Julien Neel, le créateur de la série de bandes dessinées “Lou !”, révèle à Gomet’ les coulisses de la naissance de son personnage emblématique. Lors de cet échange passionnant, l’auteur dévoile les inspirations personnelles qui ont nourri cette saga intemporelle, explorant les thèmes profonds de l’amitié, du cheminement personnel et de la créativité sans limites. À l’occasion du lancement du tome 2 intitulé “Sonata II”, ce talentueux auteur-dessinateur, résident d’Aix-en-Provence, partage des détails sur son processus artistique et l’avenir de cette saga captivante…
Qui se cache derrière le personnage de Lou ?
Julien Neel. J’ai arrêté mes études en seconde ; je suis ce qu’on appelle un autodidacte. J’ai la chance de venir d’une famille de graphistes : mon père, grand-père, était aussi dessinateur publicitaire et ma mère était institutrice et chanteuse. J’ai grandi entouré de livres et de disques, et tout cela m’a donné des dispositions ! Dès mon adolescence, j’ai commencé à dessiner énormément, à apprendre. J’ai travaillé en tant que graphiste pendant de longues années, puis par hasard, ma route a croisé celle de Jean-Claude Camano (Glenat), éditeur de production qui a découvert Titeuf et lancé le journal Tcho ! C’est dans cette revue artistique que j’ai commencé à dessiner Lou. La bande-dessinée a toujours été ma passion, presque une effervescence. Jamais je n’aurais pensé un jour que mon travail intéresserait un éditeur, encore moins de potentiel lecteurs !
Comment travaillez-vous ?
J.N. Je m’inspire de mes lectures. Ce qui est merveilleux avec la BD, c’est qu’il te faut juste un papier et un crayon. Avec l’informatique, la technique s’est simplifiée et nous avons facilement accès à toutes les nuances de couleurs. Ma femme travaille avec moi dans notre atelier : je dessine et elle met en couleur, puis je retravaille son travail et ajoute de la lumière. Je fais des recherches que je répertorie dans mes cahiers de croquis, que les lecteurs peuvent d’ailleurs retrouver à la fin de Lou, Sonata II !
Quelles sont vos inspirations ?
J.N. J’ai grandi avec Hergé (Tintin) et à l’adolescence, j’ai découvert le manga avec l’auteur Osamu Tezuka… Il est très difficile pour moi de me limiter à ces seuls artistes ! Je mentionne surtout ces deux-là car c’est avec eux que j’ai appris la grammaire de la bande-dessinée. Ce sont des artistes qui possèdent un dessin très stylisé et épuré. Toute leur maîtrise est concentrée dans la narration. La bande-dessinée est un art global qui sert à faire glisser l’œil d’une case à l’autre.
Lou continue d’avoir un grand succès, que représente-elle pour vous et vos lecteurs ?
J.N. Lou représente en grande partie ma vie, mes souvenirs. Elle permet d’évoquer de manière sous-jacente toutes les questions métaphysiques, de l’enfance à l’âge adulte en passant par l’adolescence, les joies et les peines. J’aime jouer avec le jeu de mots « Lou, flou » ; j’essaie de faire une chronique de l’adolescence contemporaine en abordant les questionnements et les étapes. Ces questionnements et étapes sont souvent ce que je traverse lorsque je dessine Lou. Chaque album me permet d’aborder des thématiques de ma vie, cela me sert aussi de psychothérapie. Pourquoi Lou ? Parce que c’est un prénom que j’aime beaucoup. J’ai même failli appeler ma fille comme ça ! Lou est aussi un prénom court, percutant, qui a de l’impact. Il me fait également penser au mot « Love ». Des années après, j’ai réalisé que lorsque j’étais à l’école, j’avais commencé par dessiner des cœurs en cachette, car c’était (et peut-être encore aujourd’hui ?) considéré comme quelque chose de féminin. Mettre un cœur dans le titre de ma série est une manière de parler d’amour, un concept souvent défini de façon absurde comme un territoire exclusivement féminin. Lors d’un festival à Angoulême, un jeune garçon m’a confié qu’il s’interdisait de lire Lou au collège à cause du cœur sur la couverture. C’est devenu de plus en plus important pour moi de m’emparer du symbole du cœur et de faire de Lou une référence pour toutes et tous.
Au début, Lou et sa mère n’avaient pas de lien de parenté ; j’avais imaginé qu’elles étaient simplement colocataires. Cependant, en discutant avec des amis dessinateurs, j’ai fait le rapprochement avec ma propre vie : j’ai grandi avec une mère seule. La mère de Lou est aussi jeune, tout comme moi lorsque j’ai eu ma fille. Je voulais montrer une forme de parentalité, une jeunesse qui sommeille dans le parent, en illustrant, par exemple, le fait de jouer encore aux jeux vidéo.
Qu’est-ce qui différencie Lou des autres personnages féminins de bande-dessinée ?
