Pour le sociologue Julien Damon, la métropole d’Aix-Marseille-Provence sera une réussite à condition qu’elle n’ajoute pas un échelon supplémentaire au millefeuille territorial, mais bien qu’elle remplace les structures existantes. Interview.
GoMet’. La métropole d’Aix-Marseille-Provence doit voir le jour en 2016 : quels sont ses grands enjeux ?
Julien Damon. Mille enjeux. Il faut tout d’abord que cette nouvelle collectivité territoriale – car c’est de cela qu’il s’agit – trouve sa place dans les millefeuilles national et local. Et ce n’est pas fait. Cette métropole doit réussir à s’incarner dans la vie quotidienne, pas seulement par des affiches, un éventuel nouveau bâtiment, des réalisations iconiques (le mot iconique est à la mode), mais par une adhésion de l’ensemble des habitants. En clair, l’enjeu essentiel est de réduire, au sens culinaire, la complexité administrative pour l’ensemble des habitants de ce territoire métropolitain. Le nom de Marseille primera certainement, car c’est ainsi que la métropole est déjà connue en dehors des frontières nationales. [pullquote]«Le nom de Marseille primera certainement, car c’est ainsi que la métropole est déjà connue en dehors des frontières nationales.»[/pullquote] L’enjeu est donc identitaire. Il est également bureaucratique pour réussir à avaler/digérer (toujours une métaphore culinaire) les institutions qui participent ainsi à cette opération de fusion/acquisition, comme on le dirait dans le secteur privé.
G’. Pensez-vous qu’elle réponde à un réel besoin citoyen ?
J.D. Tout dépend de ce que l’on appelle « un besoin citoyen ». Je pense que les habitants se moquent un peu (non pas qu’ils s’en fichent mais ils ne s’en soucient pas) des productions et constructions administratives. Ils ont cependant besoin de proximité (c’est ce que démontrent les taux d’abstention qui sont inversement proportionnels au niveau de proximité de l’enjeu électoral) et de simplicité. C’est ce à quoi les métropoles doivent s’atteler. Elles s’attachent cependant à d’autres gros sujets : la mise en oeuvre de politiques qui ne relèvent plus des États, mais qui ne sauraient être développées par des villes trop petites.
« Cette nouvelle structure ne doit pas s’ajouter mais remplacer »
G’. Qu’apportera-t-elle concrètement sur le terrain ? Dans le domaine des transports ? De l’emploi ? Du logement ?
J.D. Les changements ne seront pas immédiatement visibles. Mais avec le temps, à la condition de bien réussir la fusion/acquisition évoquée, il en ira autrement en termes de compétences et de moyens. Le domaine de la mobilité et du logement peuvent ainsi connaître une progression intéressante. Pour l’emploi, c’est une autre affaire. Ce secteur-là ne dépend pas des collectivités publiques. En tout cas, pas son développement…
G’. En quoi une nouvelle structure institutionnelle peut-elle faire changer les choses sur le terrain ?
J.D. Un seul mot me vient à l’esprit : la simplification. Cette nouvelle structure ne doit pas venir s’ajouter, mais remplacer. C’est là toute la subtilité, ou, plutôt, toute la difficulté.
> Pour aller plus loin. Voir notre timeline : “La métropole, c’est pour quand ?”
G’. La fronde des élus locaux est-elle justifiée ?
J.D. Elle se comprend, d’un double point de vue : corporatiste (personne ne souhaite disparaître….) et technique (certaines institutions, dont les départements et les conseils municipaux, ont fait leurs preuves). Mais ce qui se comprend ne se justifie pas forcément. En tout état de cause, je pense qu’il est nécessaire que chaque métropole soit le fruit d’une réalisation locale et non d’une directive nationale unique. [pullquote]« Il est nécessaire que chaque métropole soit le fruit d’une réalisation locale et non d’une directive nationale unique. »[/pullquote] D’où l’importance des débats soulevés par les élus locaux. Mais pas forcément de leur fronde.
Go Met’ : Ont-ils raison de pointer du doigt l’aspect technocratique et bureaucratique d’une telle structure ?
J.D : Oui. Mais c’est l’hôpital qui se fiche du dispensaire (ou inversement). Encore une fois, si la métropole n’est qu’une couche supplémentaire, alors elle n’a que peu d’intérêt. Si, à l’inverse, dans le cadre de la refonte de l’organisation territoriale de la République (avec révision des départements et des régions), la métropole vient remplacer et simplifier le millefeuille existant, alors tout peut être gagné. Si j’osais, je me permettrais de dire qu’il faut regarder attentivement ce qui se passe à Lyon avec une métropole qui se crée en avalant (toujours la cuisine et les repas…) une partie du conseil général du Rhône.
« Les métropoles avancent souvent les unes contre les autres »
G’. Qu’entend-t-on par inscrire le territoire dans la globalisation − l’un des objectifs de la métropole ? Aura-t-elle une incidence positive sur l’économie ? Comment ?
J.D. Je pense que oui. Sur le monde aujourd’hui, au moins sur son plan économique, s’affrontent non seulement les grandes puissances (les nations) mais aussi les métropoles. Ces grandes zones sont les espaces – bassins de vie et de réalités économiques – où peuvent se monter des politiques à la fois de coopération et de compétition. La révolution métropolitaine n’est pas seulement une lubie française, c’est un mouvement mondial. Les États, en général très endettés et empêtrés dans des bagarres politiques, stagnent. Les métropoles avancent, et souvent les unes contre les autres. D’où l’importance de s’organiser.
G’. Les élus locaux ont utilisé à peu près les mêmes arguments, il y a quinze ans, face à l’émergence des intercommunalités. Est-ce similaire selon vous ? La métropole aura-t-elle le même destin ?
J.D. Je ne crois pas. Il y a deux options. Soit la métropole est un nouveau truc, fruit de l’Acte III de la décentralisation ; soit nous en avons fini avec les étapes successives de cette décentralisation, et nous ouvrons l’Acte I des métropoles. [pullquote]« Rien n’est jamais gravé dans le marbre. »[/pullquote]
G’. L’existence de la métropole est-elle vraiment menacée ?
J.D. Je n’en sais rien. On verra ce qui sort des débats parlementaires concernant la réforme territoriale, et ce qui sort des controverses et frondes locales. En un mot, bureaucratiquement, rien n’est jamais gravé dans le marbre. Mais la réalité d’Aix-Marseille-Provence est assurément métropolitaine, dans la compétition nationale et internationale.