thecamp, lieu emblématique de l’innovation de la métropole, n’avait jamais encore reçu la visite d’un ministre français. C’est chose faite depuis ce vendredi 15 décembre, et pas de façon anecdotique : Jean-Yves Le Drian, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, est en effet venu y énoncer pas moins que la « stratégie internationale de la France pour le numérique ».
Avant même le discours, l’endroit semble marquer les esprits. Présent sur place, Sébastien Soriano, le président de l’Arcep, l’autorité de régulation des communications, qualifie thecamp de « Villa Medicis du 21e siècle ». Quant à Jean-Yves Le Drian, il déclare que « thecamp permet de décloisonner toute une série d’initiatives, […] une formidable créativité, une fertilisation croisée ». Le décor est planté.
Après une visite du site guidée par l’architecte du lieu, Corinne Vezzoni, le ministre s’est vu exposer certains des projets les plus prometteurs qui y sont menés. Places connectées à Aix-en-Provence, micro-réseau électrique de Vinci pour récupérer l’énergie des véhicules électriques, gare du futur ou drone taxi : Jean-Yves Le Drian a été confronté à une idée du futur plutôt compatible avec l’ambition de la stratégie énoncée, celle d’« affirmer une certaine idée du monde numérique auprès de nos partenaires internationaux ».
Une stratégie déclinée selon trois grands axes
Cette idée s’articule selon trois grands axes : promouvoir un monde numérique ouvert, diversifié et de confiance ; promouvoir un Internet européen fondé sur l’équilibre entre libertés publiques, croissance et sécurité dans le monde numérique ; renforcer l’influence, l’attractivité et la sécurité de la France et des acteurs français du numérique.
Sur le monde numérique ouvert, Jean-Yves Le Drian a tenu à insister sur l’attachement de la France au principe de la neutralité d’Internet. Une déclaration pas anodine, au moment même où l’administration Trump fait elle le choix inverse, fortement critiqué outre-Atlantique par de nombreux acteurs du Web, de revenir sur ce principe interdisant aux opérateurs télécoms de privilégier certains contenus sur leurs réseaux.
Cette ouverture est au cœur de la stratégie, qui affirme l’importance de la transparence. Le ministre a ainsi pointé du doigt le risque de vivre dans un « monde numérique manipulé », parlant d’un « nouvel âge de la propagande ». Il a ainsi qualifié l’attitude des grandes plates-formes Web face aux campagnes massives de désinformation d’ « irresponsables ». Le tout récemment nommé ambassadeur pour le numérique, David Martinon, a ainsi été chargé d’établir un contact direct avec ces plates-formes, en lien avec ses homologues allemands et anglais.
Ce devoir de clarté s’appliquera aussi au big data. « Il y a une exigence de transparence démocratique vis-à-vis du big data : les citoyens ont le droit de savoir à quoi servent leurs données », a t-il ajouté.
La coopération au cœur de la démarche
Pour garantir cet Internet ouvert, la stratégie veut réformer la gouvernance du Web. Le mot-clé ici était « coopération », répété plusieurs fois et présenté comme une condition de survie. « Le numérique, ce sont des opportunités et des risques. Les crises surviendront si nous ne remédions pas au manque de coopération dont souffre l’espace numérique […] Le numérique est une nouvelle frontière de la compétition mondiale, il faut aussi en faire un espace de coopération ». Le ministre a insisté sur la nécessité de réformer la gouvernance d’Internet, en la faisant répondre à des conditions de démocratie et de représentativité, pour créer ce qu’il a appelé un « ordre numérique juste ».
Rien n’a été annoncé à thecamp sur la manière d’arriver à cette meilleure coopération mais là encore la nomination d’un ambassadeur pour le numérique envoie un signal clair quant à l’importance de ce sujet.
La stratégie énoncée était aussi dotée d’un volet ressources. D’abord pour les données personnelles, dont la protection est qualifiée de priorité par le ministre. Mais aussi pour la partie fiscale. Là, la ligne de conduite est simple : « que le caractère immatériel du numérique ne le fasse pas échapper à l’imposition ». Il a ainsi affirmé que la perte fiscale de l’Union Européenne due au numérique, entre 2013 et 2015, s’est élevée à 5,4 milliards d’euros. Et de se féliciter des redressements fiscaux infligés récemment à Google et Amazon.
Pas de cybersécurité sauvage
Cette même logique, d’appliquer les règles d’usage au numérique, a été développée également pour le volet cybersécurité. Semblant reprendre ses habits de ministre de la Défense de l’ère Hollande, Jean-Yves Le Drian a dressé le constat d’un monde où les attaques numériques se multiplient, à l’instar de Wannacry (cyberattaque mondiale massive en mai 2017). Pour y répondre, au-delà de ses capacités offensives et défensives, la France fait le choix d’inscrire son action diplomatique dans le cadre d’outils déjà existants : en cas de cyberattaque, un pays sera incité à saisir le conseil de sécurité de l’Onu ; toujours lors d’un conflit, la stratégie demande l’application du droit de la guerre humanitaire au cyberespace, par exemple pour protéger les civils. Le ministre a été particulièrement clair vis-à-vis des acteurs privés souhaitant se livrer au hackback, leur interdisant cette pratique consistant à contre-attaquer en cas de cyber agression.
De cette stratégie, qui se veut modèle, découle l’ambition d’accroître l’attractivité et l’influence de la France, manière de résister au risque d’ « hégémonie culturelle » souligné par Jean-Yves Le Drian. Celui-ci a rappelé qu’une croissance naturelle de l’Internet francophone était en cours, profitant de l’amélioration de la connectivité en Afrique. Si 3% de l’Internet est francophone aujourd’hui, ce pourcentage devrait passer prochainement à 8%.
Une diplomatie cyber
Pour accompagner ce mouvement et faire entendre sa stratégie, le ministre a clairement énoncé sa volonté de renforcer la présence en ligne de la France. « Nous devons fournir un effort pour nous doter d’une filière de diplomates cyber » a ainsi précisé le ministre.
Une volonté qui fait écho aux propos initiaux de Lionel Minassian, le vice-président de thecamp. En ouverture d’une table ronde précédant le discours de Jean-Yves Le Drian, il a remercié le ministre d’avoir choisi la Provence et thecamp pour son discours. À ses yeux, ce choix, « c’est aussi montrer que depuis la Provence et les quatre coins de la France, il est possible de parler au monde ».
Lien utiles.
[Numérique] Le Drian dévoile la stratégie internationale de la France à thecamp (1/2)