Comment avez-vous été amenée à aider les familles de Roms de Marseille ?
Jane Bouvier : Je suis arrivée à Marseille en 2003 en provenance de Belgique pour des raisons personnelles. D’origine Britannique, je n’avais aucune attache ici mais j’avais besoin de changements. J’ai commencé à travailler avec les familles de Roms, dans les bidonvilles, en 2012. Pourquoi cet engagement ? C’est à la naissance de ma fille. Je commençais à être perturbée par les enfants qui faisaient la manche. Je voyais aussi l’implantation de ces bidonvilles. Le déclic est venu du fait-divers de la cité des Créneaux lorsque des riverains ont mis le feu à un bidonville. J’ai été très choquée par l’absence de parole des élus locaux. Personne n’a condamné. Tout le monde a trouvé cela normal. Je me suis dit que c’était grave. Je me suis dit que je n’allais pas forcément changer quoique ce soit mais j’avais besoin de faire quelque chose. Avoir des idées, manifester, ce n’était plus suffisant pour moi. Et donc j’ai participé à un rassemblement solidaire avec ces familles qui avaient été chassées de leur bidonville avec des conséquences très graves. C’est parti de là et c’est allé très vite.
Que se passe-t-il alors ?
[pullquote] Je voyais ces mamans dans une logique de « non école » alors qu’il suffisait de les rassurer[/pullquote] J-B. : J’ai participé avec d’autres citoyens et des associations telles que la Fondation Abbé Pierre, la Ligue des Droits de l’Homme, Emmaüs, Artriballes, Rencontres Tsiganes, à une réquisition citoyenne d’un bâtiment abandonné, à Plombières. Nous étions très nombreux au départ puis nous nous sommes comptés sur les doigts de la main. Je voulais faire quelque chose, n’importe quoi, mais quelque chose. Et c’est là que je me suis rendue compte que les enfants n’allaient pas à l’école. Je ne m’étais jamais posé cette question. J’ai grandi avec l’idée que l’éducation est obligatoire et je pensais que c’était comme ça. Cela a été un choc d’apprendre que ce n’était pas le cas. Et je me suis dit qu’il fallait commencer par là. Ils ne peuvent pas faire autre chose s’ils ne vont pas à l’école. J’ai beaucoup de mal, personnellement, avec les histoires qui se répètent. J’ai toujours besoin de chercher à m’améliorer, à grandir, à changer le courant des choses. Je voyais ces mamans dans une logique de « non école » alors qu’il suffisait de les rassurer et de les accompagner.
Comment vous procédez alors pour lancer votre action ?
J-B. Il a fallu un long travail de communication avec les parents parce qu’ils n’ont pas eu, dans la grande majorité, eux-mêmes la possibilité d’aller à l’école. Ils sont totalement analphabètes. Et pour eux, l’école n’a pas beaucoup de sens. Et le peu qu’ils en savent est très effrayant. Il m’a fallu du temps pour comprendre cette peur. C’était important avant d’agir de bien les comprendre. C’est d’ailleurs pour cela que je continue à intervenir seule sur 26 lieux. Il y a des très grands squats avec 300 personnes et des tous petits lieux avec quatre personnes. Pour moi tout est important. J’ai une vue d’ensemble à Marseille sur une partie de la précarité.
Vous avez créé l’association L’Ecole au Présent à ce moment-là, après cette prise de conscience ?
[pullquote] Nous avons la chance à Marseille d’avoir une mairie pleinement consciente de son devoir[/pullquote] J. B. Non, pas tout de suite. J’ai commencé par accompagner une maman dans ses démarches. C’était très long. Au début je n’avais pas tout le réseau d’aujourd’hui à la Ville ou à l’Education nationale. C’est vraiment le parcours du combattant quand on est pauvre et que l’on vit dans la rue. On a rarement tous les documents qu’il faut. Après il a fallu obtenir la gratuité de la cantine. Parce que ce sont vraiment des enfants pauvres. Mais comment prouver que l’on est pauvre quand on n’a vraiment rien ? Il faut souligner que nous avons la chance à Marseille d’avoir une mairie pleinement consciente de son devoir d’inscrire tous les enfants à l’école. Il n’y a aucun souci et c’est hyper important de le dire. Il y a des mairies, même des mairies communistes, qui refusent de scolariser des enfants qui vivent dans un squat en utilisant l’excuse que ce n’est pas une vraie adresse. A Marseille, la Ville de Marseille qui accepte les domiciliations administratives (une boite aux lettres), reconnaît aussi les attestations sur l’honneur que je peux délivrer pour témoigner du lieu de résidence. Ils acceptent ce document comme attestation de domicile. Cela permet aux enfants d’aller à l’école près de leur lieu de vie. Et je peux vous dire qu’au moment des évacuations, les équipes du service des inscriptions scolaires en mairie se battent avec moi pour que les gamins retrouvent une école le plus rapidement possible. Il y a des problèmes de places dans les écoles marseillaises. Ce n’est pas évident de changer une, deux ou trois fois dans l’année. Tout le monde fait l’effort. Je me bats pour que la période de déscolarisation soit la moins longue possible.
L’école est pourtant obligatoire en France ?
J. B. Non, c’est l‘éducation qui est obligatoire. Donc on peut faire l’instruction à la maison. C’est obligatoire à partir du moment où il y a une demande. Mais certaines mairies ne répondent pas car elles considèrent que l’enfant n’est pas du secteur, avec une vraie adresse. En cas de déménagement, comme c’est le cas lors des déménagements forcés des familles que j’accompagne, nous faisons une nouvelle demande et la commune doit répondre. Cela prend plus ou moins de temps en fonction des places disponibles. Il faut parfois aller chercher une école plus loin. Mais je suis très déterminée dans cette mission.
Rendez-vous demain lundi 25 mars pour le 2e volet de notre entretien avec Jane Bouvier
« J’ai accompagné 460 enfants sur le chemin de l’école »
* Vous souhaitez aider l’association L’Ecole au Présent en donnant par exemple des fournitures scolaires ? Envoyez un message à l’adresse mail suivante : lecoleaupresent@gmail.com