Franck Allisio y est allé de sa conférence de presse en cette fin de semaine, pour dénoncer le fait qu’un an avant les élections municipales Martine Vassal utilise l’argent de la Métropole pour s’afficher sur les abris bus de Marseille. Il y voit un détournement des deniers publics pour appuyer la candidature – non officielle – de la présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du Conseil départemental à la mairie de Marseille.
Quelques esprits tordus pourraient lui répondre que c’est comme si on reprochait à Marine Le Pen d’avoir fait financer par l’Europe des engagements politiques hexagonaux. Arrêtons-là l’ironie et constatons que la bataille des municipales est résolument engagée et qu’elle verra sans doute, au-delà de la confrontation obligée avec Benoit Payan et le Printemps marseillais, une guerre sans merci entre la droite républicaine et son cousin extrême, le Rassemblement National.
D’aucuns contesteront cette dernière parenté. C’est qu’ils n’auront pas prêté assez attention au champ lexical de ces deux camps qui présente, à écouter simplement le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau et le président de LR, Laurent Wauquiez, bien des similitudes.
Le RN l’a compris et se réjouit de voir ses thèmes favoris repris à leur compte par ce qui reste de représentants de ce qui fut longtemps une droite de gouvernement. Immigration, insécurité, protectionnisme… n’en jetez plus la cour des miracles est pleine. Au prix de contorsions qui laissent songeurs les historiens, on entend même des anciens tenants de l’Algérie française voire du pétainisme, se réclamer d’un gaullisme chimiquement pur, quand des revenants de la démocratie chrétienne fustigent l’un des leurs, François Bayrou, Premier Ministre.
Ainsi va la dérive des continents politiques
Dans un même élan mortifère ces derniers applaudissent aux réparties d’un Philippe de Villiers, devenu amuseur public sur CNews, où il traite le pape François de « woke ». On marche sur la tête pourrait-on écrire s’il y avait en l’occurrence un soupçon de cervelle dans tout ça. Pourtant il n’est pas si loin à Marseille ce temps où les anciens supporters de François Fillon faisaient la moue devant un Saint-Père adjurant au stade Vélodrome ses fidèles de ne pas faire de la Méditerranée une « mare mortum » pour les migrants. Comme il n’est pas sûr, de ce côté-là de l’échiquier politique, que le cardinal Jean-Marc Aveline, lui aussi engagé comme le défunt pape dans cette charité-là, compte beaucoup de soutiens alors que certains le disent « papabile ». Ainsi va la dérive des continents politiques, en ce siècle qu’André Malraux prédisait religieux ou condamné au néant. C’est cette funeste alternative qui semble pour le moment triompher.
Ces tristes réalités évoquées, il convient d’observer sur le terrain le mouvement des troupes – quand il y en a encore – des uns et des autres. Pendant que Mme Vassal s’affiche dans toute la ville comme s’en offusque M. Allisio, la tante de ce dernier, la députée Monique Grisetti, ouvre en lieu et place d’une boucherie, une permanence dans le village de La Valentine, fief du maire de secteur (11/12) Sylvain Souvestre et de la sénatrice Valérie Boyer, tous deux LR. Plus qu’un signe une volonté du RN de s’implanter un peu plus, dans la perspective de 2026, dans des quartiers autrefois réservés aux Républicains.
Certes le talent oratoire de la parlementaire reste à démontrer, elle qui n’a pas fait campagne, a refusé toute expression devant la presse, mais a réussi à balayer dès le premier tour une secrétaire d’Etat, l’expressive Sabrine Agresti-Roubache. Cette quasi inconnue ne s’était distinguée, avant son élection, que par un tweet douteux invitant le rappeur Me Gims à rejoindre « sa tribu… pour y traire sa chèvre ». Le RN a heureusement la mémoire sélective et nombre de ses candidats n’ont qu’à se baisser pour récolter les voix que ses adversaires républicains ont fait pousser en s’emparant de ses thèmes privilégiés.
La perméabilité ne joue pas qu’à travers l’espace sémantique
La perméabilité ne joue pas qu’à travers l’espace sémantique, mais il faut aussi compter sur les réseaux souterrains que des élus au profil semblable à celui de M. Allisio ont su faire prospérer. Le CV du député des Bouches-du-Rhône est un modèle du genre. Allisio est successivement passé par les cabinets de Roger Karoutchi, Pierre Lellouche et enfin Nathalie Kosciusko-Morizet, même si cette dernière n’a pas été tendre sur son bulletin de notes lorsqu’elle a mis fin à son contrat : « il était plus concerné par son destin personnel que par son travail. » Il n’empêche que le futur candidat à la mairie de Marseille a beaucoup appris de son passage à l’UMP avant de rejoindre le FN en 2015, qui a fini par le faire roi (RN) d’une circonscription.
Ce danger de porosité guette les LR marseillais d’autant que la bataille pour la présidence du parti entre Retailleau et Wauquiez laissera des traces. Dans une surenchère sans fin, les deux hommes puisent chez ceux qu’ils juraient il y a peu encore comme leurs principaux ennemis, les idées les plus nauséabondes reproduisant à la virgule près des phrases que n’aurait pas renié, avec le subjonctif imparfait en prime, Jean-Marie Le Pen. Les militants marseillais applaudissent à tout rompre lorsqu’on promet le bagne aux OQTF, tremblent à l’unisson lorsqu’on assure que la société s’ensauvageonne, ne veulent rien entendre quand quelques victimes lèvent le voile sur les turpitudes de l’enseignement privé, si longtemps privilégié en notre bonne ville…
Et au bout du compte, ils sont prêts à faire l’expérience longtemps redoutée d’un Marseille dirigée par l’extrême droite. « Après tout, disent discrètement quelques-uns, contrairement à Nice, Fréjus, Toulon, Vitrolles, Orange… on n’a pas essayé ». Pourtant, tous les chemins ne mènent pas à Rome.