Il n’avait rien oublié
On aura tout dit sur Charles Aznavour, particulièrement à Marseille. Rien de plus normal dans cette « capitale de l’Arménie française » pour qui il a porté si longtemps la souffrance, mais aussi la fierté. Il était l’exemple de ce brassage multiculturel qui repousse, dans les oubliettes de l’histoire, tous les tenants de la franchouillardise et des théories raciales. Avec sa gueule de métèque il a démontré que tous les mots avaient du charme, lorsqu’on savait les ciseler entre deux noires, une blanche et un soupir. Aznavour, que j’avais rencontré en compagnie d’Enrico Macias, savait que le chemin avait été très long et c’est sans doute pour cela qu’il souhaitait que sa route atteigne le siècle. Il parlait alors devant un demi-queue immaculé, d’un album à venir, mais aussi, avec sa fierté d’ancien pauvre, de ces cigares qu’il dénichait à Genève pour les fumer en Provence. Un journaliste marseillais, comme tant d’autres après, l’avait éreinté à ses débuts. Il s’en souvenait. Son entêtement à accéder au haut de l’affiche portait la rage de répondre à ces scribouillards qui ne l’ont pas vu venir. On dit aussi que sa dernière prestation au Dôme fut marquée par de profonds silences, comme si l’absence, à la manière des brumes d’automne en Camargue, avait envahi le fleuve de sa pensée. Il était sec pourtant comme les oliviers qu’il avait religieusement cultivés à Mouriès, jusqu’à décrocher le mérite agricole. Yves Moraine maire des 6/8 l’a promis. Il y aura sans doute à Marseille une rue, une avenue, un boulevard pour porter son nom, mais c’est sa voix qui nous dira le chemin encore longtemps pour traverser nos joies ou nos emmerdes. Et c’est bien aussi qu’on ait décidé que le Silo porte désormais son nom.
L’Aquarius et les bons sentiments
Il y avait, sur le Vieux Port ce samedi (notre photo), des socialistes pour venir réclamer un pavillon français pour l’Aquarius. Le navire affrété par l’association humanitaire SOS Méditerranée (1) a besoin d’un port d’attache. Les militants à la rose, répétaient à l’envi, que Marseille a toujours été une terre d’accueil pour les réfugiés du monde entier. Les faits étant têtus, il faut bien s’inscrire en faux en particulier si l’on revisite l’histoire des grands élus socialistes marseillais. Le 21 octobre 1923 un certain Siméon Flaissières, un des piliers de la SFIO marseillaise et par ailleurs maire de la ville, parlait ainsi des Arméniens dans le Petit Provençal qui révélait une lettre de l’élu au préfet. «L’on annonce que 40 000 de ces hôtes sont en route vers nous, ce qui revient à dire que la variole, le typhus et la peste se dirigent vers nous, s’ils n’y sont pas déjà en germes pullulants depuis l’arrivée des premiers de ces immigrants, dénués de tout, réfractaires aux mœurs occidentales, rebelles à toute mesure d’hygiène, immobilisés dans leur indolence résignée, passive, ancestrale » et d’ajouter pour faire bonne mesure « La population de Marseille réclame du gouvernement qu’il interdise vigoureusement l’entrée des ports français à ces immigrés et qu’il rapatrie sans délai ces lamentables troupeaux humains, gros danger public pour le pays tout entier. » (2)
Plus près de nous, en 1962, c’est un autre socialiste, Gaston Defferre qui s’en prenait dans Paris Presse l’Intransigeant à une nouvelle migration, celle des rapatriés d’Algérie. Des enfants des Pieds Noirs, Defferre disait : « Pas question de les inscrire à l’école, car il n’y a déjà pas assez de place pour les petits Marseillais. » et de menacer leurs parents : « Au début, le Marseillais était ému par l’arrivée de ces pauvres gens, mais bien vite les “pieds-noirs” ont voulu agir comme ils le faisaient en Algérie, quand ils donnaient des coups de pied aux fesses aux Arabes. Alors les Marseillais se sont rebiffés. Mais, vous-même, regardez en ville : toutes les voitures immatriculées en Algérie sont en infraction… Si les “pieds-noirs” veulent nous chatouiller le bout du nez, ils verront comment mes hommes savent se châtaigner… N’oubliez pas que j’ai avec moi une majorité de dockers et de chauffeurs de taxi ! ». Mais tout ça bien sûr c’était avant…
1: Les locaux de SOS Méditerranée ont été envahis ce vendredi par des « identitaires ». 2 : Merci à François Thomazeau d’avoir exhumé ce document sur Facebook
Soumis à l’info
A défaut d’être révolutionnaire ni nouvelle, la méthode est efficace. « L’agit-prop » ou agitation-propagande est une vielle recette de la LCR (aujourd’hui NPA). Alexis Corbière l’ombre portée de Jean-Luc Mélenchon à Paris raconte comment avec son épouse Rachel Guarido, chroniqueuse chez Ardisson, il décrypte dès six heures du matin, les infos pour aussitôt tweeter et se faire, dans la foulée, inviter, par les chaînes d’info en continu à la recherche de « bons clients ». On voit ainsi, jusqu’à saturation, Corbière intervenir sur tout, quitte à ignorer le début du commencement d’une problématique. Même méthode pour le leader maximo des Insoumis à Marseille, sauf qu’il est plus difficile ici d’attirer les télés. Qu’importe lorsqu’on n’est pas au palais Bourbon, on bat le pavé marseillais en dénichant quelques drames sociaux, le temps d’une prise de parole et de quelques photos. Che Guevara conseillait ainsi ses camarades « Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde ». Corbière et Mélenchon ajouteraient… et n’oubliez pas de prévenir la presse !
