Dimanche soir 9 juin, ils seront 81 qui vont endosser les habits neufs de députés français européens, alternant leur lieu de travail de Bruxelles à Strasbourg et de Strasbourg à Bruxelles. Quel sera leur quotidien pendant ces cinq années au milieu de 720 de leurs compères? Sylvie Brunet députée Modem, également élue d’opposition à la mairie de Cassis et ancienne DRH dans des grands groupes et enseignante à Kedge, achève son mandat de cinq ans et elle n’a pas renouvelé sa candidature pour des raisons personnelles. Pour les lecteurs de Gomet’ elle dévoile ce que furent son quotidien et son action pendant ce mandat.
Député européen c’est un métier. Vous étiez DRH, puis enseignante comment, après l’élection fait-on ce job singulier ?
Sylvie Brunet : N’oublions pas que je sortais de neuf années, depuis 2010, au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et que j’étais à mi-temps à Kedge. J’étais présidente de la commission travail et emploi au CESE national. C’était un bon apprentissage, même si l’Europe est plus politique, j’avais déjà une bonne culture du compromis, pour arriver à des textes consensuels. Je suis arrivée au Parlement européen, en commission affaires sociales, avec une assez bonne connaissance des dossiers.
Quels changements avez-vous vécus ?
S.B. : Le gros changement ? C’est le fait d’être dans un groupe politique, de travailler sur des textes législatifs qui vont donc ensuite être transposés par les 27 États membres.
Comment travailler avec les langues des 27 pays, avec des traducteurs omniprésents, avec l’anglais
S.B. : C’était totalement nouveau pour moi ! Les commissions se déroulent à Bruxelles toutes les semaines, sauf la plénière à Strasbourg avec les votes. Nombre de réunions, comme les préparations des commissions en groupe politique, les rencontres bilatérales, sont sans interprétariat, c’est toujours en anglais. Des textes complexes arrivent en anglais, il faut réagir vite. J’ai donc repris des cours d’anglais et je me suis entourée d’une équipe de bons assistants bilingues qui traduisent et saisissent les nuances. Si l’on veut vraiment bosser, être rapporteur et porter des textes, il faut des gens de très bon niveau, ils sont souvent en provenance d’autres pays, parce que les Français, comme les Latins ne sont pas les meilleurs.
La députée Sylvie Brunet choisit de s’impliquer dans quels domaines ?
S.B. : Mon choix s’est porté sur deux commissions : en premier la commission emploi et affaires sociales et de la seconde, la commission droits des femmes. Et il y a eu d’ailleurs souvent des travaux en commun avec ces deux commissions sur l’emploi ou les rémunérations par exemple.
Quels sont les dossiers sur lesquels vous avez pu « faire avancer le schmilblick » ?
S.B. : J’ai beaucoup contribué à des textes en matière d’Europe sociale, ce qui n’est pas simple. Au niveau européen, certains disent que ça ne relève pas de l’Europe : priorité à l’économie. Et puis au fil du temps, on s’est aperçu qu’un marché, ce ne sont pas que des produits, mais des gens qui travaillent, des compétences ou la circulation des travailleurs avec la problématique des transfrontaliers.
J’ai été rapporteur, sur le premier texte sur les travailleurs des plateformes numériques : le travail déclenché par des algorithmes. J’ai rendu le rapport qui a inspiré la directive. Nous étions en position totalement divergentes avec l’extrême gauche, notamment la France insoumise. Pour eux, il y avait présomption salariale pour tous ! Soit 28 millions de travailleurs ! Alors que 5 millions, ce qui est déjà énorme, ne devaient pas être des travailleurs indépendants. Mais nous sommes arrivés à un compromis, grâce à mon travail initial, où j’avais posé des bases équilibrées. Il incombera dorénavant à la plateforme numérique de prouver l’absence de relation de travail.
À part l’extrême droite qui participe peu aux travaux pour être honnête, on arrive à avancer, à trouver des positions de compromis. Mais parfois il y a des blocages. Tous les textes sur lesquels on bosse, demandent des heures de discussion pour trouver l’équilibre des mots qui pourra être transposé dans tous les États membres et faire avancer la législation.
Avez-vous pu faire aboutir un texte de A à Z ?
S.B. : Oui ce fut le travail sur la directive Transparence des salaires (1). J’étais rapporteur pour mon groupe Renew Europe. J’ai pu présenter des amendements. Je n’étais pas le rapporteur sur le texte, j’étais ce qu’on appelle “shadow rapporteur”, c’est-à-dire en fait rapporteur pour le groupe Renew. Ce texte vise à réduire, puis à terme supprimer les écarts de salaire entre les femmes et les hommes à poste égal, donc à travail égal. Dès qu’il y a plus de 5 % d’écart non justifiés, les entreprises sont obligées de produire un plan d’action. On appelle cette directive « transparence », car l’entreprise doit produire des informations à partir d’un effectif de 150 salariés et demain de 100 salariés. Les écarts de salaire dans toute l’Union européenne, sont de 13 %. C’est quand même énorme si on vise 5 % !
