En quarante ans de carrière, Juan Carmona s’est fait un nom et bien plus. Originaire d’une famille gitane de Malaga, le guitariste prodige naît à Lyon avant de s’installer à Aubagne. Passionné autodidacte de guitare flamenca, il entretient une passion durable pour son instrument. Son talent est rapidement reconnu, et il collabore avec les plus grands noms du flamenco, remportant des prix prestigieux tels que le Concours International de Jerez et le Grand Prix Paco de Lucia.
Après un succès éclatant en Espagne, Juan revient en France et multiplie les collaborations avec des musiciens renommés, enrichissant sa palette sonore. Autodidacte, il compose des œuvres comme “Sinfonia Flamenca” et “Orillas” interprétées par des orchestres internationaux. Ses albums ont été nominés aux Latin Grammy Awards et il a reçu des distinctions telles que le Grand Prix Charles Cros et le Grand Prix Zyriab des Virtuoses de l’Unesco. Acclamé par les figures majeures du flamenco, Juan Carmona allie modernité musicale et traditions flamencas, se distinguant comme un innovateur de sa génération. Il est aussi le directeur artistique du festival qu’il a créé il y a neuf ans à Aubagne, Les Nuits Flamencas, puis les Automnales Flamencas.
Rencontre avec cet artiste de la région à la carrière internationale.
Votre carrière en quelques étapes clefs ?
Juan Carmona. A l’âge de sept ans j’avais déjà cette ambition de me professionnaliser. A 14 ans je donnais mes premiers concerts dans la région, sur Marseille et Aubagne. Mon premier grand concert c’était à la rue Grignan au Temple. Ma carrière nationale est lancée peu de temps après lorsque je pars en tournée avec Francis Lallane. Je rencontre par la suite Claude Lelouch avec qui je travaille sur le film « La Belle Histoire » et le compositeur Vladimir Cosma. Ma carrière prend son élan jusqu’au moment ou je me rends en Espagne, à Jerez de la Frontera, la terre du flamenco, j’y reste une douzaine d’années. Las-bas je participe au grand concours de guitare de 1988 que je remporte. A partir de ce moment, je commence ma première tournée mondiale, du Théâtre Bolchoï en Russie au grand Opéra de Sydney en passant par les salles new-yorkaises. En 2003, 2006, 2010 et 2014, mes albums flamenco sont nommés au Latin Grammy Award.
Auriez-vous une anecdote à nous raconter ?
J.C. Ma rencontre avec Camaron de la Isla. Un jour je me rends chez son guitariste, Tomatito, à Almeria qui avait entendu parler de ma musique et qui souhaitait me rencontrer. Camaron était installé à table, j’étais avec mon frère on n’y croyait pas. Pour moi c’était comme voir Mickaël Jackson en vrai ! J’ai eu l’immense privilège de jouer toute l’après-midi avec Camaron, il m’a enregistré sur une cassette. Je le garderai à vie ça !
Quelle est votre particularité artistique ?
J.C. A force de voyager aux quatre coins du globe, j’ai rencontré des musiciens de tous genres. Du jazz, de l’oriental, du classique, et à chaque fois mes projets sont des concepts discographiques. Mon dernier album, Zyriab 6.7 est un hommage au grand compositeur Zyriab, inventeur de la musique arabo-andalouse. Ce compositeur a été chassé de l’Irak et a traversé plusieurs pays avant d’arriver à Cordoue (Espagne). Dans mon album, chaque composition fait référence à un pays de sa traversée. Pour la Turquie par exemple, j’ai collaboré avec l’orchestre symphonique turc, au Maroc j’ai invité les musiciens du Roi du Maroc.
En 2015, l’Unesco a décerné à Juan Carmona le Grand Prix Zyriab des Virtuoses. En apprenant l’histoire de Zyriab, un inventeur méconnu de musiques et de pratiques, ainsi qu’homme de lettres, astronome, géographe et fondateur du premier conservatoire d’Europe, Juan Carmona le décrit comme “le Léonard de Vinci de son époque”. Inspiré par cette figure, il a voulu lui rendre hommage.
Un jour, je reçois un appel de Pékin, « la grande star chinoise veut faire un morceau avec vous » m’annonce-t-on au bout du fil. Improbable, à milles lieues de ce que je fais. Mais avec mon équipe on a saisi l’occasion, on s’est régalé.
Et vos influences musicales ?
J.C. Le jazz, j’ai eu la chance de rencontrer à 18 ans le fils de Django Reinhardt, la référence des gitans qui veulent jouer le jazz manouche. Je suis aussi un grand fan de Bach et Mozart. J’adore la musique latine, avec le style de Carlos Santana. Dans le flamenco, mon palo favori, je pense, que c’est la Buleria. La Buleria, c’est un jeu rythmique qui offre des possibilités harmoniques infinies.
Selon vous, le flamenco est-il un style universel et audible pour tous ?
