Il y a des sourires qui en disent long. Ceux affichés par Michel L’Hour (directeur du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines, Drassm) et Oussama Khatib (chercheur à l’université de Stanford) témoignent de l’exploit qui a été réalisé. Les deux hommes sont à l’origine d’un projet un peu fou, mais qui a finalement vu le jour : construire un robot humanoïde capable d’explorer les fonds inaccessibles à l’homme. « Nous avons imaginé ce projet il y quatre ans, explique Michel L’Hour. Oussama m’avait parlé d’une étrange machine qu’il était en train de mettre au point, en Californie. Nous avons alors décidé de nous associer. Pendant ces quatre années, nous avons défini notre propre cahier des charges, contacté des ingénieurs, dressé des études… Le résultat, c’est cet incroyable robot : Ocean One. »
Une prouesse technologique qui vient à peine de confirmer les espoirs fondées en elle. Car si Ocean One a fait son premier bain en juillet 2015, l’expérimentation grandeur nature n’a eu lieu qu’il y a deux semaines. Embarqué à bord du André Malraux, le navire de recherche du Drassm, le robot a été lâché dans les eaux de la côte toulonnaise. Sa mission : explorer l’épave de la Lune, un vaisseau de guerre ayant appartenu à Louis XIV et qui a coulé en novembre 1664. Figée à plus de 100 mètres de profondeur, l’épave n’a connu qu’une brève campagne de fouille en 2012. Les contraintes liées à l’éloignement de l’épave rendaient impossible une expédition prolongée. L’expérimentation d’Ocean One était donc doublement importante. « On était si angoissé au moment de larguer le robot qu’on n’avait plus aucun poil de sec ! s’amuse Michel L’Hour. Un peu comme si on avait été à la place d’Ocean One. »
La délicatesse d’un archéologue grâce à la « haptic interaction »
Se mettre à la place du robot, c’était justement l’objectif poursuivi par le roboticien Oussama Khatib. « Nous étions face à un grand défi, explique-t-il. Il nous fallait créer un robot capable de manier des objets extrêmement fragiles. Pour ce faire, nous avons décidé de le doter d’une technologie que j’ai développé avec mes amis chercheurs de Stanford : la haptic interaction. » La haptic interaction est un procédé technique révolutionnaire. Grâce à des capteurs situés sur les mains du robot, l’homme qui le pilote peut ressentir les choses comme s’il était sur place. Il lui suffit pour cela d’empoigner deux larges manettes qui lui restituent les forces rencontrées par l’automate. « Cette technologie permet de coupler l’intelligence humaine aux résistances physiologiques de la machine, se félicite Oussama Khatib. De fait, Ocean One est aussi délicat qu’un archéologue. » Fort de ce supplément d’âme, l’humanoïde est parvenu à remonter à la surface un petit pot en céramique datant du XVIIe siècle.
Le succès de cette campagne expérimentale est une première mondiale. Elle marque ainsi une véritable révolution dans le domaine de l’archéologie sous-marine, une discipline dans laquelle Marseille fait figure de pionnière. Pour autant, Michel L’Hour et Oussama Khatib ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. « Aujourd’hui, Ocean One est capable de plonger jusqu’à 1 000 mètres de profondeur, explique le professeur américain. À l’avenir, nous souhaitons faire en sorte qu’il puisse aller encore plus loin. » Cette perspective permettrait de fouiller des épaves endormies dans les tréfonds qu’aucun homme ne pourra jamais explorer. Et d’y dénicher des trésors qui n’attendent plus que de passer entre les mains mécaniques d’Ocean One.
L’exposition des trésors sous-marins à l’occasion du 50ème annivrsaire du Drassm.
Afin de fêter le 50ème anniversaire du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), le Musée d’histoire de Marseille accueille depuis vendredi 29 avril une exposition baptisée Mémoire à la mer : plongée au cœur de l’archéologie sous-marine. Cette exposition – en marge de laquelle le robot Ocean One a été présenté – , a reçu le label d’intérêt national par le ministère de la Culture. Elle se propose de faire découvrir au public le monde des épaves et des habitats qui, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, ont été engloutis par la mer. Provenant d’une centaine de sites archéologiques sous-marins français, une large sélection d’objets est présentée. Au total, 424 trésors marins ont été sélectionnés parmi plus de 30.000 pièces inventoriées par le Drassm. Le robot Ocean One sera également exposé, mais pour une durée limitée. En effet, il quittera Marseille le 8 mai prochain pour retourner dans son laboratoire californien. L’exposition, quant à elle, s’achèvera le 28 mai 2017.
Yohan Cecere