J’ai présenté des amendements et j’étais présente à ce qu’on appelle le dernier trilogue, la dernière étape, quand on discute du texte Parlement européen, Conseil de l’Union européenne et Commission. Nous sommes arrivés à un accord final définitivement adopté et qui sera transposé dans tous les États membres.
Quelles sont les oppositions à surmonter ?
S.B. : Il y a des oppositions très, très fortes. La gauche était dans ma commission très puissante et très représentée. Mais le PPE, qui est quand même à la droite modérée, était représenté par un ancien syndicaliste et il y avait souvent un accord avec le leader socialiste et démocrate. L’extrême gauche avait aussi un rôle important, avec des positions parfois très radicales, très déconnectées de la réalité de l’entreprise. Toute la gauche voulait à un moment étendre la directive transparence aux entreprises de 10 salariés. Ce qui est invivable pour une TPE. Nous sommes revenus à une position plus sage.
L’extrême droite participe peu au débat, leur leitmotiv est que « l’Union européenne n’a pas à traiter des questions sociales ». Les oppositions peuvent être sociétales avec Vox par exemple sur les droits des femmes, un groupe qui ramenait tout à la famille. Sa députée refusait par exemple d’augmenter le taux d’emploi des femmes dans l’Union européenne car il est préférable pour elle que les femmes soient à la maison pour s’occuper des enfants !
Votre travail principal s’est fait en commission…
S.B. : Oui, la Commission emploi, composée d’une cinquantaine de députés, elle était présidée par un Roumain qui a été ministre du Travail et qui est membre de Renew Europe group, avec lequel je m’entendais très bien. Le Parlement européen, c’est un travail d’orfèvre. On travaille sur des textes, des heures et des heures, et c’est l’art du compromis, parce que nous sommes 27 pays, avec de multiples courants politiques. Nous parvenons à trouver des compromis, alors qu’au départ les positions sont très divergentes.
Nous avons beaucoup légiféré sous cette mandature, à chaque fois c’est une très grosse mobilisation, mais c’est passionnant.
Il est beaucoup plus facile d’arriver à la guerre que de construire la paix.
Sylvie Brunet
Quelles impressions gardez-vous de ce mandat ?
S.B. : Il est beaucoup plus facile d’arriver à la guerre que de construire la paix. De la même manière, il est beaucoup plus difficile d’arriver à des compromis que de s’affronter, de rester chacun dans sa position idéologique.
Qu’est ce qui est important dans la politique ? Pour moi, c’est de parvenir à avoir un impact sur la vie des gens, de favoriser l’accès au droit, à l’égalité des chances. C’est ce qui m’a toujours porté.
Ce furent cinq ans de travail acharné. C’est très compliqué, nous avons trois institutions, la Commission, le Parlement, le Conseil. J’ai mis du temps à comprendre comment ça fonctionne. Et tous les six mois nous changeons de présidence de conseil. Il y a un côté politique très fort et puis des sujets techniques. Selon les présidences de Conseil les textes avancent ou pas !
Tous les textes que j’ai traités, concernent le quotidien, pas tout de suite, parce que le délai de transposition est souvent de deux ans. Tous les textes qu’on a votés comme la lutte contre les néonicotinoïdes, la directive amiante ne sont pas encore en œuvre. Mais par exemple les chargeurs universels, pour les portables, ça a l’air tout bête, mais c’est très important pour le quotidien.
Un regret ?
S.B. : J’aurais aimé que dans la directive concernant les violences faites aux femmes, on arrive à poser une définition du viol et à faire apparaître la notion d’absence de consentement. Plusieurs États membres, dont la France, n’étaient pas d’accord. C’est un regret parce que c’est un vrai sujet, il y a eu 30 % de croissance des violences faites aux femmes pendant la Covid.
On n’est pas là pour défendre uniquement les intérêts de la France, on défend une position européenne pour un grand marché économique, mais qui doit être aussi un espace de justice sociale. C’est le talisman même de l’Union européenne.
C’est pour le député un travail de grande patience, il faut souvent représenter son dossier, et revenir à l’ouvrage, c’est très juridique, avec beaucoup de rigueur, il ne faut pas lâcher.
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(1) La directive 2023/970 du 10 mai 2023 « visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes » a pour principal objectif de permettre la mise en évidence d’éventuels écarts de salaires pour mieux y remédier.