J.C. Aujourd’hui, oui. Le flamenco a évolué énormément grâce à toutes ses influences. Dans mes tournées, je me suis rendu compte à quel point cette musique a de l’impact, de la Sibérie à Hawaï, les gens adorent et y adhérent ! Je suis parti à Jerez parce que c’est le cœur du flamenco, c’est aussi l’endroit ou paradoxalement ils refusent la modernité. J’ai souhaité comprendre comment fonctionne la tradition, si on ne connait pas les bases, le flamenco sonne faux. A partir de la tradition, je m’amuse aujourd’hui à moderniser le flamenco. Je garde les pieds dans la terre de mes ancêtres et la tête dans la modernité !
Je garde les pieds dans la terre de mes ancêtres et la tête dans la modernité !
Juan Carmona
Aubagne et le flamenco, c’est aussi une grande histoire d’amour ?
J.C. Le fait d’avoir grandi et évolué en-dehors des terres du flamenco m’a permis de côtoyer d’autres styles musicaux. C’est ici, à Aubagne, que j’ai pu le faire. Je me rappelle que l’on allait répéter dans un garage au tout début, Aubagne m’a ouvert ! C’est dans cette ville aussi que j’ai monté une classe de guitare flamenca au Conservatoire d’Aubagne, il y a cinq ans. J’ai une quinzaine d’élèves, motivés, qui viennent, pour beaucoup, de loin. La passion n’a pas de limite ! Je leur conseille de ne pas dissocier la technique de l’instrument et la culture du flamenco. Je prévois d’ailleurs de proposer à mes élèves un voyage immersif en Andalousie.
Avec vos équipes vous organisez chaque année le festival des Nuits Flamencas, qu’est-ce que c’est en quelques mots ?
J.C. Aujourd’hui, grâce à mon carnet de contacts, je peux réaliser de nombreux projets, et j’ai voulu en faire profiter ma ville. Il y a huit ans, j’ai rencontré le maire d’Aubagne, Gérard Gazay, et je lui ai proposé de créer un festival de flamenco dans la ville. Il a été surpris, car malgré la forte population d’immigrés espagnols à Aubagne, à part le centre culturel de la rue Peypagan, le flamenco n’y avait pas vraiment sa place. La ville craignait que les Aubagnais ne répondent pas à l’appel, mais la première édition a été un succès retentissant. Nous avons donc reconduit le festival chaque année, et les Nuits Flamencas sont devenues une institution. Aujourd’hui, les Nuits Flamencas font venir l’Andalousie au pays de Marcel Pagnol pendant quelques jours chaque année. Le festival promeut le flamenco sous toutes ses formes : cinéma, gastronomie, danse et chant. Avec mon équipe, nous organisons également des ateliers dans les écoles de la ville. Le festival, qui est gratuit, s’adresse aussi bien aux novices qu’aux aficionados (amateurs passionnés). C’est aussi un tremplin pour la scène locale, qui a l’occasion de côtoyer les plus grands maîtres du flamenco pendant le festival.
L’édition 2024 des Nuits Flamencas se déroule à Aubagne, du 4 au 7 juillet. Découvrir la programmation ici.
Et la particularité cette année ?
J.C. À l’origine, le festival était principalement centré sur la danse, mais aujourd’hui, nous l’élargissons davantage à la musique. Le premier jour, un concert avec Pablo Caminero est prévu, où il rendra hommage à Paco De Lucia accompagné de la danseuse Ana Morales. Les grands spectacles d’opéra espagnols destinés au grand public restent une constante, mais le festival propose également des événements plus intimistes. Les festivaliers pourront ainsi découvrir diverses interactions entre le jazz et le flamenco. Cette année, le festival se déplacera également à La Penne-sur-Huveaune et à Gémenos, les 13 et 20 juillet.
Quels sont les retours des grands artistes de flamenco qui sont passés par Aubagne ?
J.C. Le festival dépasse largement les frontières d’Aubagne. Les artistes espagnols évoquent principalement l’accueil chaleureux et enthousiaste du public ici. Au début, nous avions craint que la gratuité du festival attire n’importe qui et perturbe son bon déroulement par du bruit. Mais en réalité, c’est incroyable : chaque année, des personnes, qu’elles soient très intéressées ou non, viennent profiter de la programmation. Elles se laissent emporter religieusement dans l’univers du flamenco ! Et cela, les artistes le ressentent et c’est motivant.
On va continuer à vous suivre… quels sont vos projets pour la suite ?
J.C. L’année prochaine, je célébrerai mes 40 ans de carrière avec une tournée ! Des concerts auront lieu dans de grandes salles, mais aussi dans des lieux plus intimistes, dont une date prévue au Temple de la rue Grignan à Marseille, là où tout a commencé. Je suis en train de former un trio de guitaristes nommé “Guitares du monde” avec Jean-Marie Ecay et Rocky Gresset. Nous prévoyons de partir en tournée à travers toute la France. Cet été, je participerai au festival de guitare de Patrimonio en Corse, aux côtés de la jeune chanteuse Pomme. Ma prochaine création personnelle sera davantage axée sur le moderne et le rap. Je rendrai hommage aux voix féminines traditionnelles et contemporaines, en collaboration avec Alba Moreno.
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