Lucie Taurines a les yeux qui pétillent. Elle dégage ce « petit je ne sais quoi », qui la rend attachante. Et tous ceux qui la côtoient ne vous diront pas le contraire. Lorsqu’elle parle de son amour pour la musique, pour les cultures d’ailleurs ou de sa folle passion pour le cinéma, impossible – ou presque – de l’arrêter. Une boule d’énergie et un tourbillon d’enthousiasme. Elle qui était d’une extrême timidité durant son enfance ne craint plus d’occuper le devant de la scène. C’est d’ailleurs sur les planches que la patronne de la Fiesta des Suds a su dompter cette peur. « Mon père m’a inscrit au théâtre à l’âge de 15 ans et je ne le remercierais jamais assez pour ça. Ça m’a aidée. Je me suis retrouvée avec des gens qui avaient le double de mon âge et qui étaient aussi flippés que moi sur scène. Je me suis dit que rien n’est impossible et que l’humour ça aide aussi à faire passer beaucoup de choses… », raconte Lucie dans ses bureaux du Dock. Là, elle est un peu comme à la maison. Il faut dire que ça fait 19 ans que Lucie fait partie de la grande famille Latinissimo.
La familia occupe d’ailleurs une place importante dans sa vie. Avec une mère d’origine italienne et maltaise et un père corse, Lucie revendique ses origines du sud. « Des insulaires et têtes dures », rigole-t-elle. Une enfance et une adolescence très rythmées dans « un milieu de pieds noirs, où l’on parle fort, où l’on fait des grands repas et où l’on s’invective parfois et où l’on joue du piano. Et des grands-parents très attachés à la musique et à la culture ». La chanson française est aussi omniprésente. Elle se souvient d’ailleurs d’un de ses tous premiers concerts. Elle avait 13 ans. « C’était notre cadeau d’anniversaire avec ma sœur. Nous sommes allées voir Michel Jonasz, à Vitrolles, parce que mes parents écoutaient ça. Ce soir-là, il y avait eu un énorme orage et il y avait des coupures pendant son concert et une de ses chansons commence par « on n’avait jamais vu un orage aussi fort, jamais vu autant d’éclairs…». Forcément, ça m’a marquée. Il y a pour moi des morceaux assez exceptionnels. Il fait partie du patrimoine de la chanson française, et n’est sans doute pas reconnu à la hauteur de ce qu’il devrait. Mais c’est sans doute mon attachement à l’enfance qui me fait dire ça », sourit-elle.
« Lucy in the sky with diamonds »
A Salon-de-Provence, dans la maison familiale, résonne les chansons de Michel Jonas, mais aussi celles de « Quatre garçons dans le vent ». Elle ne se prénomme pas Lucie par hasard. « Mon deuxième prénom c’est Michelle, mes parents adoraient les Beatles. Ma sœur s’appelle Cécile pour Cécile ma fille de Nougaro, et mon frère Maxime, pour Maxime le Forestier ». Et en prime, avec deux oncles musiciens, l’un jazzman et l’autre ayant un temps accompagné Bashung, la jeune mélomane développe très tôt une sensibilité artistique ; mais c’est d’abord vers le cinéma qu’elle s’oriente. « J’ai découvert le cinéma assez tôt aussi, je suis fan des émotions que ça procure ». Les premiers films du réalisateur Nanni Moretti, dans lesquels il campe un personnage mégalomane loufoque et sur lequel elle écrira un mémoire d’étude l’accompagnent une partie de son adolescence. « J’avais besoin de cette loufoquerie, cette folie ».
Entre l’émission culte Cinéma Cinémas diffusée dans les années 80-90 et les films « qui valaient le coup » qu’elle enregistrait sur VHS à 1 heure du matin, c’est sur pellicule qu’elle imagine s’imprimer sa carrière, malgré les difficiles équations de sa Tle S. « Quand on a 15 ans, on nous dit que c’est le meilleur bac. Je n’étais très bonne en physique et en chimie mais bizarrement le meilleur prof de français avait les S. Je me suis éclatée ; en langues étrangères aussi ». Bac S en poche, suivent une prépa, un IUT et Sciences Po à Aix-en-Provence, option information et communication « avec toujours cette idée de travailler dans la culture ».
