Le sociologue Jean Viard, fin observateur des mouvements de la société française, auteur avec Laurent Berger (ex-secrétaire général de la CFDT) du récent livre manifeste, Pour une société du compromis (éd de l’Aube), interrogé par Gomet’, au lendemain du 1er tour des élections législatives, analyse les raisons d’un scrutin historique où l’extrême droite est au seuil de la conquête du pouvoir.
Un votre contre un président comme en 1981
Selon lui, il s’agit d’abord et avant d’un vote sanction contre le président de la République. « Il voulait une clarification je pense que les Français l’ont apportée. Il s’agit d’un vote sanction contre sa personne et sa manière de gouverner, solitaire et très verticale. » Pour Jean Viard, ce vote rappelle dans ses ressorts l’élection présidentielle de 1981 au cours de laquelle les Français avaient élu le socialiste, François Mitterrand « en votant contre le président sortant Valéry Giscard d’Estaing dont la manière de gouverner la France était rejetée. »
Un vote sur la forme plus que sur le fond ? Outre le discrédit qui touche le président de la République Jean Viard voit dans le vote d’extrême droite une manifestation de l’inquiétude et du sentiment d’abandon de bon nombre de français qui ont un besoin de plus de services et de présence de l’Etat. Le pacte territorial n’est plus rempli observe-t-il soulignant le demande des citoyens en services publics de proximité dans la santé, la sécurité etc. Ces préoccupations sont essentielles et l’Etat n’y a pas répondu. D’où ce sentiment d’abandon et de déshérence qui alimente le vote pour le Rassemblement national. Les précédentes crises comme celles des Gilets jaunes avaient d’ailleurs illustrer cette fracture entre la France d’en-haut et celle d’en-bas… »
L’inquiétude des Français de la périphérie
Peut-on voir dans le vote de dimanche d’autres raisons, comme l’opposition à l’Europe ou à l’islam ? Jean Viard relativise. « Les électeurs ne sont pas anti-européens ni anti-musulmans. Ils ne sont pas dans cette analyse dans les choix de vote. L’Europe est un fait acquis pour la majorité des français. Il s’agit plutôt d’une crise de la représentation de ces Français de la périphérie qui sont orphelins des services publics. »
Quant au pouvoir d’achat ? « Certes il y a des difficultés pour les Français les plus pauvres, mais les statistiques montrent que les Français ont gagné en revenu par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE. Il y a un sentiment de baisse du pouvoir d’achat qui est décalé de la réalité. Autre sujet : la sécurité. « Oui c’est un problème en particulier avec le développement du trafic de drogues et les conséquences que cela entraine en matière de délinquance.» Jean Viard concède que « c’est bien là une réalité inquiétante hors de contrôle » et que « les politiques publiques en la matière ont échoué. » Sur ce sujet, il plaide notamment pour une légalisation encadrée du cannabis afin de convertir le trafic illégal en commerce autorisé et rompre avec la spirale mafieuse.
Liens utiles :
« Pour une société du compromis », par Laurent Berger et Jean Viard, les éditions de l’Aube, 120 p., 14 euros.
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