Au lendemain de l’annonce de la feuille de route de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, et du discours de politique générale du Premier ministre, Edouard Philippe, Jean-Paul Benoît, président de la Mutualité française Paca, a souhaité donner son point de vue sur les projets de réformes.
Que retenez-vous des différentes annonces récentes du gouvernement en matière de santé et de protection sociale ?
J.-P.B. L’un des engagements forts d’Emmanuel Macron pendant sa campagne électorale était axé sur le reste à charge en optique, dentaire et audioprothèse. C’est une problématique majeure car la part des dépenses de santé qui incombe à l’assuré social ne cesse d’augmenter dans ces secteurs : 11 milliards d’euros après remboursement par la Sécurité sociale, 4,4 milliards après l’intervention des mutuelles. Le facteur économique est la première cause de renoncement aux soins. L’Assurance-maladie ne rembourse que 60% de la base de remboursement fixée à 7,42€ pour une paire de lunettes ! C’est en moyenne 3% du tarif réellement payé par l’assuré. La Mutualité française partage l’objectif fixé par le gouvernement de tendre vers un reste à charge zéro pour l’optique, les prothèses dentaires et les audioprothèses car le but d’une mutuelle est de faciliter l’accès aux soins.
Quelle est la marche à suivre ?
J.-P.B. Il s’agit à présent de réunir autour de la table tous les acteurs : pouvoirs publics, Assurance-maladie, mutuelles, patients, afin de voir ensemble comment concrètement cet objectif peut être atteint. Plusieurs questions se posent. Tout d’abord, quels soins sont concernés par cet objectif ? Une paire de lunettes par exemple est un dispositif médical mais aussi un accessoire de mode. Sans doute faudra-t-il déterminer ce qui relève des dépenses de santé. Quelle population sera ciblée ? Les enfants devraient être les premiers concernés par cet objectif, une bonne vue étant un facteur de réussite scolaire évident.
Comment réduire ce reste à charge ?
J.-P.B. Trois leviers d’intervention sont possibles : une action sur les tarifs des lunettes, des prothèses dentaires et auditives, de meilleurs remboursements par la Sécurité sociale et une amélioration de la prise en charge par les mutuelles. À eux seuls, de meilleurs remboursements sont insuffisants : le prix des équipements risquent de s’adapter à la prise en charge et le reste à charge ne diminuerait pas. Il est donc impératif d’agir sur le prix. Les mutuelles doivent donc pouvoir discuter avec les professionnels de santé afin de fixer le juste prix et atteindre le reste à charge zéro, sans rogner sur la qualité. Elles le font déjà avec les opticiens et les audioprothésistes grâce aux réseaux de soins mutualistes. En jeu, une réduction de la facture de 30% sur les lunettes pour les assurés. Ces accords devraient être confortés et renforcés.
Que pensez-vous de la volonté du chef de l’État de mettre en place trois contrats-type ?
J.-P.B. On nous reproche ici un manque de lisibilité de l’offre des complémentaires santé. Je réponds : nous nous adossons aux actes de la Sécurité sociale ! Pour exprimer ses garanties, une mutuelle est obligée de se référer à la nomenclature tarifaire de la Sécu, qui comprend des milliers de références et qui est incompréhensible pour le grand public. Sans compter qu’avec la liberté tarifaire des professionnels de santé, le remboursement ne renseigne pas sur le montant du reste à charge ! Il faut donc que les mutuelles travaillent en accord avec l’Assurance-maladie et les professionnels pour simplifier les contrats. Cela dit, nous comprenons l’idée du gouvernement qui est de permettre aux usagers de comparer plus facilement les prix. Nous veillerons simplement à ce que ces contrats ne deviennent pas une couche règlementaire et administrative trop lourde.
Qu’en est-il des déserts médicaux ?
J.-P.B. Je n’aime pas ce terme, je préfère parler de zones blanches. Dans la région, en particulier dans les territoires alpins mais aussi dans des zones péri-urbaines telles que les quartiers nord de Marseille ou autour de l’étang de Berre par exemple, il s’agit d’une problématique réelle. Emmanuel Macron veut doubler le nombre de maisons de santé, qui regroupe des professionnels de santé libéraux. Nous partageons l’idée de conforter l’offre de soins de premier recours, pour éviter un engorgement des urgences et soutenir une pratique collective et pluridisciplinaire de la médecine. Mais c’est tout le système de la médecine libérale qui est à bout de souffle. Le numerus clausus trop restreint, les médecins qui réchignent à s’installer en cabinets isolés. Ce n’est plus leur métier ! Ils ont appris la médecine dans des CHU, avec un plateau technique à disposition. La plupart préfère le confort du salariat. Une autre solution serait alors d’encourager les contrats mixtes pour décloisonner la médecine hospitalière et la médecine de ville.
Quelle est la différence entre maisons de santé et centres de santé ?
J.-.P.B. Dans les maisons de santé, les professionnels sont en libéral quand dans les centres, ils sont salariés. Nous gérons plus de 60 centres de santé sur le territoire, 30 centres de soins médicaux et infirmiers dans la région et 12 dans le département. C’est une réponse à la problématique. Nous avons notamment mis en place un rétinographe mobile, pour faire des fonds d’œil dans les Hautes-Alpes où ne consultent que six ophtalmos, dont cinq sont en secteur 2. Pour développer davantage ce genre de structures, nous avons besoin d’un accompagnement financier complémentaire. Marisol Touraine, l’ancienne ministre de la Santé, y était favorable. Une réorganisation territoriale de la santé est nécessaire.
Que pensez-vous du rétropédalage d’Agnès Buzyn sur la généralisation du tiers-payant ?
J-.P.B. Dans un entretien au Quotidien du médecin, la ministre a déclaré que son objectif « serait d’éviter l’obligation du tiers-payant généralisé. » En cause : la surcharge administrative que cela occasionnerait aux médecins. Pourtant, les complémentaires travaillent depuis deux ans au sein de l’association Inter-AMC au déploiement d’un portail unique, un dispositif simple, intuitif et sécurisé. Cette solution est accessible depuis mars et 130 000 professionnels de santé l’utilisent, dont de nombreux médecins. Le tiers-payant est la garantie d’être payé sous trois jours. Combien de chèques impayés ? Prenons exemple sur les pharmaciens, qui le pratiquent et qui en sont tout-à-fait satisfaits. Le tiers-payant sur la part complémentaire est déjà facultatif. Supprimer l’obligation sur la part obligatoire, qui devait intervenir le 1er décembre, c’est renoncer à améliorer concrètement et rapidement l’accès aux soins.