Alors que les projets industriels visant la décarbonation de la production de l’énergie se multiplient sur le territoire, nous donnons la parole à Stéphane Coppey de France Nature Environnement, la plus grande fédération d’associations de protection de l’environnement et la nature. Stéphane Coppey, au regard de sa connaissance des enjeux liés à la filière hydrogène et aux enjeux de transports, ainsi que de son ancrage territorial, est intervenu jeudi 16 novembre à Port-de-Bouc lors d’une réunion de concertation publique organisée par les promoteurs du projet H2V. Pour Stéphane Coppey, l’investissement massif dans l’hydrogène notamment sur le bassin industriel de Fos-sur-Mer doit être évalué à l’aune de l’énergie nécessaire (considérable) pour produire la nouvelle ressource. Il estime également qu’il faut revoir, à la baisse, les estimations des besoins futurs en consommation, invitant à penser « sobriété. »
L’hydrogène, pour quoi faire ? C’est la première question qui vient à l’esprit quand on voit surgir de partout des projets de méga-usines de fabrication de cette molécule miracle : le di-hydrogène (H2), la plus légère et la plus inflammable de toutes les substances connues.
Oui, la question mérite d’être posée quand on sait que, pour le séparer par électrolyse de l’oxygène avec lequel il est combiné dans l’eau (H2O), il faut BEAUCOUP d’électricité, qu’il faut savoir produire (par des centrales nucléaires ?) et transporter (par de nouvelles lignes à très haute tension).
Et c’est la question qui a été débattue ce 16 novembre 2023 lors de la deuxième réunion publique organisée dans le cadre de la concertation sur le projet d’usine H2V à Fos-sur-Mer, à laquelle j’étais convié en tant que représentant de France Nature Environnement (FNE).
L’hydrogène est principalement utilisée aujourd’hui dans des processus industriels permettant de raffiner le pétrole, de fabriquer des engrais, de l’ammoniac, des explosifs.
Elle est produite essentiellement par un procédé dit de vaporeformage du gaz naturel, gourmand en énergies fossiles et fort émetteur de gaz carbonique (CO2).
Avant de parler de nouvelles utilisations possibles de l’hydrogène, il convient de s’interroger sur ses usages actuels : aurons-nous besoin demain de raffiner autant de pétrole, de fabriquer autant d’explosifs (la France est le 3e exportateur mondial d’armes de guerre) et d’engrais, alors que nous voulons désormais protéger nos terres et notre santé ?
On peut légitimement douter que des baisses conséquentes de ces usages aient été prises en compte dans les perspectives de développement de la filière hydrogène, encouragées à coups de milliards d’euros, générant d’incroyables effets d’aubaine pour des industriels parfois peu soucieux d’environnement et d’acceptabilité par les populations riveraines.
Au-delà, quelles seraient ces nouvelles utilisations tant espérées de l’hydrogène pour décarboner notre société ?
Les transports terrestres ?
Plusieurs réseaux de transport public, soutenus par de fortes subventions, ont tenté l’hydrogène : comme la Basse-Saxe en Allemagne avec ses trains, Montpellier et Pau viennent d’abandonner pour les bus : trop cher, trop contraignant en maintenance… Y reviendront-ils un jour, car l’hydrogène restera cher, en lien avec la croissance des coûts de l’électricité que la filière elle-même générera ?
Les transports maritimes ?
La première tranche du projet H2V prévoit de combiner l’hydrogène à du gaz carbonique (fourni par les industries proches) pour fabriquer de l’e-méthanol : pourquoi pas ? De fait, le CO2 sera quand même rejeté dans l’atmosphère mais aura servi à propulser des navires. Mais là encore, quels navires (le commerce mondial est de nouveau en berne) ? Et avons-nous pleinement exploré les possibilités complémentaires offertes par le vent ?
La fabrication de l’acier ?
L’usine sidérurgique de Fos-sur-Mer est le plus gros émetteur régional de gaz à effet de serre et de nombreux autres polluants. Une refonte complète du processus de fabrication y est nécessaire. Pour autant, son exploitant ne se positionne pas à ce jour vis-à-vis du projet H2V. Et quel serait le bilan global, du puits à la roue, d’un tel changement de processus industriel ?
Reste le mode de fabrication à retenir pour l’hydrogène. L’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) s’est penché en avril 2021 sur le sujet, avec l’aide d’une cinquantaine de spécialistes. Ses analyses et conclusions (voir document source pus bas) sont encore d’actualité. Je cite :
« L’objectif européen d’installation de 6 GW d’électrolyseurs (pour la production de 1 Mt d’H2 renouvelable) d’ici 2024 puis de 40 GW (pour 10 Mt d’H2) d’ici 2023 doit être confronté au nombre d’éoliennes (jusqu’à 150 000) et à la surface de panneaux photovoltaïques (près d’un million d’hectares) que cela pourrait représenter. La couverture des besoins actuels de l’industrie au niveau mondial (70 Mt d’H2 renouvelable soit 420 GW) conduirait à la mise en service de plus d’un million de nouvelles éoliennes ou 5 à 6 millions d’hectares de panneaux photovoltaïques. La piste alternative d’un hydrogène bas-carbone issu de l’électricité nucléaire représenterait 400 nouveaux réacteurs nucléaires de 1 GW, ce qui constitue une perspective chimérique […] »
Et l’office préconise en premier lieu, comparatif détaillé à l’appui, de « recourir au captage du carbone, dans un contexte d’utilisation d’énergies fossiles et de veiller à ce que l’électricité utilisée pour la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau soit d’origine nucléaire ou renouvelable, ce qui imposera des mécanismes de traçabilité rigoureux ».
Inutile de rappeler que la perspective de nouveaux réacteurs nucléaires ne fait pas partie du modèle de société envisagé par France Nature Environnement.
Il convient donc, pour FNE, de :
- revoir drastiquement à la baisse les usages actuels de l’hydrogène (raffinage, engrais, explosifs …)
- mieux explorer les possibilités de captation du gaz carbonique (CO2)
- privilégier de petites unités de production de l’hydrogène par électrolyse, en lien avec la production locale d’énergies renouvelables (non nucléaires)
- limiter les nouvelles utilisations de l’hydrogène.
Et si nous pensions avant tout Sobriété ?
Stéphane Coppey
Administrateur FNE Bouches-du-Rhône et FNE Provence-Alpes-Côte d’Azur
Membre du Conseil de développement du Grand port maritime de Marseille