Jeudi 9 février à la nuit tombée (18h15), le théâtre du Centaure et le centre pénitentiaire Marseille Les Baumettes (CPM) projetteront sur le mur extérieur de la prison le film Baumettes, une fiction de 13 minutes réalisée en 2015 en milieu fermé. Préparée longuement en interne et vécue positivement, côté théâtre comme côté Baumettes, la démarche livrée telle quelle a de quoi étonner et interroger. Quelques explications en facilitent la compréhension et l’acceptation par un plus large public.
Partie intégrante depuis 2011 de la démarche artistique de Camille et Manolo – les directeurs du théâtre du Centaure -, les surgissements sont des apparitions éphémères d’un acteur-centaure dans la vie quotidienne, dans un lieu réel, pour vivre ce que tout le monde vit. Commencés en 2011, en partenariat avec le théâtre du Merlan, ils ont étonné les voyageurs de la gare Saint-Charles, par exemple, ou encore emballé les jeunes habitants de la Busserine. Mais en 2009, suite à un travail du théâtre du Centaure à Cavaillon auquel avaient participé quelques personnes incarcérées au Pontet, l’idée de poursuivre ces ateliers de “centaurisation” dans les établissements pénitenciers a germé. Fin 2014, un dossier est déposé et pour Manolo : “J’ai été étonné de voir à quel point Christelle Rotach, directrice du centre pénitentiaire Marseille Baumettes, a défendu ce projet. Elle pouvait mettre en péril son poste et sa carrière mais elle a été tout à fait d’accord. »
Dossier accepté, les premières actions, à l’intérieur et à l’extérieur de la prison, sont alors menées avec 24 détenus, de 19 à 45 ans, sélectionnés par la direction du CPM. Une sélection parmi les détenus en fin de peine, volontaires, et qui se préparent à retrouver une vie sociale. Mise en relation avec l’animal, par le regard d’abord, venue de certains au théâtre du Centaure lorsqu’il était encore installé à Pastré pour partager des moments avec l’équipe et les chevaux, discussions autour du projet… : les échanges se déroulent bien et certains détenus s’ouvrent, se confient. Pour Jérôme qui a fait partie de cette expérience : « Dans la prison, on a la possibilité de participer à certaines activités. Comme une récompense, si on fait preuve de bon comportement et de volontarisme. Il y a un groupe de musique, un centre de ressources multimedia où moi-même je me suis perfectionné en anglais et en espagnol, on a créé un journal… mais là, ça avait une autre dimension. C’était tellement décalé par rapport à ce que l’on vivait au quotidien… et c’était super ! ». Jérôme, lui, avait eu auparavant l’occasion de monter à cheval mais il se souvient de certains, dont notamment un jeune Mexicain pour qui « le cheval est un signe de richesse et intouchable pour lui ». « On fait ça aussi pour se changer les esprits, pour sortir de sa cellule car, au quotidien, la prison, ronge le champ de vision. Je me souviens de la première fois où on a serré le cheval dans nos bras, tout à coup, on a lâché toutes nos émotions. Et, contrairement à d’autres ateliers, celui-ci a créé du lien entre nous car on continuait d’en parler après, en cellule. »
Au final, une centaine de personnes a participé aux deux jours de tournage de Baumettes. Des détenus mais aussi du personnel pénitencier car des surveillants ont accepté de prendre place parmi détenus lorsque tous ensemble, centaure compris, ils exécutent ce que l’on peut qualifier de danse équestre dans la cour de la prison. Un des plus beaux et étonnants instants du film. De son côté, Manolo se souvient de cette expérience comme « un moment structurant qui fait date. On découvre un endroit de la société qu’on ne connaît pas. Rencontrer tous ces gens, les détenus comme les gardiens de la paix, a été quelque chose de très fort pour nous aussi. On leur a fait partager notre lien à l’animal, le rapport de confiance qu’il faut entre le cheval et l’homme. Je crois que cela a fait grandir tout le monde. Et là-bas, ils parlent sans cesse du dedans et du dehors. Oui, nous, on a une vie en extérieur mais elle est très exigeante car on doit être attentif aux chevaux 24 heures sur 24 ».
Jérôme, sorti depuis, n’a pas encore vu le résultat final, notamment lorsqu’il a été projeté à l’ensemble des participants encore aux Baumettes et diffusé sur le canal interne de la prison. Il sera donc présent, jeudi soir, face au mur, côté rue désormais. Tout comme la directrice Christelle Rotach, le personnel du CPM et les habitants du quartier ou de plus loin. Quant aux actions du théâtre du Centaure, elles devraient se poursuivre encore quelques temps aux Baumettes puisque des ateliers similaires mais sans tournage sont programmées, cette fois, pour les détenues.
(Les photos ont été réalisées par Francesca Todde qui a suivi toute l’aventure. Elles sont encore exposées dans le couloir qui mène au parloir.)