Les tragédies permanentes qui ensanglantent Marseille conduisent certains à promouvoir une réponse policière exceptionnelle, voire à envoyer l’Armée dans les cités. Cet appel est un constat d’impuissance devant l’échec de tous les efforts faits depuis des années. Il est vrai que la situation est inquiétante et que plusieurs quartiers sont dans un processus de déqualification. Pourtant il est mensonger de dire que rien n’a été fait. Des sommes considérables y ont été dépensées. Si le résultat est décevant, c’est donc bien qu’il ne s’agît pas seulement de moyens financiers, ni de bonne volonté. Refuser l’évocation d’un appel à l’armée, exige donc de reprendre un par un tous les dispositifs publics dont la défaillance est patente.
Reprendre un par un tous les dispositifs publics dont la défaillance est patente
Certes la répression des trafics en tous genres relève des services de police et de la justice de l’État. Ils sont loin d’avoir les résultats attendus et leur effort doit donc se poursuivre et s’amplifier. Mais en rester là, c’est se cacher derrière une évidence et c’est confondre les conséquences avec les causes de la situation actuelle. Quelques exemples parmi beaucoup d’autres de responsabilités qui ne relèvent pas de la police: l’aide personnalisée au logement a conduit à la concentration des pauvres, les destructions massives de grands ensembles ont aggravé la crise du logement social, l’échec retentissant de la réhabilitation du centre-ville de Marseille a favorisé le délabrement de nombreux immeubles et y a entraîné la concentration de populations précaires, le fait que des enfants soient en dehors de leur domicile la nuit, la ségrégation et la ghettoïsation scolaires gangrènent le système, etc.
L’immense tolérance aux petites incivilités crée un espace pour une violence toujours plus grande
Rien de tout ceci n’est de la responsabilité de la police. Mais c’est elle qui est confrontée aux conséquences de cette chaîne d’échecs. De même c’est l’immense tolérance aux petites incivilités qui crée un espace pour une violence toujours plus grande.
Aborder frontalement la question de la sécurité ne consiste donc pas à se limiter à des opérations de maintien de l’ordre ou de « pacification » spectaculaires. Que la police fasse son travail normalement en commençant par mettre fin aux zones de non-droit et aux trafics en tous genres !
La République par nature est celle de l’inclusion, pas de l’exclusion
Mais parlons des autres services publics, celui du logement, de l’éducation et de la formation, de la culture, des sports, des transports, de la santé, etc. La République par nature est celle de l’inclusion, pas de l’exclusion.
Ceux qui veulent s’exclure, et il y en a, ceux qui veulent consommer les avantages de notre système social sans en assumer la charge, abuser des droits en se moquant des devoirs, ceux qui n’adhèrent pas aux valeurs de ce pays et qui « niquent la France», ceux-là, qui sont bien minoritaires, sont l’arbre qui cache la forêt.
Tant qu’ils respectent les lois et l’ordre public, tant mieux ou tant pis pour eux. Par contre, aucune déviance ne doit être tolérée au nom d’un soi-disant « respect » de traditions étrangères aux nôtres et parfois contraires à celles-ci. Quant aux voyous, tous « bien connus des services de police« , une guerre, oui, une guerre est en cours contre eux. Cette guerre nous n’en ferons pas l’économie, puisqu’ils n’entendent rien et qu’ils sont habitués au silence et à la passivité de leur environnement, quand ce n’est pas à sa complicité. Elle va être longue, tant ils ont pris leurs aises et tant la réplique d’une société démocratique est lente. Mais ne nous trompons pas de cible, n’agrégeons pas autour d’eux la masse des autres qui aspire au contraire à prendre paisiblement toute leur place dans la cité.
Si l’on veut vraiment lutter contre les formes multiples de stigmatisation et d’exclusion, mieux vaudrait donc, ne pas sans arrêt définir les gens par leur religion, la couleur de leur peau, leur origine, leur sexualité, leur adresse, etc. Et se limiter à ce qu’ils sont, à ce qu’ils font, à leurs talents qu’il faut valoriser ou à leurs méfaits qu’il faut punir, les leurs, pas ceux de leurs parents ou de leurs voisins.
Dans ce contexte, la présence des responsables politiques, lors des cérémonies religieuses organisées par des cultes est contreproductive, quand elle permet à certains d’entre eux d’afficher publiquement leur croyance, comme de communier lors de messes catholiques, auxquelles ils ne sont présents qu’ès qualités, au premier rang, aux places réservées « aux officiels ».
