Boris Cyrulnik est de ces personnages inclassables qui imprègnent votre mémoire et ressurgissent lorsque le doute s’installe. Comme un chêne planté sur une colline pour vous protéger des rayons, apaiser l’horizon incertain, abriter vos temps de lassitudes ou de désespérance.
C’est à La Seyne-sur-Mer qu’il s’est posé un jour, devant moi, pour une conversation apparemment désordonnée et au bout de laquelle la clarté de ses propos s’est imposée. Nous parlions alors des Chantiers Navals en perdition dans ces années 80. Ils devaient laisser sur le bord de la route des centaines de familles brisées. Le bon docteur Cyrulnik interrogeait alors le passé de ces pauvres gens, pour décrypter l’incertitude du présent et questionner un non futur qui ouvrait sa béance. Il m’expliqua comment des logiques économiques allaient durablement saccager cette ville, d’alors un peu plus de 50 000 habitants.
[pullquote]Il nous a une fois de plus piqué au vif, au moment où partie de la France se « zemmourise »[/pullquote] Les années vinrent ainsi qui firent le lit de l’extrême droite, le linceul du Parti Communiste, le terreau des bandes, de la drogue, de la violence, du sida. Cyrulnik avait vu juste et c’est une page de l’histoire varoise qui fut arrachée et un territoire enfoui dans un sarcophage de marinas et autres résidences pour cadres ou militaires toulonnais. Un rideau s’était affalé sur la Seyne et un peuple, né à la fin du XIXème siècle avec la prospérité des constructions navales, avait été dissout selon la sarcastique formule de Bertolt Brecht.
Gérard Paquet, après Fernand Braudel et Edgard Morin, a offert deux jours durant le privilège d’entendre le psychanalyste et éthologue au Mucem. Il nous a une fois de plus piqué au vif, au moment où partie de la France se « zemmourise » ou se « ménardise ». On était loin des plateaux de télé où le polémiste dégueule sa haine de l’autre, et de Béziers ou un rapatrié d’Algérie rêve d’expatrier, après avoir eu l’insane culot de diriger une association sans frontières. Les Marseillais avaient besoin de cette respiration-là.