C’est une relative bonne nouvelle. Pourtant on va entendre des crissements de pneus. Ceux du véhicule qu’ont emprunté les équipes de Martine Vassal et de Renaud Muselier, respectivement présidente de la Métropole et du Département et président de la Région Sud, pour s’engager sur le circuit désormais ouvert des élections municipales.
Tous deux avaient enclenché une vitesse supérieure pour envoyer dans le décor le Printemps Marseillais et le maire Benoît Payan. La sortie de route des Galeries Lafayette les y incitait. Ils appuyaient donc sur le champignon pour propulser un argument : l’hypercentre est en capilotade. La faute bien sûr à la politique conduite depuis 2020. Et puis voilà leur premier tête-à-queue avec une étude financée par la Ville et… la Métropole et la Région.
Réalisée par la Chambre de Commerce et d’Industrie auprès notamment de 270 commerçants elle indique que tout ne va pas si mal dans le pire des mondes. Certes les sondés s’accordent à reconnaître que les difficultés du Centre Bourse peuvent impacter leurs propres activités, mais dans le même temps que la dynamique marseillaise est comparable à celle d’autres grandes villes. A lire l’étude on peut avancer qu’il n’y a pas une situation propre à Marseille mais des tendances qu’on retrouve au plan national avec les difficultés de certains secteurs marchands dont le prêt-à-porter. Il y a fort à parier cependant que dans les prochaines semaines des polémiques décomplexées s’amplifient avec la mauvaise foi avérée de ceux qui ont derrière eux le bilan contrasté de 25 ans de règne sans partage.
Une fois de plus cette bataille inepte, permettra de masquer des maux plus grands qui réclament l’urgence. Ils concernent loin du centre un tiers de la population. Elle est assignée à domicile dans les quartiers Nord, terme générique qui masque une complexité sans nom et sans fin. D’autant qu’ils apparaissent moins dans les rubriques économiques et sociales que dans les chroniques faits-divers où ils nourrissent, comme nous l’avons déjà écrit ici, les mythologies, les séries B, les imaginaires débridés… et surtout les diatribes sécuritaires de l’ultra-droite, de l’extrême droite sans oublier partie de la droite dite de gouvernement.
Albert Camus disait, « Là où il n’y a pas d’espoir, il nous faut l’inventer »
On se prend du coup à souhaiter qu’un nouveau prix Albert Londres s’impose pour aller sonder de près ces terres hostiles. Y survit un tiers de la population marseillaise, souvent méprisée et la plupart du temps oubliée et invisibilisée. Albert Camus disait, « Là où il n’y a pas d’espoir, il nous faut l’inventer ». C’est sans doute ce qu’il aurait dit de ces quartiers Nord, s’il les avait explorés comme il le fit en 1939 en Algérie avec sa Chronique de la Misère en Kabylie, parue dans l’Alger Républicain. Comme on le recommande dans les bonnes écoles de journalisme, il aurait frappé à maintes portes, rencontré le plus de gens possible, examiné comment ils se nourrissent, se chauffent, vivent tout simplement. Et il aurait donné à voir et à entendre la souffrance à vif et peut-être ébranlé quelques idées reçues. L’écrivain journaliste aurait sans doute mis à mal quelque réalité trompeuse, comme l’économie parallèle, celle des trafics remèdes au dénuement.
« I have a dream » aurait alors pu dire un Martin Luther King marseillais. Celui de faits têtus enfin pris en compte par la sphère politique. Mais nous ne sommes pas en 1963 et les batailles électorales qui s’annoncent feront une fois de plus l’impasse sur une plaie ouverte qui n’a pas fini de s’infecter.
D’abord parce que l’appellation quartiers nord est trompeuse. Elle recoupe les 13e,14e,15e, 16e et partie du 3e arrondissement de Marseille soit près de 350 000 habitants. Soit encore un gros tiers de la population de la ville intra-muros. A y regarder de plus près on constate que l’urbanisation y est anarchique, allant des anciennes bastides aux maisons de pêcheurs en passant par des zones pavillonnaires bâties à bas coûts. Elle est aussi monolithique. On passe ainsi, de noyaux villageois, quasi images d’Epinal d’une France profonde avec l’église, la place, « le café du commerce » ou « le bar des amis » où il fait bon vivre en terrasse ou dans les ruelles, à des barres d’immeubles où s’entassent des populations pauvres et sans perspective.
L’illettrisme et l’analphabétisme sont répandus d’autant que le système scolaire est en grande souffrance
Administrativement pour 200 000 de ces Marseillais on parle de « quartiers prioritaires ». Mais une constante s’impose : de Saint-Louis en passant par La Viste, Saint-André, La Rose, Sainte-Marthe, Saint-Joseph, Château-Gombert l’Estaque, ou encore St Mitre, le chômage est endémique. Il dépasse souvent les 50%. La pauvreté s’est enkystée avec parfois 60% des habitants très au-dessous du seuil (26% pour l’ensemble de la ville). L’illettrisme et l’analphabétisme sont répandus d’autant que le système scolaire est en grande souffrance.
Sociologues et historiens se sont souvent penchés sur les raisons de cette injustice. Elles sont d’abord politiques. Ces quartiers ont été trop longtemps considérés comme perdus par les partis dominants. Les socialistes et Gaston Defferre ont fini par les abandonner au profit du Parti Communiste et désormais de la France Insoumise. La résistance d’une Samia Ghali contestée désormais pour son clientélisme est un épiphénomène. La droite et particulièrement Jean-Claude Gaudin n’ont jamais voulu les prendre en compte repliée sur ses gains électoraux dans les quartiers plus huppés. Le FN puis le RN se sont engouffrés dans cette béance permettant de fait à un Stéphane Ravier d’atteindre plus de 50% dans certains bureaux de vote.
Les raisons sont aussi économiques et sociologiques avec des populations sous-diplômées, éloignées des pôles d’activité, victimes de discriminations à l’emploi, privées d’espaces culturels, empêchées par un déficit chronique en matière de transports et pour aggraver le tout tentées par un repli identitaire. La liste est longue et effarante des manques en matière d’équipements collectifs, de protections sécuritaires, de structures éducatives.
La loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 (redéfinie par la circulaire du 31 août 2023), l’engagement de la Métropole Aix-Marseille-Provence, le contrat de ville 2024-2030, l’action de l’Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise ouvrent certes des perspectives à moyen ou long terme pour lutter contre les inégalités sociales, économiques et territoriales, mais l’urgence de la situation laisse craindre en permanence un possible embrasement.
Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach dressaient en 2020 pour la Fondation Jean Jaurès un bilan des quartiers Nord toujours d’actualité et sans appel : « La zone est ainsi particulièrement inégalitaire, et les quartiers les plus pauvres rencontrent de graves problèmes de criminalité, généralement liés au trafic de drogues. Les services publics sont manquants et les logements parfois très dégradés, tandis que les transports sont insuffisants, rendant l’accès au centre-ville mais également à divers loisirs peu accessibles en vue de la topologie du terrain. De plus, les quartiers nord sont fortement exposés à la pollution maritime, notamment des émissions de dioxyde d’azote et de dioxyde de soufre, lié à la présence du grand port maritime de Marseille… ».
Ces éléments ne seront pas forcément versés au débat qui va s’ouvrir dans les prochaines semaines. Ils seront tus par ceux qui vivent des peurs ou de la désespérance que traversent les populations de ces quartiers condamnés à la quasi-perpétuité. On va encore parler d’immigration, d’insécurité, de trafics, d’économie parallèle quand il faudrait parler de femmes et d’hommes… Marseillais à plein temps.




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