Le patron de sciences Po Aix en Provence, le professeur de droit public Rostane Mehdi, faisait partie de la délégation qui accompagnait Emmanuel Macron lors de son déplacement en Algérie, à Alger puis à Oran, du jeudi 25 au samedi 27 août 2022. Un déplacement où le président Macron a joué son va-tout pour débloquer une situation inextricablement embrouillée.
La signature, inespérée d’une déclaration finale (lire l’intégralité en document source en bas d’article) au salon d’honneur de l’aéroport international Houari-Boumediene montre que diplomates, politiques, entrepreneurs ou acteurs culturels ont voulu écrire une nouvelle page. Elle complète les cinq accords signés dans les domaines de la santé, de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et du sport. Comme toujours, cet équilibre et ces accords autour de textes âprement négociés sont fragiles et il dépendra de la ténacité des présidents, mais aussi de la mobilisation réelle, concrète, vivante… et libérée de la société civile.
Kabyle par son père, breton par sa mère, Rostane Mehdi porte un regard lucide et engagé sur son pays natal. Pour Gomet’, il dévoile les coulisses de cette mission et partage l’espoir qu’il porte d’un renouvellement des liens entre les deux pays. Interview.
Vous avez, comme d’autres, reçu le carton d’invitation du service du protocole de l’Élysée pour accompagner le Président Macron fin août. Pourquoi avoir été identifié comme personnalité nécessaire à ce voyage présidentiel ?
Rostane Mehdi : Il y a, je crois trois raisons, sans hiérarchie entre chacune d’entre elles.
- La première, c’est que je dirige une grande école qui a une vocation méditerranéenne ancienne.
- Le deuxième élément tient à mes engagements et aux expériences euroméditerranéennes qui ont été les miennes. J’ai par exemple créé une école, un réseau, l’École doctorale des juristes méditerranéens qui réunit une quinzaine de facultés du pourtour méditerranéen, dont trois facultés algériennes. J’ai été rédacteur d’un rapport au début des années 2000, commandé par Romano Prodi, président de la Commission européenne sur le dialogue entre les peuples et les cultures en Méditerranée. J’ai mené un certain nombre de missions de formation et d’expertise en Algérie. Mes interventions en Algérie, ont consisté par exemple à former des hauts magistrats en droit international et européen.
- Enfin troisième élément, je suis franco-algérien. Je suis né en Algérie, j’ai grandi en Algérie et je suis venu en France faire mes études supérieures. Dans une délégation qui comptait de très nombreux franco-algériens, ma présence ne déparait pas !
Quel bilan tirez-vous de ce voyage présidentiel ?¶
R. M. : C’était une visite réussie, pour ne pas dire très réussie. Cette visite réinstalle un dialogue et un dialogue au plus haut niveau après une succession de crises ou de tensions. L’année dernière, il y a eu un rappel d’ambassadeurs ! On réinstalle un dialogue de très haut niveau puisque c’est entre les chefs d’État, qui ont prévu de se revoir une fois tous les deux ans dans le cadre d’un haut Conseil de la coopération.
C’est une visite réussie parce qu’elle relance la coopération dans des secteurs qui avaient été durement impactés par les crises : le partenariat économique, la transition énergétique, la coopération culturelle, la coopération en matière d’éducation, de sciences, de sport. Les relations n’étaient pas au point mort, mais elles étaient diffuses et là, on sent maintenant une volonté politique partagée, claire de porter la relance de ces relations partenariales.
Les bases d’un partenariat tout à fait inédit, un partenariat stratégique.
Rostane Mehdi
La troisième raison essentielle de cette réussite c’est qu’elle pose les bases d’un partenariat tout à fait inédit, un partenariat stratégique. C’est la première fois que les deux chefs d’État se rencontrent, accompagnés de leur ministre de la Défense, (en Algérie, le chef de l’État est ministre de la Défense) des chefs d’État-major des deux côtés et des responsables des services de sécurité. C’est inédit. La stabilité au Sahel et dans l’Afrique subsaharienne est une préoccupation partagée, c’est une donnée sécuritaire très importante.
La déclaration finale aborde très clairement le rôle des binationaux, alors que l’on a connu en Algérie, contrairement au Maroc qui accompagne ses “MRE”, des réticences, voire des difficultés pour accepter cette double appartenance et son potentiel pour le pays…¶
R. M. : Cette visite a permis de clarifier le rôle des binationaux comme un pont entre les deux pays. Le président de la République l’a dit de manière très forte dans le discours qu’il a prononcé à la Villa des Oliviers (résidence de l’ambassadeur de France) et c’est un point qui a été repris dans la déclaration finale. Je suis professeur de droit et je m’en tiens aux engagements qui sont pris. Pour la première fois dans une déclaration commune signée par les deux parties, le rôle de la communauté binationale est souligné et mis en évidence comme étant un atout pour la prospérité de la relation France Algérie. (NDLR Les deux pays ” s’engagent par ailleurs à valoriser le potentiel que représentent la communauté algérienne en France et les citoyens binationaux dans le développement de la relation bilatérale et à appuyer les projets que ces acteurs portent en ce sens en France comme en Algérie”. Déclaration commune du 27 aout 2022 )
Les aspects de mémoire refont surface souvent et brouillent les relations franco-algériennes. Pensez-vous que ce voyage a permis d’avancer positivement ?
