Jeudi 24 mars, le Collectif des amis d’Alep organisait une conférence à l’IEP d’Aix-en-Provence avec des journalistes syriens venus témoigner de la situation de leur pays. Le projet « Porter la voix des journalistes d’Alep » fait un tour de France et de Suisse en conférences pendant 1 mois. Cinq ans après les premières émeutes, la guerre Syrienne continue de s’enliser, malgré les négociations de paix qui se multiplient. Les dernières à Genève se sont achevées le 24 mars. Reem Fadel et Louai Abo Al Joud ont vécu le conflit de l’intérieur, à Alep, la principale ville tenue par l’Armée Syrienne Libre, aujourd’hui encerclée par le régime.
Brève explication de la situation actuelle
Comme le rappelle en préambule le chercheur François Burgat, « la crise syrienne n’a plus de syrien que le nom ». « La stratégie occidentale a été de soutenir les révoltes, mais seulement avec les mots, de manière inefficace ». Il explique les quatre principaux camps qui s’affrontent dans le pays. « Le régime et l’opposition démocratique ont un logiciel similaires ». Les deux se battent pour la même chose, à savoir le contrôle du territoire syrien tel qu’il existait avant la guerre. Viennent ensuite les combattants Kurdes qui se battent principalement dans le nord pour créer un Etat indépendant. Enfin, le dernier à être arrivé dans cette guerre, c’est bien-sûr l’Etat Islamique. « Un phénomène que l’on a pas vu venir et qui a une appartenance confessionnelle: les sunnites ». Tous ses acteurs qui ne se battent pas pour la même chose rendent la situation extrêmement complexe à comprendre. D’autant qu’aucun n’est en mesure d’avoir l’hégémonie militaire malgré le soutien dont bénéficie le régime de Bachar Al Assad de l’Iran, la Russie et le Hezbollah Libanais.
Reem Fadel, 33 ans, journaliste pour Orient News
« J’ai participé dès 2011 aux manifestations. Après 40 ans de dictature et d’autoritarisme, ça me semblait normal. Avec l’arrivée de l’armée libre à Alep, la ville s’est divisée en deux, entre la zone contrôlée par le régime et celle de l’Armée libre. La seconde a subi un bombardement intensif et quotidien du régime. Les personnes qui vivaient dans la première amenaient une aide médicale et humanitaire aux autres. Il y avait un passage que l’on appelait le passage de la mort: une rue de 500m avec cinq snipers. Les activistes syriens avaient aussi pour rôle de transporter l’information à l’extérieur des zones libérées puisque le régime ne tolère que la presse officielle.
Fin 2013, j’ai été arrêté, une garnison entière a déboulé dans ma maison a 5h du matin. J’ai été retenue pendant trois mois et accusée d’introduire du lait pour enfant dans les zones encerclées et d’écrire des articles anti-gouvernement. Deux accusations suffisantes pour être considérée comme une terroriste. Je suis toujours considéré comme tel par le gouvernement.
Ma famille a du payer 10 000 dollars au général du secteur pour me libérer. À ma sortie, je suis restée dans ma chambre un an et demi. J’ai pris un faux nom et j’ai écrit des articles sur les gens arrêtés par le régime. Il y a aujourd’hui 200 000 personnes dans les geôles d’Assad. On nous y entassait debout dans des cellules dans lesquelles on s’accroupissaient à tour de rôle pour se reposer, faute de place. Le Syrien a commencé à s’habituer à la mort mais la plus grande peur reste d’être arrêté. »
Louai Abo Al Joud, fondateur d’une agence de presse
« Quand la révolution a commencé, j’étais étudiant en biologie à la faculté de médecine. Dès le début je me suis mis à transporter des images pour les montrer aux médias. Mi 2012 l’Armée libre entre dans Alep, le régime entame un bombardement systématique des zones libérées. J’ai été blessé deux fois: touché par un mortier à la jambe droite et par un tir de sniper à la jambe gauche.
En avril 2013, Daech arrive en Syrie. Ils m’arrêtent en novembre. Je reste six mois dans leur prison. J’ai aussi été dans les prison sud régime. La seule différence c’est que dans les geôles de Daesh on me frappait en disant « Allahou akbar » et dans celle du régime on me frappait en insultant ma religion. J’étais avec d’autres journalistes, six mois avec le journaliste français Nicolas Hénin, avec le correspondant de l’AFP et celui de Reuters. Daesh réclame toujours des rançons. Pour donner une idée, le prisonnier le moins cher était un homme d’affaire chrétien arménien: 5 millions de dollars. En mai 2014, j’ai bénéficié d’un échange de prisonniers entre l’Armée libre et Daesh.
Depuis, je continue à mener mon activité de journaliste en sortant des informations de Syrie pour la presse internationale. Quand l’armée libre est entré à Alep, elle a ouvert la porte aux journalistes qui ont pu montrer la ville telle qu’elle est vraiment. Daesh, de son côté, a arrêté tout les journalistes locaux ou internationaux. Les derniers a avoir été libéré sont français, et leur rançon est montée à 18 millions de dollars. Quand au régime, il a ouvert ses portes à la presse dans un but particulier. Elle n’avait le droit de faire du reportage que sous la garde d’un membre de l’armée, évidement pour servir sa propagande. »
Les forces libres d’Alep résistent aux assauts du régime
Selon les journalistes Louai Abo Aljoud et Reem Fadel que nous avons rencontré à Marseille, au lendemain de leur conférence à Aix, les combattants de l’Armée syrienne libre ont bien résisté ces derniers mois aux assauts menés notamment à la suite de l’entrée des Russes dans la guerre.
Selon eux, et malgré les bombardements et attaques permanentes, menées selon différentes modalités (missiles sol-air et courte distance, tirs de mortier, snipers, baril d’explosifs lâchés par les hélicoptères, 70 à 80% d’Alep sont toujours aux mains des forces libres.Selon les deux journalistes, quelque 30 000 combattants et 250 000 civils habitent dans ces zones libres. Un Conseil Local de la Ville d’Alep librement élu, dirige les affaires courantes (vivre, soins, accès internet, écoles). Il est composé à 30% par de femmes. Il est dirigé par un ingénieur kurde, Brita Haj Hassan. Autre instance celle du Conseil du Gouvernorat (province) d’Alep, composé lui aussi de civils et diplômés de l’enseignement supérieur.
Pour anéantir cette résistance aleppine, le régime a choisi aussi d’encercler les zones libres afin de les neutraliser en les priant de nourriture. mais cette tactique appliquée et réussie à Homs ne parvient pas à soumettre Alep compte tenu notamment de la disparité et de l’enchevêtrement des quartiers aux mains des combattants, et d’autres sous contrôle du régime.
J-F. E.
Liens utiles :
> Signez la charte du Collectif des amis d’Alep
> Le site pour contribuer au financement de la tournée des journalistes en Europe.