Osez osez, Sabine
« L’armateur le suivit des yeux en souriant, jusqu’au bord, le vit sauter sur les dalles du quai, et se perdre aussitôt au milieu de la foule bariolée, qui, de cinq heures du matin à neuf heures du soir, encombre cette fameuse rue de La Canebière, dont les Phocéens modernes sont si fiers, qu’ils disent avec le plus grand sérieux du monde et avec cet accent qui donne tant de caractère à ce qu’ils disent : si Paris avait la Canebière, Paris serait un petit Marseille. » ainsi écrivait Alexandre Dumas (Le Comte de Montecristo) évoquant l’artère qu’Alibert a immortalisée dans sa chanson. Du coup après avoir parcouru fin septembre les quelques centaines de mètres réservés aux seuls piétons, on se dit que la maire de ce premier secteur, Sabine Bernasconi, devrait aller plus loin qu’un seul dimanche par mois. Se balader entre un groupe folklorique, un orchestre philarmonique, des rockers, (notre photo) déguster quelques gourmandises locales, feuilleter des bouquins, et se laisser glisser jusqu’au Vieux-Port pour aller siroter un petit noir, c’est un bonheur tranquille qu’on voudrait partager plus souvent. Allez, comme aurait pu le chanter Bashung « osez, osez, Sabine ! ».
Franchir la bosse des maths
Certains d’entre nous ont failli en perdre leur latin pour peu qu’il l’ait étudié. Lorsqu’en géométrie une craie à la main leur prof de maths leur a expliqué que « dans un plan une droite parallèle à l’un des côtés d’un triangle sectionne ce dernier en triangle semblable ». Il s’agissait du théorème de Thalès. Même chose quelques années plus tard lorsqu’en philo il fut question d’aborder partie de la sagesse socratique : « je sais que je ne sais rien ». Certes il y eu bien un acteur pour nous fredonner cette évidence, Jean Gabin qui assurait : « Maintenant je sais, je sais qu’on ne sait jamais ». Cela n’a pas fait de nous tous des académiciens, mais quelques-uns se sont ainsi sauvés de l’ignorance. Alors on se réjouit lorsque le rappeur marseillo-comorien, Soprano, s’engage dans la même démarche de simplification pédagogique. Il vient d’enregistrer sur l’application Study Tracks le fameux théorème et la question du bonheur. Le premier titre à l’adresse des collégiens le second pour les lycéens. Bravo et une palme académique à ce garçon décidément formidable.
L’une meurt, l’autre renait
Il va avoir fier allure le siège de La Poste à Marseille. Un chantier confié, une nouvelle fois, à l’architecte Roland Carta. Il offrira à 400 employés un cadre exceptionnel, fiché en cœur de ville, rue Barbusse. Trois patios, 600m2 de terrasse végétalisée, un restaurant d’entreprise feront notamment l’agrément de ce qui fut la Poste Colbert. Le bâtiment fut conçu et construit par un Aixois, Joseph Huot en 1889. Il fallait alors un palais digne de ce nom pour le télégraphe qui venait de révolutionner les techniques de la communication. En 2019 ce nouvel espace ouvrira ses portes mais le grand public n’y sera pas reçu. Il devra se contenter des bureaux qui n’en finissent pas d’agoniser ici et là dans la ville. A l’image de Lacédémone, dans le sixième arrondissement. Ouverte à mi-temps, les files s’y succèdent devant un des guichets qui n’est pas fermé et des employés tristes comme un jour sans pain. Ca respire le soin palliatif. On lit pourtant sur les murs délavés quelques belles promesses, « Développons l’avenir » ou encore « La confiance donne de l’avance ». Pour se remonter le moral on peut toujours aller se poster rue Barbusse pour admirer l’opulente nouvelle façade.