Il faut apaiser les tensions en faisant en sorte de réactiver le dialogue, en donnant la priorité à l’histoire sur la mémoire
Rostane Mehdi
R. M. : Il faut apaiser les tensions en faisant en sorte de réactiver le dialogue, en donnant la priorité à l’histoire sur la mémoire. La mise en place de cette commission d’historiens permettra de mettre à distance des mémoires qui sont pour l’instant des mémoires concurrentielles. L’objectif est de trouver un point d’équilibre entre une perception objective des choses. L’indépendance de l’Algérie devait advenir et la légitimité de cette cause est peu discutable. Même si elle est discutée dans certains cercles mais cela ne doit pas effacer la réalité des douleurs. L’indépendance de l’Algérie ne se discute pas, c’est une cause légitime, mais il faut que chacun entende que l’accomplissement de cette cause légitime a probablement généré des douleurs, des cassures, des blessures qui peinent à cicatriser dans toutes les communautés. C’est un objectif qui, qui peut être atteint, il n’est pas hors de portée, le travail de Benjamin Stora constituant à cet égard, une première étape tout à fait remarquable.
Le Président Macron a insisté sur le rôle de la société civile dans la relance des relations franco-algériennes. Comment déclencher des dynamiques nouvelles ?
R. M. : L’engagement des chefs de l’État est une condition indispensable, mais ce n’est pas une condition suffisante. Ce grand dessein ne peut aboutir que s’il relève de l’évidence dans la profondeur des sociétés. Notre région est emblématique de cette société civile transfrontière. Vous avez dans cette région des centaines de milliers de gens, qui ont peu ou prou un rapport avec ce qui se passe sur l’autre rive. Ce sont des Franco-Algériens, des descendants des pieds-noirs ou la communauté juive qui est pour l’essentiel originaire de l’autre côté de la Méditerranée et en particulier de l’Algérie. Nous avons là un atout, un levier pour franchir un seuil dans le renforcement des relations entre les deux pays.
Et là, tout reste à faire ! Nous avons à mon avis deux priorités.
La France a un rôle à jouer dans la formation des élites algériennes, dans la formation des formateurs algériens. C’est un investissement de long terme, un investissement qui à mon sens permet d’assurer la fluidité et la stabilité des relations entre les deux États. Il est indispensable de renforcer l’attractivité et l’accessibilité de nos universités. Le président Macron a annoncé qu’il y aurait 8 000 étudiants algériens de plus en France cette année, c’est très bien, il n’y en a que 38 000. Cela passe peut-être par la mise en place de campus numérique qui permettraient à un nombre plus important d’étudiants algériens de s’inscrire dans nos formations et d’y suivre des enseignements leur permettant, le cas échéant, de rejoindre dans un deuxième temps les Masters offerts par nos universités. Ça conduit aussi à réfléchir à la politique de droits d’inscription, peut-être faut-il les modérer : les droits d’inscription prohibitifs peuvent détourner des étudiants algériens et les conduire à faire d’autres choix. La Russie ou la Chine donnent des bourses !
Nous devrions réfléchir à l’opportunité qu’il y aurait à créer un office franco-algérien de la jeunesse
Rostane Mehdi
Nous devrions réfléchir à l’opportunité qu’il y aurait à créer un office franco-algérien de la jeunesse un peu comparable à l’Office franco-allemand de la Jeunesse dont on sait qu’il a qu’il a produit des effets extrêmement positifs, parce qu’on investit dans la profondeur de la société. Faire en sorte qu’un petit Algérien ou une petite Algérienne soit accueilli dans une famille d’accueil pour des vacances en France ou inversement, un petit Français, une petite Française dans une famille d’accueil en Algérie, c’est un investissement de long terme et ça renforce le niveau d’interconnaissance. Ce sont des points qui n’ont pas été abordés dans la déclaration mais sur lesquels nous gagnerions à réfléchir.
En tant qu’établissement d’enseignement, comment pourriez-vous contribuer à ce rapprochement ?
R. M. : L’une des caractéristiques de notre établissement est que notre école est enracinée dans un environnement euro-méditerranéen. C’est en faisant notre travail d’abord que nous serons utiles aux partenariats entre la France et l’Algérie. De quelle manière ? Nous avons créé par exemple un laboratoire méditerranéen de sciences sociales, le centre méditerranéen de sociologie, de science politique et d’histoire, Mesopolhis, qui est une unité pluridisciplinaire de sciences sociales placée sous la triple tutelle d’Aix Marseille Université, de Sciences Po Aix et du CNRS. À Sciences Po Aix, nous avons relancé l’enseignement et l’étude du monde arabe contemporain, y compris l’enseignement de la langue arabe. Nous devons faire notre travail de manière sérieuse pour être dans le domaine scientifique et dans le domaine pédagogique l’interlocuteur naturel, ou l’un des interlocuteurs privilégiés, de la coopération entre l’Algérie et la France dans le champ universitaire.
La semaine prochaine, la suite de notre entretien avec Rostane Mehdi.
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