Peindre la neige ne consiste pas à étaler simplement sur la toile la pâte blanche sortant du tube. Le pinceau du virtuose glissera ici ou là des traces de bleu, du gris ou du violacé, un soupçon de bistre. Ainsi travaille Alfred Sisley, le plus français des peintres anglais, qui a consacré sa vie entière à décrire des paysages. « Je commence toujours par le ciel » affirmait-il. De l’aveu même de la commissaire de cette nouvelle exposition à l’hôtel de Caumont, MaryAnne Stevens, sur 900 tableaux répertoriés, quelques-uns sont carrément « moches ». Certains des meilleurs – quoique méconnus – ont trouvé place sur les cimaises aixoises.
Pan de mur jaune
Ne cherchez pas sur ces deux étages de portraits fouillés, ni de pittoresques personnages. Tout au plus de vagues silhouettes humaines, parfois seulement de dos. Car l’Impressionniste se borne à restituer l’émotion que lui procure l’écoulement de ce cours d’eau, ou ce pan de mur jaune, comme l’aurait intensément ressenti Bergotte, un des héros de Marcel Proust, dans sa Recherche du temps perdu. Lorsqu’il faut explorer un verger et ses feuillages enchevêtrés, Sisley convoque toute la gamme des verts sur sa palette. Et puis aussi du violet translucide, au rose le plus ardent, de l’indigo à l’orange, ce puriste barbu cherche à capter, et à fixer sur son chevalet, la lumière, dans la moindre de ses variations et tonalités.
Expert du contrechamp
De cet artiste , qui jamais ne se lasse de fouiller le motif, Matisse dira : il est « un moment de la nature ». Et s’il pouvait porter le regard plus loin que la trace des nuages dans le brouillard d’automne, ou au delà des vibrations des reflets sur la Seine, par exemple colorer la fraîcheur d’une brise, nul doute que ce créateur s’y efforcerait. Près de Londres, à Hampton Court, il y a un pont sur la Tamise. Alfred Sisley n’installe pas son trépied à distance pour le représenter, ni sur l’ouvrage même… Mais en dessous, là où les piles de bois plongent dans le fleuve, supportant le tablier horizontal, et progressant en parallèle jusqu’à la rive d’en face. Ce choix de cadrage exceptionnel, que les cinéastes baptiseront ultérieurement contrechamp, l’historien de l’art Kenneth Clark l’apprécie comme « le moment parfait de l’impressionnisme » (1874).
Mort à Moret
Après des décennies d’observation détaillée et de promenades colorées entre Argenteuil et Bougival, Sèvres et Louveciennes, tandis qu’à Paris se soulèvent les Communards, le peintre tournera deux ans autour de l’église de Moret-sur-Loing, à proximité de la forêt de Fontainebleau. C’est là qu’il meurt, avec le siècle, en 1899.
Malgré d’insistantes démarches, la France ne lui aura pas accordé sa nationalité.
Si Zola regrette que l’École impressionniste n’ait pas réalisé de prodiges esthétiques à vocation éternelle, Pissaro verra dans L’Inondation à Port Marly (1872) de Sisley rien moins qu'”un chef d’œuvre“. Pour tous ceux qui redoutent la canicule estivale, quoi de plus rafraîchissant pour l’esprit qu’une visite à Caumont, en compagnie d’Alfred ?
Liens utiles :
> Notre précédent article : [Exposition] À venir, Sisley l’Impressionniste au centre d’art Hôtel de Caumont d’Aix-en-Provence
> Sisley l’impressionniste, du 15 juin au 15 octobre www.caumont-centredart.com
> Tous les jours de 10 à 19h, nocturne le vendredi jusqu’à 21h30
> Prix d’entrée 14 à 10€.