Il ne peut y avoir citoyenneté chez ceux qui se vivent comme les « indigènes de la République ».
Contreproductive également, quand ils donnent le sentiment de ne s’adresser à certains qu’au travers de leur religion, à laquelle ils seraient ainsi assignés, sans qu’on ne leur ait jamais demandé leur avis. Personnellement, malgré mon patronyme, je ne suis jamais catalogué de « catholique » et il ne vient à l’esprit d’aucun élu de s’adresser à moi pour célébrer publiquement et officiellement la résurrection du Christ. Pourquoi certains élus se croient-ils donc un devoir d’avoir un comportement de ce type à l’égard d’autres cultes ? Par condescendance comme « au bon vieux temps des colonies » ? Par clientélisme ? En tout cas, ils montrent ainsi qu’ils ne reconnaissent des individus qu’au travers leur appartenance supposée à un groupe religieux. À l’inverse l’affirmation visible de sa religion devient bien souvent la réponse au sentiment d’exclusion car il ne peut y avoir citoyenneté ou civisme chez ceux qui se vivent comme les « indigènes de la République ».
Le fait que la violence dans les rapports sociaux fasse partie de l’éducation de certains va-t-il nécessiter que la police soit partout présente, jour et nuit, dans les bureaux de poste, dans les bus, dans les écoles et les collèges, dans les hôpitaux ? Police ou pas, tout peut s’effondrer faute de valeurs communes, faute de l’envie de fabriquer ensemble un avenir commun pour nos enfants, faute d’aimer la République et ses symboles que sont sa devise, l’hymne national et le drapeau tricolore.
La France est d’abord et toujours une construction politique
La France, c’est une de ses singularités, n’est pas naturelle, ni homogène, elle ne s’appuie sur aucun socle humain ou territorial, dont les caractères seraient déterminés et immuables. Elle est d’abord et toujours une construction politique. Comment maintenir son équilibre si l’on ne croit pas à cet héritage ou si on l’ignore ? Comment tisser des liens alors que règne le culte de l’individu ou du groupe devant lesquels il faudrait se prosterner au nom d’une conception erronée et abusive du droit à la différence ? Car la montée des identités minoritaires, dès lors qu’elle prend la forme agressive de revendications à des droits spécifiques à la différence, ne peut que mettre en péril la notion même d’identité nationale, celle qui nous unit au-delà de nos origines, de nos croyances et de notre passé. Or l’identité de la France n’est jamais figée et ne peut se réduire à être blanc, catholique et amateur de cochon.
C’est la confusion des valeurs, c’est l’oubli du chemin parcouru pour que ce pays soit ce qu’il est aujourd’hui, qui offrent un espace inédit au retour des obscurantismes et aux clientélismes, qui ne sont pas seulement communautaires. Dans cette perspective la poursuite des visites ministérielles à Marseille après chaque meurtre serait une faute politique. Des meurtres, des violences insupportables dans nos écoles, nos hôpitaux, nos transports en commun, ailleurs, il y en aura encore, beaucoup. Penser le contraire c’est ne pas vouloir comprendre la réalité de la situation décrite ci-dessus. C’est confondre les causes et les conséquences des processus en cours.
Seul le rétablissement d’un maillage social à peu près conforme aux normes républicaines permettra à la police d’avoir enfin des résultats
L’œuvre de redressement qu’exige l’accumulation des discriminations et des ségrégations est difficile. Il s’agit d’un effort de longue haleine qui ne doit pas être remis en cause chaque semaine par la chronique répétitive des faits divers sinistres. La police n’aura pas de résultats spectaculaires, d’abord parce qu’elle part de très loin et qu’elle a un gros retard à rattraper, mais aussi parce qu’elle est submergée par les conséquences de défaillances multiples sur lesquelles elle n’a pas prise.
Seul le rétablissement d’un maillage social à peu près conforme aux normes républicaines permettra à la police d’avoir enfin des résultats.
Philippe San Marco
Député honoraire
Le 6 décembre 2025
Liens utiles :
Marseille : l’abandon criminel du centre-ville pendant un quart de siècle (Philippe San Marco)
[Edition] Philippe San Marco à la recherche du « ciment d’une vie commune en Europe »












