suffira pas à soigner les hôpitaux de Marseille. La machine à penser devra se mettre en marche avec celle à dépenser.
Cachez ces seins…
M. Paul Cézanne était regardé de travers en son temps par les bourgeois Aixois. Outre son caractère peu aimable, on lui reprochait ses mauvaises mœurs même si ses censeurs fréquentaient les mêmes dames. Lui au moins avait le mérite de les magnifier en belles baigneuses. Les temps étaient à la tartufferie. Ceux qui s’annoncent sont chargés d’un puritanisme qui risque de faire quelques victimes. Dans une chronique de Libération, Luc Le Vaillant s’inquiète de voir s’installer l’interdit à tout bout de champ artistique, même s’il ne conteste pas le fondement de quelques sinistres récentes affaires de mœurs. Les mauvaises réputations se répandent à la vitesse des informations fausses ou avérées sur les réseaux sociaux. Les artistes qui ont sculpté des cupidons grassouillets sur les plafonds des hôtels particuliers d’Aix ou de Marseille seront rétrospectivement suspects de mœurs méprisables. On va devoir regarder de très près certaines œuvres, du musée Granet au Mucem, en passant par quelques antiquités arlésiennes. Il n’est pas sûr que la copie du David qui affiche son sexe et ses fesses au bas du second Prado ne soit pas priée d’aller se rhabiller. Quant aux supporters de l’OM, ils ont le plus urgent intérêt à rengainer le verbe qui suit leur fameux « ho hisse… ».
Ceux qui l’aimaient prenaient le train
« La nuit je mens. Je prends des trains à travers la plaine. La nuit je mens. Je m’en lave les mains. J’ai dans les bottes des montagnes de questions ». La magnifique chanson de Bashung restituait à la virgule près l’atmosphère singulière des trains de nuit. Ils vont disparaître. Pour des raisons économiques bien sûr. Mais avant tout faute de passagers. La prochaine victime sera le Paris-Briançon. Cette ligne incroyable qui menait des berges de la Seine au pied des Alpes. Qui permettait de rejoindre une cabine alors que la lumière abandonnait la grande ville et d’en sortir alors que le soleil se frayait un chemin entre les montagnes. Les nostalgiques pleurent. Ils font penser à ces lecteurs qui regrettent la fin des journaux papier mais qui ne les achètent pas non plus pour contribuer à leur survie. Oui, le TGV a raccourci les distances mais il a également mis à distance toutes les émotions que les tortillards ont procuré des décennies durant à des voyageurs avec ou sans bagage. L’unité de temps, qui permettait à quelques plumes d’imaginer des romans à suspense dans ces trains uniques par leur atmosphère si particulière, fait partie des histoires anciennes. Qu’on ne raconte plus à la veillée, qui elle aussi a disparu.
Cause nationale…
Ça ne change rien mais on est moins seul. On commence à comprendre que la mort des centres villes était un phénomène prévisible. Une étude, des livres, de nombreuses émissions de radio ou de télévision se penchent depuis quelques jours sur la question. Le même constat et la même analyse des causes à quelques nuances près. Oui, on a favorisé l’émergence de pôles commerciaux en périphérie. Oui, les consommateurs s’y sont précipités pour des questions de prix, de stationnement gratuit, de marketing efficace. Oui encore, il sera très compliqué de revenir en arrière. Comment imaginer à Marseille que des périmètres comme La Valentine ou Plan de campagne cessent brutalement de prospérer ? Comment concevoir que des espaces comme celui du Vélodrome ou des Terrasses du port perdent brutalement leur attractivité. Il faudra plus que des bonnes intentions ou une Canebière livrée aux piétons une fois par mois, pour inverser le flot des consommateurs. Les rues Paradis, St-Fé, de Rome, République n’ont pas fini de souffrir. Et le tourisme ne compensera pas l’hémorragie qui a vidé le cœur de la ville. Les bouchons sont plus spectaculaires désormais à la sortie de la ville que sur les grandes artères qui convergent vers le Vieux-Port et ce n’est pas bon signe.
Service bien compris
Vous entrez dans le magasin. Un décor sobre mais élégamment soigné. Le maître des lieux vous laisse prendre vos marques visuelles et olfactives. Il intervient alors tout en courtoisie. Il est fromager et vient d’ouvrir boutique dans ce petit quartier réputé bobo au pied de Notre-Dame de la Garde. Il connait son métier mais mieux encore ses produits. Il ne vous force pas la main. Suggère et investigue vos desiderata. Un vrai bonheur et une première conclusion. Quand le service est à ce point efficace, consommer est une évidence. On traverse le boulevard et on s’attarde sur la vitrine prometteuse d’une galerie d’art. Là encore la discussion avec celui qui l’anime est un moment choisi. Il est graffeur et glisse parfois, sans avoir l’air d’y toucher, quelques messages subliminaux dans ses fresques. Il n’est pas non plus opposé – comme vous – aux tags qu’il explique dans un enthousiasme qui mêle considérations socio-politiques et approche purement esthétique. Vous n’êtes pas forcément convaincus mais séduits par l’éloquente démonstration. On vous annonce aussi pour votre quartier d’autres changements à venir. Un bar à chats où on peut consommer au milieu de félins indolents. Un restaurant bio qui viendra en renfort des deux qui défendent déjà ces produits. Les commerçants ont aussi posé des oliviers qui accompagnent, tout au long des trottoirs, vos déambulations. Si les services de nettoiement et quelques inciviques se mettent au diapason, des quartiers comme Vauban pourront servir d’exemple.