L’appel du Sud
Après ça, c’est à Londres qu’elle effectue son premier stage. « J’assistais la programmatrice du cinéma de l’Institut français de Londres. Le job rêvé. Quand je débute l’entretien, on me dit : « là on va accueillir Daniel Auteuil et Juliette Binoche… », raconte-t-elle, avec le sourire. Après huit mois, forte de cette expérience et bilingue, Lucie décroche son premier vrai job au Festival du documentaire à Marseille, comme assistante de la coordinatrice de programmation. « J’étais pourtant persuadée que je ne trouverais rien à Marseille, alors je n’envoyais pas de CV. Et un jour, j’ai rencontré Florence Chastagnier, qui était la directrice de la Fiesta, car j’allais quand même démarcher pour me faire connaître. C’est elle qui m’a conseillé de postuler… et il se trouve qu’à ce moment-là il cherchait quelqu’un ». Une femme qui marquera la suite de sa vie professionnelle. « Je l’avais recroisé car Arte faisait une fête au Dock des Suds. Elle m’a confié une mission de trois mois. J’ai passé trois entretiens au sein de Latissimo en 1999 et je suis restée depuis. » C’était l’époque les emplois jeunes. « Ils duraient 5 ans et c’était super d’apprendre le métier ». Elle évolue au sein de la structure, d’abord à la direction de la communication de la Fiesta.
L’intermittence propre à ce milieu, l’emmène parallèlement à explorer sa passion pour le grand écran. Elle gère ainsi toute la logistique d’accueil de la presse internationale du Festival du film de Marrakech. Elle approche deux présidents de jury, Francis Ford Coppola ou encore Martin Scorsese… mais l’appel de la Fiesta est bien plus fort, « parce que je viens du Sud. Je ne suis pas régionaliste, mais je pense qu’il y a des affinités. Quand j’attendais toutes ces musiques, cette valorisation de la culture d’ailleurs, je me sentais chez moi, c’est encore le cas. Ici, on a tous des profils différents mais ce point commun d’avoir envie de produire un résultat pour le public. Si on est toujours là c’est pour ça. On a vécu plein de choses ensemble. »
Les flammes, les larmes et l’élan de solidarité
Des coups de cœur et des coups durs… comme la naissance pleine de promesses de Babel Med Music et son annulation, l’année dernière ou encore l’incendie dans la nuit du mardi 6 au 7 septembre 2005, à 40 jour du coup d’envoi de la Fiesta. Une nuit ancrée dans sa mémoire et qui fait partie de l’histoire des lieux. « Il y a eu un orage assez spectaculaire, et j’ai reçu ce soir-là un coup de fil d’une copine : « le Dock est en train de brûler ! » On s’est tous appelés et réunis autour de ce brasier, c’était assez impressionnant. Tous les médias étaient là et Bernard Aubert avait pris la parole pour dire que la Fiesta aurait bien lieu, et dans ma tête il n’était pas question qu’il en soit autrement ».
Cheb Mami, Lenine, Dupain, Salif Keita… les artistes programmés se produiront bien grâce à un « formidable élan de solidarité, des bureaux, des installations, des murs… on a reconstruit tout ça fissa, ça nous a donné une énergie folle… Il y a eu une prise de conscience à ce moment-là par la population que tout pouvait s’arrêter comme ça. La Fiesta est devenu un événement fédérateur qui dépasse l’équipe organisatrice. Sans prétention, la plupart des gens qui connaissent ce festival se le sont appropriés, on dit d’ailleurs on va faire la fiesta, c’est une expression populaire », sourit la directrice, impatiente de voir s’ouvrir la 27e édition qui renoue avec ses origines.
Le secret de Lucie
« Un retour aux sources au J4, avec une ouverture pleine de mélanges à l’image de la Fiesta, et la présence très importante du Massilia Sound System, Jeanne Added pour la deuxième fois et j’ai hyper hâte de la voir, Oumou Sangaré, programmé il y a 24 ans, ou encore Camille, artiste organique, qui fait partie des éléments, et elle sera ici entre la mer et le ciel. Je pressens que cet endroit va l’inspirer… » Et puis Hyphen Hyphen. Le groupe avait envoûté l’Estaque, en 2013, en se produisant sur une scène installée sur l’eau, dans le cadre des Rendez-vous du kiosque, dont Lucie s’occupait à l’époque. « Là, ils seront dans un lieu majestueux face à la mer ».
Dans l’effervescence des derniers jours, Lucie reste concentrée, mais ne s’interdit pas de penser à la future édition, qu’elle espère délicieusement gourmande, année de la gastronomie oblige. Une année qui fera date, puisqu’elle fêtera ses 20 ans au sein de l’association Latissimo. En attendant, samedi 6 octobre, Lucie Taurines a célébré un autre anniversaire. Le sien. 45 ans et pas une ride de plus. Son secret ? En réalité, tout le monde le connaît. Il n’y a pas d’âge pour faire… la Fiesta !