« Nous avons repris l’entreprise, mais elle avait déjà une histoire », relate Didier Lalance, le nouveau directeur général de la marque marseillaise « Just Over The Top » (Jott). Passé par Kering et Lacoste, le directeur chevronné a pris ses fonctions en janvier 2021, suite au rachat de la société par le fonds d’investissements L Catterton (LVMH). Aujourd’hui, la marque de doudounes ultra-colorées compte 200 boutiques en Europe et en Asie, réalise 150 millions de chiffre d’affaires et emploie 100 collaborateurs au siège à Marseille.
D’ici trois ans, l’entreprise de prêt-à-porter espère doubler ces chiffres. Pour atteindre cet objectif, les dirigeants travaillent sur une identité forte et un positionnement clair adapté à leur clientèle familiale, devenue internationale.
Retracer l’ascension de Jott, exige un retour sur son ancrage marseillais. Le produit matelassé est imaginé en 2010 par deux cousins âgés d’une vingtaine d’années, Mathieu et Nicolas Gourdikian, déjà tombés dans la marmite du textile tout petit. Leur famille est à l’origine d’un groupe de commerce de gros « Texto » basé à Marseille. En 2008, les cousins avaient tenté de créer une marque de maillots de bain… Sans succès. Alors ils partent en roadtrip en Asie et flairent le bon « nylon » : la doudoune légère.
À leur retour, les entrepreneurs en herbe se mettent au travail. Les premiers prototypes sont dessinés dans l’entrepôt familial chemin Saint-Jean-du-Désert (5e). Mathieu et Nicolas y accolent le nom de« Jott» : l’un disait à l’autre « t’es au top ! » et l’autre répondait toujours « Just over the top ! » (juste au-dessus)en rigolant. Ils inscrivent ces initiales sur un écusson brodé représentant un Marseillais, cheveux au vent, sur son scooter. Le logo affirme déjà la fonction principale du produit qui « protège » du Mistral lors de virées en deux-roues. La petite doudoune qu’on enfile et qu’on range au gré de la météo.« Leur idée est assez simple. Ils reprennent un produit installé dans toutes les garde-robes, ils lui donnent un style urbain et y ajoutent de la couleur. », résume Didier Lalance.
Vient ensuite le temps de la fabrication. Les cousins se rendent en Chine pour sourcer le duvet de canard, dont la Chine est le premier producteur, et trouver les usines. Une fois leurs partenaires sélectionnés, les cofondateurs vendent les premiers lots aux enseignes multimarques, un modèle de distribution calqué sur celui de l’enseigne familiale.
Quelques mois plus tard, en 2012, les entrepreneurs réalisent le réel attrait de leur produit au salon professionnel du prêt-à-porter à Paris. Les doudounes sont exposées sur un seul portant, une verte, orange, rouge, jaune, derrière les autres marques du groupe Texto… Et pourtant : tous les modèles se vendent. Cette palette de couleurs originale et variée sur un mono-produit interpelle les clients.
De la vente de gros aux boutiques : un déploiement haut-en-couleur
Au regard de ce potentiel, les cousins Gourdikian ne veulent plus se satisfaire du commerce de gros. Ils entendent créer leur propre magasin malgré un manque d’expérience dans le « retail ». Patrick Gourdikian, à la tête du groupe Texto, les aide à concrétiser l’idée. À entendre Didier Lalance, l’entrepreneur est un personnage clef de la réussite de Jott. C’est d’ailleurs lui qui a été le principal interlocuteur durant la cession de l’entreprise au fonds L Catterton.
Quand vous passez devant un magasin Jott, il se passe un truc. C’est comme passer devant le marchand de bonbons. Peu importe que vous en mangiez ou pas, vous avez envie de rentrer !
Didier Lalance, directeur général de Jott
Jott ouvre donc son tout premier magasin franchisé à Aix-en-Provence en 2013. Celui de Marseille, dans le centre commercial Les Terrasses du Port, ouvre en août 2014. La scénographie des magasins expose les doudounes dans leurs pochons, rangées par camaïeu de couleurs façon capsules Nespresso. « Quand vous passez devant un magasin Jott, il se passe un truc. C’est comme passer devant un marchand de bonbons. Peu importe que vous en mangiez ou pas, vous avez envie de rentrer !», illustre l’ancien directeur général du Printemps (Kering) qui a lancé les magasins Citadium.
Le magasin du centre commercial, situé en bord de mer, « marche tellement bien » que sa surface double deux ans plus tard : de 38 m² la boutique s’étend à 90 m². Entre 2014 et 2016, une vingtaine d’autres magasins fleurissent. L’année 2016 est un tournant pour la marque qui inaugure sa première boutique parisienne sur le très chic boulevard St-Germain,à deux pas des enseignes de luxe Louis Vuitton et Gucci.
