Navigateur et cartographe marseillais, François Ollive trace à la main sur parchemin le contour des rivages méditerranéens. C’était il y a plus de 3 siècles et demi, en 1662 ! Cette carte sur peau de bête, richement ornée et colorée (environ 1m sur 1,50), constitue la borne d’entrée de Made in Algeria cette présentation de l’Algérie, 300 ans précisément avant que ce pays n’existe officiellement.
A l’autre extrémité de cette expo, 12 salles plus loin, l’artiste contemporain Hellal Zoubir, (né voici 63 ans à Sidi Bel Abbès), s’amuse à déplacer les continents, intervertir villes et pays. Lima se trouve ainsi près de Grozny et de Monaco… Le Chili occupe l’espace du Canada et Cuba remplace les USA . L’un de ces collages place dans l’hexagone les principales villes d’Algérie : Tamanrasset se substitue à Paris ! Et inversement, Rennes est situé près de la frontière marocaine. L’œuvre se nomme “Map Monde”, et elle intrigue.
Images rares
Cette dernière partie de l’exposition est la seule où apparaissent les traces d’un peuple, d’une nation émergente. Notamment grâce aux photos prises par l’écrivain Mohamed Dib dans les années 1940. Jusque-là, les géographes européens ont surtout cherché à voir comment conquérir ce secteur nord africain, et ses 1600 km de littoral. Au milieu du XIXème siècle, cette annexe de la France sera divisée en trois départements : Oran, Alger et Constantine. Même si, dans les sables du Sahara, les géomètres ne savent pas toujours exactement fixer les limites entre “pays des dattes” et “pays des sauterelles”!
Stéréotypes orientaux
Quelques toiles, comme Le passage des portes de fer (Dauzats -1841) évoquent l’immensité vide de cette région fascinante, comme si elle attendait d’être habitée. A ce moment, les miséreux et rebelles de métropole sont incités à gagner le sud lointain. Et pendant un bon siècle, l’imagerie coloniale accumule les stéréotypes orientaux. Tandis que s’accroît l’indigence des populations locales, les trois quarts de la production agricole et manufacturière sont exportés vers l’Europe.
Il n’est ici question ni du douloureux combat des indigènes pour leur indépendance ; ni de l’exode des pieds-noirs… Non plus des années de plomb ou des souffrances subies plus récemment dans ce pays. Les organisateurs ont préféré puiser dans les archives les plus classiques, les moins polémiques ou sanglantes. Et baptiser le tout d’un étrange slogan anglo-saxon – Made in Algeria. Comme s’il fallait éviter récits et mots qui fâchent ou indignent.
[Pourtant, aurait pu être ici mentionnée cette observation tirée de Boussole, (Mathias Enard, P.119), le tout dernier prix Goncourt :”Ismaÿl Urbain, premier Algérien de France, premier orientaliste à avoir œuvré à une Algérie pour les Algériens dès les années 1860, contre les Maltais, les Siciliens, les Espagnols et les Marseillais qui formaient l’embryon des colons rampant dans les ornières tracées par les bottes des militaires”.. Mais cet ami d’Abd el-Kader mourut, et “la politique de la France était prise de bêtise, engluée dans l’injustice, la violence et la veulerie “.]
Pas sûr que ce choix suscite l’engouement, tant il présuppose l’inverse de ce qui fait une part de la substance du tempérament méditerranéen : la passion, l’emphase, sans oublier le sens du tragique.
Lien utile :
> mucem.org
> Du 20 janvier au 2 mai 2016, de 11 à 18h, tous les jours sauf mardi
Tarif de 5 à 9,50 €]
(Illustration : photo Katia Kameli)