À la Mède, une page de l’histoire industrielle se tourne. L’usine de Total a définitivement stoppé le raffinage de brut en décembre dernier pour se reconvertir en bioraffinerie. Le chantier a démarré avec près de huit cents personnes, salariés du groupe et sous-traitants, qui s’activent chaque jour. Des tours de distillations et des bacs de stockage d’essence ont déjà disparus. Ils devraient laisser la place aux nouvelles installations de production de bioénergies et à un centre de formation qui démarreront l’année prochaine.
Un pari sur la hausse de la consommation du biodiesel
« Ce virage stratégique est indispensable car le tout hydrocarbure n’est pas la solution. Nous avons déjà misé sur l’énergie solaire, nous allons faire de même sur les biocarburants », explique François Bourasse, le directeur de la raffinerie. Il s’appuie sur de nombreuses études montrant la ralentissement du marché pétrolier et la croissance de celui des biocarburants. Le groupe table sur une hausse de 20% de la demande française de biodiesel d’ici à 2020 pour arriver à un total de 3,1 millions de tonnes. « Cela est lié à l’augmentation réglementée du pourcentage des biocarburants dans les carburants, en lien avec le projet de loi relatif à la transition énergétique en France, et avec la directive européenne qui fixe un objectif de 10% d’énergie renouvelable dans les transports en 2020. En France, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit d’augmenter la part des biocarburants à 15 % en 2030 contre moins de 8 % aujourd’hui », justifie Total sur son site internet.
Un biocarburant à base d’huiles usagées et d’huile de palme
Pour transformer une usine vieille de plus de quatre-vingts ans, le groupe va investir 275 millions d’euros dans son projet de reconversion baptisé « Phoenix ». Certaines unités de raffinage sont conservées, d’autres modifiées et de nouvelles doivent être réalisées. Le reformeur, par exemple, est maintenu pour la production d’hydrogène nécessaire au bio-raffinage. Total a choisi la technologie développée par IFP Énergies nouvelles et commercialisée par sa filiale Axens. Elle permet de fabrique une huile végétale hydrotraitée qui se mélange au à un biodiesel issu du recyclage d’huiles usagées pour produire un biocarburant de grande qualité. Surtout, cette formulation pourra être ajoutée aux carburants sans limite d’incorporation, contrairement aux esters plafonnés à un mélange de 7% à 8% selon les pays.
Pour la collecte des huiles usagées, Total s’est associé à Suez qui lui apportera 20 000 tonnes d’huile alimentaire issues des entreprises de restauration rapide et des industriels de l’agrolimentaire. Actuellement, 50% des huiles usagées sont récoltées dans le pays mais Total veut atteindre les 70% d’ici dix ans. « On réfléchit à d’autres systèmes de collectes en France mais aussi à l’international », avance François Bourasse. Avec un objectif de 500 000 tonnes de capacité de production, l’énergéticien doit s’appuyer sur d’autres sources d’approvisionnement. Seuls 30% à 40% des huiles raffinées seront issus de déchets, le reste sera de l’huile neuve : colza, tournesol ou huile de palme… Ces produits seront essentiellement importés mais Total ne donne pas de chiffre précis alors que certains observateurs parlent de 100 000 tonnes. Les écologistes dénoncent les effets pervers de l’utilisation de l’huile de palme dans la production de biocarburants qui provoque une déforestation massive dans les pays fournisseurs comme la Malaisie et l’Indonésie, les deux premiers producteurs mondiaux. Par ailleurs, le site de la Mède va continuer à produire du naphta, un dérivé du pétrole brut utilisé pour la fabrication de plastiques. Il en sortira à terme 600 000 tonnes par an, soit toujours plus que les 500 000 tonnes annoncées pour le biocarburant. Total va également développer son activité de jet fuel pour l’aviation civile en visant de 30% du marché européen. L’étiquette écologique du projet n’est finalement pas aussi verte que le groupe aimerait le laisser penser. Pour compenser, il s’engage à soutenir l’emploi local avec un volet formation et appui de la recherche et des start-up.
L’État demande à Total de compenser les pertes d’emplois causées par son projet
En plus de la perte pour le Port des 5 millions de tonnes de brut importés chaque année par la raffinerie, Total supprime 180 postes avec son projet de reconversion de la Mède. Le groupe pétrolier préfère mettre en avant la sauvegarde de 250 emplois avec son nouveau projet de bioraffinerie mais les pouvoirs publics lui demandent tout de même de faire un effort pour compenser la baisse des effectifs. Lundi 13 février, l’État, la Région Paca, la Métropole et Total ont signé en préfecture une convention de développement économique et social qui engage le groupe à investir dans le tissu industriel local. Total y promet d’investir 5 millions d’euros dans différentes actions en faveur de l’emploi, Le texte prévoit par exemple que les futurs projets industriels du groupe favorisent les sous-traitants du territoire. Total s’engage également à participer plus activement au développement du projet Piicto. Ce soutien pourrait s’étendre à d’autres plateformes comme Henri Fabre ou à la création d’autres pépinières d’entreprises, «un appui qui sera à étudier au cas par cas», précise le texte.
L’article 5 de la convention prévoit le financement par Total Développement de subventions à des projets d’entreprises sélectionnés en partenariat avec les pouvoirs publics. Afin de compenser une éventuelle perte d’activités des sous-traitants de la raffinerie, un fonds de soutien visant à développer leurs activités vers d’autres marchés est créé. Enfin, une antenne de Total Développement régional a été créé à la Mède pour la mise en œuvre des différentes actions de cette convention. Si le préfet de Région, Stéphane Bouillon, se félicite de cette convention en faveur du développement de l’emploi, il insiste toutefois sur le fait que « c’est Total qui paye. Ce n’est pas un groupe en difficulté… On perd déjà de l’activité, on ne va pas payer deux fois en plus », prévient-il. Si l’État comprend les enjeux auxquels doivent faire face les industriels, il assure qu’il se montrera vigilant sur les conséquences potentielles sur l’emploi local.