J.N. Ce qui la distingue, c’est qu’elle grandit avec les lecteurs, avec toute une génération. Les lecteurs se projettent dans Lou, désireux de découvrir au fil des tomes ce qu’elle devient. Lou évolue dans un univers à la fois très réel et fantastique, je m’assure qu’on ne puisse pas dater ni situer la trame de l’histoire. Pour moi, Lou évolue dans un monde parallèle, un monde un peu plus doux et poétique que le nôtre. La ville où vivent mes personnages peut être localisée à la fois partout et nulle part. Elle comporte des éléments de la banlieue parisienne où j’ai grandi, un soupçon de Marseille, parfois des airs new-yorkais ou scandinaves. De temps à autre, j’aime y insuffler une touche de la douceur de vivre aixoise… Tygre (la ville où Lou déménage dans Sonata) est inspirée de Lyon. Lou vit dans un melting-pot, ce qui permet à chacun de s’identifier.
Y a-t-il un âge pour lire Lou ?
J.N. Non, pas vraiment. Mon désir est d’être accessible. Je n’insère pas beaucoup de références et je veille à ce que mon dessin soit le plus clair possible. Je n’ai jamais cru en l’idée d’âge, ce qui m’a gêné lorsqu’il y a eu l’adaptation de Lou en dessin animé à la télévision, où l’on m’a catégorisé dans une cible publicitaire de « 8-12 ans ». Je ne veux pas restreindre les thématiques que j’aborde ni formater Lou. Je me dis aussi que s’il y a des choses que certaines tranches d’âge ne comprennent pas vraiment, cela peut être stimulant de réfléchir davantage. Lou se lit à tout âge ; chaque période de vie apporte une lecture et une compréhension différentes des choses.
À partir du tome 6, avec « Lou, l’âge de cristal », un tome qui a suscité des interrogations, il y a eu l’irruption du fantastique. Pour quelle raison ?
J.N. Le tome 6 marque une rupture, car les tomes 6 et 7 sont inversés. Je voulais évoquer la confusion de l’adolescence, lorsque les choses tournent en rond et que rien ne va. J’ai commencé à l’écrire peu après les attentats de Charlie Hebdo en 2015, qui m’ont énormément marqué et m’ont fait perdre confiance en l’avenir de l’humanité. J’étais obsédé par l’idée que c’était la fin de l’humanité. C’est alors que je suis tombé sur le livre de Jean-Noël Lafargue, « Les fins du monde », où il explique qu’il existe dans toutes les sociétés un mythe apocalyptique qui donne l’impression que l’on assiste à la fin de la civilisation. En tant que père et auteur de bande-dessinée, je me suis rendu compte que partager cette vision négative avec les enfants était très néfaste. Au lieu de parler d’attentats, de pandémie, d’effondrement, etc., j’ai décidé d’utiliser la métaphore de cristaux roses qui prolifèrent partout et bloquent les communications. Tout cela reste en arrière-plan, pendant que Lou et ses amis continuent de vivre leur vie.
Vous êtes au tome 2 de Lou Sonata ; il y aura un troisième et dernier tome pour clôturer la saison. Et après ?
J.N. Pour l’instant, je laisse le suspense planer quant à ce qui va arriver à Lou. Tant que je trouverai de nouvelles formes de narration pour m’amuser, je continuerai ! Je travaille actuellement sur un album rétrospectif pour les 20 ans de Lou, intitulé « Génération Lou ». Il montrera les coulisses de la création de Lou et laissera la parole au maximum à des lecteurs qui ont grandi avec Lou, avec des témoignages d’élèves en école d’art et leurs « fan art ».
Appréhendez-vous, malgré le succès de Lou, que les lecteurs ne soient plus au rendez-vous à chaque nouvel album ?
J.N. Oui, énormément ! C’est toujours une prise de risque, car je change de formule à chaque fois. Je respire à nouveau quelques jours seulement après les premiers retours des lecteurs, des personnes que j’aime. Mais il faut recommencer, cela s’enchaîne ensuite (rires) ! Le lien avec les lecteurs, tout l’amour que je reçois, me pousse à continuer.
Dans votre nouveau tome, Sonata II, Lou organise un festival de musique avec ses amis, le “Dead Dung Fest”, pourquoi Sonata ?
J.N. Cette appellation est liée à une notion musicale ; je voulais un terme élégant et musical. Une sonate est un mouvement musical en trois temps, donc j’ai décidé d’articuler mon travail de la même manière. Il y a autant de parties musicales que de chapitres. J’aime jouer avec les formes musicales et les appliquer à la narration. À l’instar de la bande-dessinée, la musique permet de développer un propos, d’évoquer un thème. La BD est un art muet mais que je trouve étonnamment musical. Les groupes musicaux du festival organisé par Lou prennent vie dans la réalité. Lou continue à se raconter dans les oreilles, c’est un appel aux sens et au jeu.
Quelques mots pour convaincre les lecteurs de lire Sonata 2 ?
J.N. Sonata 2 est un album rétrospectif. J’ai spécialement inclus le plus de personnages possible et Lou va recroiser certains anciens personnages… L’album est aussi unique, filmé en “caméra à l’épaule”, car l’histoire dans ce tome 2 se déroule en quelques heures ; le lecteur ne pourra pas lâcher Lou tout au long de sa lecture. Sonata 2 aborde des thématiques variées : le stress, l’angoisse, mais aussi la joie et l’ambition de réaliser un festival musical. C’est une ode à la fête et à la musique. Grâce à la musique en complément, les lecteurs peuvent découvrir des styles très différents, de la bossanova à la jungle en passant par l’électro suédoise. Un cocktail d’humour et de couleurs variées. Sans spoiler, cet album se termine par un « chassé-croisé » qui laisse une fin très « cliffhanger » (en suspens)…