Il est un peu plus de 11 heures, ce jeudi 29 novembre. A l’angle du cours Lieutaud et de la rue Jean-Roque, journalistes, parlementaires, staff de la Ville de Marseille, de la Métropole, de la Préfecture… sont sur le pont. Le ministre du Logement, Julien Denormandie est attendu de pied ferme. Quelques habitants et commerçants du secteur veulent aussi saisir l’occasion de lui livrer leurs inquiétudes sur la situation, comme le patron du restaurant-snack Le Sultan. Depuis la série d’évacuation, l’établissement a perdu sa clientèle. « Avec ce qui se passe, il n’y a plus personne, et les gens ont peur de venir car la zone a été évacuée », confie le propriétaire des lieux.
Avant de parler au ministre, c’est à Martine Vassal, présidente du Département et de la Métropole qu’il se confie. L’élue est à l’écoute, rappelle les dispositifs existants et la stratégie territoriale annoncée la veille pour lutter contre l’habitat indigne et dégradé. Mais ce sont d’autres annonces que tous attendent. Celles de l’Etat ! Il faut attendre en fin d’après-midi pour lever les interrogations (lire par aileurs), car pour le ministre, la matinée n’est pas consacrée aux déclarations mais à la visite de terrain.
Julien Denormandie : « Comptez sur ma détermination »
Aux côtés du préfet de région, Pierre Dartout, d’Arlette Fructus, vice-présidente de la Métropole, déléguée au logement, Julien Denormandie est interpellé par trois marseillaises, devant le local de l’association Destinée. « Je me suis mis en hauteur pour vous voir, parce qu’il paraît que vous êtes charmant. Je confirme », lâche une marseillaise, perchée sur sa chaise, sans lâcher son smartphone qui filme la scène. Le sourire est là, comme un masque pour cacher les difficultés. Une dame en profite pour évoquer la condamnation de son propriétaire à faire des travaux, qu’il n’a jamais réalisés. Démunie, seule avec trois enfants, et un loyer à 800 euros, elle se retrouve « abandonnée à elle-même ».
« Vous savez comment on appelle ça : un marchand de sommeil. C’est un trafiquant de misère, un escroc… », lui répond le ministre, la main posé sur le bras de cette habitante. « En tant que ministre du Logement, j’ai déclaré la guerre à ces individus-là, ils profitent de votre détresse. Par la loi, j’ai fait en sorte qu’ils soient considérés comme des trafiquants de drogue. On va aller les taper, faire en sorte de leur prendre leur argent, confisquer leurs biens », promettant de prendre ses coordonnées pour l’accompagner dans ses démarches. « C’est pour ça que je suis venu. On ne va pas tout régler du jour au lendemain, mais comptez sur ma détermination. Tenez bon ».
Une possible défaillance du sol peut expliquer le drame
A quelques mètres de là, au bout de la rue Jean-Roque, une grille de sécurité sépare l’allée d’un site devenu tristement célèbre. Un peu plus haut, sur la gauche, la rue d’Aubagne laisse apparaître les vestiges de la catastrophe du 5 novembre dernier. Un trou béant. Des gravats. Un tractopelle à l’arrêt. Des volets fermés. Une devanture abaissée. Et quelques objets, comme cette valise rouge, au milieu des décombres, rappelant qu’ici huit personnes ont perdu la vie, et d’autres tout laissé derrière elles. A proximité, les discussions techniques vont bon train. Casque de protection vissé sur la tête, les experts qui accompagnent le ministre délivrent leurs premières conclusions. « La durabilité des immeubles n’est pas en cause, déclare à la presse Charles Baloche, directeur adjoint du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), l’un des experts envoyés par Paris pour déterminer les causes des effondrements et évaluer des immeubles voisins.
Construits au XVIIIe siècle dans le quartier populaire de Noailles, au centre de Marseille, les immeubles qui se sont effondrés sont « sans fondation, avec des murs directement déposés sur le sol. Ce mode de construction suppose qu’aucun élément ne soit en position de faiblesse. Si un mur porteur est défaillant, soit par lui-même, soit par le sol, l’effondrement est garanti ». Les experts étudient une possible défaillance du sol : « Si la maçonnerie est sèche, normalement il n’y a pas de problème », poursuit Charles Baloche. « On en déduit que le problème vient du sol ». Deux hypothèses sont avancées : soit la qualité, soit un excès d’eau dû à « des canalisations rompues » ou « des eaux de ruissellement qui ne sont pas canalisées comme il convient ».
Le reste des immeubles alentours a été visité et ne fait « pas apparaître de risque structurel qui laissait penser qu’ils allaient s’écrouler dans la minute ou dans les heures qui viennent », indique, quant à lui, Jean-Philippe d’Issernio, directeur de la direction départementale des territoires et de la mer des Bouches-du-Rhône. « Ils sont maintenant suivis depuis trois semaines et ne bougent pas ». Malgré tout, les habitants ne sont toujours pas autorisés à rentrer chez eux, l’expert n’étant pas « clairement en mesure de donner un délai », car « il faut lever un certain nombre d’incertitudes sur les sols ».
Les habitants toujours en proie à la peur restent solidaires
En attendant, d’autres habitants qui vivent toujours dans le secteur disent continuellement « avoir peur ». « On est passé une heure avant que le bâtiment ne s’effondre pour amener les enfants à l’école. C’est un choc. Même les enfants sont choqués, à la moindre pierre qui tombent ils sursautent », raconte Kader, qui vient chercher régulièrement des denrées alimentaires (reste d’invendues) dans le local de l’association Destinée. Hafida, qui gère le lieu, connaît d’ailleurs la plupart des personnes évacuées puisqu’elles viennent s’approvisionner au local. « On essaye de leur préparer un Noël pour essayer de redonner de la joie, de la gaité dans le quartier, car il est endeuillé, depuis ce drame on est tous en deuil ».
Sally Boutaleb, elle, connaissait les huit victimes de l’effondrement. « J’ai perdu des amis », lâche-t-elle, en colère. La visite du ministre ne lui fait pas grand effet. « Si on avait voulu faire quelque chose pour la rue d’Aubagne, comme pour ce quartier d’ailleurs, ça aurait été fait bien avant qu’une catastrophe n’arrive. Il n’y avait pas la volonté de faire ! » Présidente de l’association socio-culturel algérien, depuis le drame, elle invite chez elle pour des repas, les évacués, les laissés pour compte, ceux qui ne maîtrisent pas bien la langue et qui n’arrivent pas à se démêler avec l’aspect administratif.
Solidaire aussi cet homme, Rémi Cohen, qui demande à Julien Denormandie de déclarer un état de « catastrophe technologique pour permettre aux personnes d’être indemnisées par les assurances » et « de réquisitionner les appartements de la rue de la République vides ». Avant de dénoncer : « la plupart des arrêtés de mise en péril pour évacuer les habitants ne sont pas délivrés. Mercredi, deux personnes se sont barricadées chez elles, parce que justement elles n’avaient pas ces arrêtés ». « Moi, je suis là pour appuyer la Mairie et la Métropole qui sont en charge de ça, pour qu’on aille beaucoup plus vite », affirme le ministre, avant sa rencontre, jeudi après-midi avec Martine Vassal et Jean-Claude Gaudin.
Ceux qui ont connu ce quartier avant la tragédie diront unanimement qu’il a perdu son âme, en une fraction de seconde. Une minute de silence a été observée devant ce qu’il reste du 63 et 65 rue d’Aubagne.