Vous travaillez dans le monde entier sur des grandes métropoles. Selon vous, quelle est la particularité du territoire Aix-Marseille Provence ?
Bernard Reichen : Chez les architectes, il y a une vision encore naïve des nouvelles métropoles car on voit de grands projets apparaître alors qu’elles sont encore très jeunes, un an à peine pour certaines. Il faut attendre qu’elles soient suffisamment structurées dans leur fonctionnement. A Marseille, par exemple, le véritable enjeu est le rapprochement avec le Département. Une fois que la question sera réglée, on pourra vraiment avancer sur le projet. La taille exceptionnelle de la Métropole Aix-Marseille Provence fait de la mobilité son principal enjeu structurant. L’héritage moderne a fabriqué une division terrible entre les villes. C’est un gros puzzle dans le quel il faut rétablir du lien.
[pullquote]Transports : c’est le train qui doit constituer le réseau majeur.[/pullquote] C’est peut-être ça l’intérêt des métropoles : relier physiquement les territoires. Aujourd’hui, on a vu que le tramway est une élément phare pour le transport car il change en profondeur le visage des villes mais on ne peut pas aller plus loin que 14 kilomètres. Pour nous, c’est le maximum. Avec le tram-train, on peut pousser jusqu’à 40 kilomètres. A l’échelle de la Métropole, c’est le train qui doit constituer le réseau majeur. Ensuite, il sera complété par les transports en commun en site propre puis enfin, on va devoir créé un troisième réseau de proximité avec des véhicules légers électriques.
Vous aviez candidaté à la requalification du Vieux-Port en 2013. Que pensez-vous de ce qui a été fait et comment pourrait-on étendre le projet au centre-ville ?
B.R : J’aime beaucoup l’ombrière de Norman Foster. C’est un geste architectural tout simple, tout bête mais qui est devenu l’un des principaux points d’attraction de la ville pour les habitants et pour les touristes. C’est très structurant d’avoir un lieu de promenade comme ça. Maintenant, il faut aller plus loin et introduire à grande échelle de grands réseaux piétons. On devrait par exemple avoir un parcours piéton continu de Saint-Charles jusqu’au Vieux-Port. Je ne supporte pas que le piéton soit une personne qui a réussi à garer sa voiture. Il faut déclasser certaine voirie et rétablir le parcours du flâneur.
Quel regard portez-vous sur les tours qui redessinent la skyline du littoral marseillais ?
[pullquote] Skyline : J’aime beaucoup ce petit groupe de tours[/pullquote] B.R : Les grandes tours, c’est bien joli mais ça dépend pour quel usage. A New York, c’est un plaisir absolu de sa balader parmi les grattes-ciels. L’histoire de la ville ville s’est forgée autour de cette architecture du gigantisme. Par contre, je ne connais pas endroit plus déprimant que Dubaï qui amoncèle les projets de grande taille sans aucune logique si ce n’est une démonstration de la puissance du capitalisme. A Marseille, on dispose d’énormément d’espaces libres et la taille des projets restent encore modestes. J’aime beaucoup ce petit groupe de tours qui est en train de naître car elles ont l’air de jouets. C’est génial ! Le port de Marseille est constitué par de grands socles horizontaux. Alors si on réalise quelques petits bouquets verticaux qui viennent casser les lignes, c’est très bien.
Sur le périmètre d’Euromediterranée, il y a de nombreuses friches industrielles. Doit-on tout détruire ou s’inspirer de l’existant ?
B.R : Marseille est une ville très intéressante avec de grands espaces constellés de friches industrielles. Notre cabinet est né de la volonté de réhabiliter ces édifices. C’est une seconde nature pour nous. Alors je préviens les décideurs. Il ne faut pas détruire l’existant sans avoir pensé à un projet global derrière. Le déjà là s’impose à nous et il faut s’en inspirer. Les friches ont une grande capacité d’imaginaire qui pousse à faire preuve de créativité sur les usages. De plus, la nouvelle norme RT 2020 va ajouter l’équation carbone à la réhabilitation de ces ensembles immobiliers. On va être obligé de se poser la question du coût de la destruction avant d’engager les travaux.
A Marseille, on voit également revenir de manière récurrente l’idée d’un téléphérique. Qu’en pensez-vous ?
B.R : Sur le principe architectural, ça peut-être très beau mais pour moi, il doit être complètement intégré au réseau de transport en commun. Un téléphérique peut être une bonne solution dans les villes comme Marseille pour desservir des quartiers en hauteur difficilement accessibles.