Le Centre d’Art Caumont (Aix-en-Provence) offre des rencontres avec des passionnés d’art. Ce samedi 27 février, le rendez-vous était fixé avec Cinzia Pasquali, la restauratrice de chefs-d’œuvre du patrimoine culturel français. Deux conférences, l’une à 18h30 et l’autre à 20h15, étaient alors proposées ce 27 février afin d’entrevoir les dessous de la restauration des œuvres. Pour ce faire, le choix du musée aixois s’est porté sur Cinzia Pasquali qui, en plus de trente ans, a restauré d’inestimables tableaux – souvent au centre de polémiques comme la « Sainte Anne » de Léonard de Vinci –, et travaille aujourd’hui à la restauration de la Chancellerie d’Orléans.
Dans l’auditorium du Centre d’Art, Cinzia Pasquali explique sa vision du métier de restaurateur et revient sur ses grands chantiers.
L’œuvre d’art est un « objet périssable », rappelle-t-elle pour justifier l’existence de son métier, c’est pour cette raison qu’elle doit être restaurée. En effet, tout visiteur de musées a quelques fois été confronté à des œuvres où le brio du peintre disparaissait sous l’effet dévastateur du temps. Pourtant, chaque détail reste gravé dans l’œuvre et demeure visible avec les techniques modernes (clichés infrarouges ou ultraviolets). Il incombe alors au restaurateur de peinture de restituer l’œuvre d’art à ses spectateurs en respectant son histoire, contrairement à la scandaleuse « restauration » du Christ de Borgia relayée par les réseaux sociaux en 2012 à laquelle fait référence Cinzia Pasquali, non sans exaspération. Pour cette restauratrice nommée chevalier des Arts et des Lettres, une œuvre endommagée « c’est comme une partition de musique que l’on ne peut plus jouer ». Des belles paroles qui sont révélatrices de la passion des restaurateurs pour le domaine artistique.
Ancienne élève de Cesare Brandi pour qui restaurer est un « acte critique »
Quand Monique Younès, l’animatrice de la « Carte Blanche », lui demande qu’est ce qui fait un bon restaurateur, Cinzia Pasquali s’exclame d’un ton humoristique « Il faut être très intelligent ! ». Toutefois, consciente que la restauration est une forme de « manutention de l’œuvre », ce masque d’arrogance endossé tombe lorsqu’elle défend une « restauration modeste », « avec des matériaux réversibles » et donc « pas définitive ». Puis, cette ancienne élève de Cesare Brandi pour qui restaurer est un « acte critique », explique que pour les œuvres d’Etat, il y a un suivi scientifique constant et des comités décisionnaires qui accompagnent les restaurateurs dans leurs choix. Au final, elle n’est que « la main qui fait le geste de décisions communes ». Les Français ont donc de quoi se rassurer : la restauration de « La vierge St Anne et l’enfant » de Léonard de Vinci n’est pas le fruit que du libre arbitre d’une personne, autant experte soit elle.
[pullquote]« Pour restaurer un Léonard, on prend à bras-le-corps tout le reste »[/pullquote]Entre 2010 et 2012, Cinzia Pasquali a tutoyé « Léonard », comme elle l’appelle, sous le contrôle d’un comité de pilotage et d’un comité scientifique. Elle explique alors que « pour restaurer un Léonard, on prend à bras-le-corps tout le reste », tant ce que les gens projettent sur ces chefs-d’œuvre, que le fort intérêt médiatique. De cette mission difficile d’une durée de quinze moi, elle garde en souvenir la contrariété occasionnée par une présence permanente de caméras lors de la restauration. Travailler sur du « Léonard », c’est entrer dans un monde particulier, confie-t-elle. En effet, elle explique que quand elle a été choisie suite à l’appel d’offre, elle « n’imaginait pas entrer dans un cercle d’illuminés », un terme qu’elle utilise pour qualifier certains de ses collaborateurs de l’époque ne vivant qu’à travers le Maestro de la peinture de la renaissance italienne.
Au 3 rue Joseph Cabassol, sur un ton posé et avec un accent italien prononcé, Cinzia Pasquali nous fait revivre la « renaissance » de ces œuvres une fois restaurées. Par des illustrations du travail accompli, elle expose le résultat de son art, autant pour la restauration de la Galerie des Glaces de Versailles, un chantier colossal où trente restaurateurs ont collaboré, que pour la « Déploration du Christ mort », l’œuvre de Bronzino victime d’un orage, exposée à Besançon.
Un métier qui allie la pratique artistique avec la rigueur scientifique.
Cette restauratrice de renommée internationale, avec plus de 300 chantiers au compteur, suscite l’émoi du public en montrant les différentes étapes du nettoyage des œuvres (où sont enlevées les diverses couches de verni). Ni artiste, ni artisane, elle revendique simplement « s’occuper des œuvres des autres » dans un métier qui allie la pratique artistique avec la rigueur scientifique.
[pullquote]Tous les ans la « Joconde » est pesée et subie une batterie de tests.[/pullquote]Les passionnés d’art ont aussi eu, en ce 27 février, l’occasion de s’exalter au rythme de petites anecdotes réservées aux spécialistes. C’est notamment le cas quand Cinzia Pasquali révèle les dessous des œuvres de Léonard de Vinci, qui dans un travail préparatoire méticuleux habille ses personnages au fur et à mesure, soucieux de respecter l’anatomie et les règles de la physique. De même, au détour d’un sourire de l’intervenante, les spectateurs apprennent que tous les ans la « Joconde » est retirée de sa boîte pour subir une batterie de test, Cinzia Pasquali révélant qu’« on la pèse pour savoir si elle n’a pas perdu du poids » comme le ferait une mère avec son enfant. Avec un discours sans vergogne d’une passionnée, le Centre d’Art Caumont offre encore une occasion à ses habitués de découvrir les dessous du domaine culturel. Un nouveau rendez-vous est déjà fixé le 19 mars pour rencontrer un Nez d’Hermès, la célèbre maison de parfum créée en 1951.
Mathilde Dougados
Lien utile :
La précédente carte blanche de Caumont consacrée au street art :
[Live painting] Du street-art au Centre Caumont d’Aix.