Renforcer l’image de marque
Pourtant, Jott n’a pas vocation à devenir une « énième » marque de mode. Les dirigeants de L Catterton ont été conquis par la « simplicité du produit unique. » Didier Lalance analyse ses concurrents comme les marques de l’outwear (vêtements d’extérieurs pratiques et de qualité) The North face et Patagonia, plutôt que la marque japonaise Uniqlo, qui a aussi bâti sa renommée française sur la doudoune légère. Les produits touchent aussi bien des hommes (45%), des femmes (45%) que la très jeune clientèle (10%). Jott se positionne ainsi comme une marque mixte et intergénérationnelle. « Ce qui est très rare dans le secteur », souligne Didier Lalance.
En revanche, la marque a plus de mal à affirmer son positionnement sur le prix. Pour le dirigeant, Jott est« transversalCSP» quand bien même les produits sont vendus entre 150 et 300 euros. À titre comparatif, les doudounes Uniqlo – également produites en Chine – sont vendues 79 euros pièce« avec une qualité qui leur est propre», glisse Didier Lalance. Cet écart de prix se justifierait par le niveau de gamme différent avec un duvet de canard plus « résistant. » Depuis un an, Jott s’est également engagé à ne sourcer que du duvet « animal fair », une matière première provenant uniquement de canards destinés à l’alimentation. Mais l’entreprise assure ne pas vouloir en faire un « argument marketing. »
Si cette marque était un acteur, ce serait celui que vous trouvez super bon et légitime, mais dont vous êtes incapable de prononcer le nom.
Didier Lalance, directeur général de Jott
Pour construire ce marketing fort, une image différenciante, Didier Lalances’est attelé, dès son arrivée, à « reposer l’ADN » avec la nouvelle responsable marketing, Sonia Tautou, rencontrée quelques années plus tôt chez Lacoste. Ensemble, ils ont recruté une dizaine de collaborateurs spécialistes de la communication et du marketing. « Il n’y avait jamais eu de marketing chez Jott. La marque n’avait pas posé les bases de son positionnement, car elle n’avait que dix ans d’existence et s’est développée à une vitesse folle… Si cette marque était un acteur, ce serait celui que vous trouvez super bon et légitime mais dont vous êtes incapable de prononcer le nom », illustre le repreneur qui compte bien investir dans la communication. En juin 2022, un spot publicitaire a été tourné avec des danseurs professionnels pour appuyer l’image sport, confort et fun de la marque.
Être un « acteur » du territoire
Et puis, le trait de personnalité à sublimer, c’est ce lien avec Marseille. « Cette marque doit assumer d’être née sur le littoral méditerranéen qu’on le veuille ou non. Elle incarne la protection, le mouvement, la ville, le confort. », énumère le patron. Cette volonté est saluée par Jocelyn Meire, le président du réseau d’entreprises de la mode Fask, qui discute avec Jott pour un futur partenariat. « En dehors de cette réussite économique et sociale, Jott souhaite afficher son ancrage régional. Et ce n’est pas banal. Car, sans leur jeter la pierre, plusieurs belles marques nées ici et ne se revendiquent pas de la région.», observe l’entrepreneur.
(Re)définir son identité doit aussi permettre à Jott de trouver des axes de diversification. « Où est-ce que je vais être légitime ?, se demande à voix haute Didier Lalance, dans l’outwear, le maillot de bain, le molleton, par contre je ne vais pas faire du jean, des robes de soirée…» La production de ces nouveaux produits pourrait même être relocalisée.« Si Jott veut s’impliquer dans la vie locale, il y a plein de façons de le faire. Ils ne sont pas fermés à l’idée que certains produits soient fabriqués en Europe, dans notre région, voire dans la partie marseillaise. », nous apprend Jocelyn Meire.
Après 20 mois de travail, de nouveaux produits ont pointé le bout de leur nez dans le showroom. Des maillots de bain, des sacs, des casquettes… Ce nouveau lieu « incarne la marque », rue François Arago, installé à quelques rues des entrepôts d’antan, chemin Saint-Jean-du-Désert. Jott a recruté toutes ses équipes à Marseille et a trouvé sa perle rare sur 2000 m² avec un rooftop pour « réunir du monde, faire connaître la marque. »
En définitive, Jott se projette comme « un acteur engagé du territoire », et veut miser, pourquoi pas, sur des modèles plus originaux. « Vous l’aurez compris, on cherche encore notre identité. Mais on ne veut pas s’éloigner de ce que l’on est fondamentalement. On veut avoir la sensation d’être créatif, et cette créativité passera surement par les motifs. »
Liens utiles :
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