Avec ses deux gros nœuds rouges flanqués sur une de ses faces, il trône encore fièrement à l’embouchure de la Canebière, à quelques brasses du Vieux Port. Le sapin parle toujours de la fête, mais il y a des chances que 2025 ne soit pas un cadeau pour le monde politique marseillais. Une chose est sûre, 15 mois avant les élections municipales, ça sent déjà le sapin pour ceux qui vont s’engager dans cette bataille. A gauche, ou à droite, il y aura des dégâts car comme le disait, le ministre de l’Intérieur de Valéry Giscard d’Estaing, le prince Michel Poniatowski, paraphrasant Alexandre Dumas, « en politique on ne blesse pas, on tue ! »
La difficulté d’évoluer sur ce terrain-là à Marseille, c’est que les citoyens marseillais, après avoir vécu les règnes aux longs cours de Gaston Defferre (quelques mois à la Libération puis de 1953 à 1986) puis de Jean-Claude Gaudin (1995-2020) ont eu à choisir, en 2020, dans des élections plus ou moins perturbées par l’épisode de la pandémie du Covid, entre des équipes où ne s’imposaient pas encore de figures charismatiques. Et le scrutin a débouché sur une majorité fragile et un paysage politique phocéen assez semblable à celui de l’Hexagone : une sorte « d’archipel » pour reprendre l’expression de Jérôme Fourquet, directeur du département « opinion et stratégies d’entreprises » de l’Ifop (L’archipel français 2019, au Seuil). L’essayiste décrivait une France politique multiple, comme elle l’est depuis si longtemps, mais surtout fragmentée, comme elle ne l’a jamais été.
Marseille est, elle aussi, plus plurielle que jamais
Marseille est, elle aussi, plus plurielle que jamais. Avec deux pôles extrêmes, antagoniques mais alliés objectifs, sans que l’on puisse savoir encore quel sera l’idiot utile de l’autre. Depuis sa circonscription des rives de l’étang de Berre en évitant de faire des vagues, Franck Allisio qui fut président des « jeunes actifs » des Républicains avant de rejoindre en 2015 le Rassemblement National, rêve d’activer enfin une alliance avec son ancienne famille à la manière d’un Ciotti, mais sans pour autant passer pour le vassal de qui que ce soit. Il se sent pousser des ailes à droite, puisque Bruno Retailleau et Gérald Darmanin brandissent désormais le même étendard de la lutte contre l’immigration, chère à Marine Le Pen et quelques avatars comme Eric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan et autres Florian Philippot. Il sait pouvoir compter sur les Insoumis comme le député marseillais Sébastien Delogu.
Ce camp attisera, à sa manière, cette braise-là en tentant de séduire dans les quartiers les plus déshérités de Marseille une population pauvre, oubliée et fragilisée par « l’opium du peuple. » Karl Marx, qui combattait la religion, est désormais défendu par Jean-Luc Mélenchon, l’ancien enfant de chœur et ex-dessinateur à l’hebdomadaire catholique « La voix du Jura ». Bon, on nous dira que dans cette sphère on veut toujours du passé faire table rase, même si les promesses n’engagent que ceux qui s’entêtent à y croire.
On regarde du coup dans le détail le spectre politique phocéen en constatant son émiettement et en regrettant de fait qu’on ait, dans cette ville, supprimé les cabines téléphoniques. Elles auraient pu servir à beaucoup pour tenir les assemblées générales de leurs mouvements, micros-partis ou associations. « Abondance de biens ne nuit pas » prétend une locution latine, sauf par contre en temps d’élections et Marseille, qui a connu un temps un chien nommé Saucisse candidat mascotte aux municipales de 2001 (dans les 1er et 7ème) risque de se coltiner une fois de plus quelques chevaux de retour, huluberlus convaincus, ou empêcheurs de démocratiser en rond. Les écologistes devraient dans ce contexte jouer à plein leur rôle entre partisans de la décroissance, végétariens, anti-corridas et autres groupuscules plus ou moins énervés.
Il reste les sortis de 2020 et les sortants de 2026
Il reste les sortis de 2020 et les sortants de 2026. Les Républicains d’abord et leur souplesse idéologique. Ils balancent encore entre un macronisme plus ou moins convaincu et un fillonisme ressuscité par la sainte grâce d’un ministre des cultes et de l’intérieur, venu de Vendée pour rejeter les migrants à la mer et jeter les narcotrafiquants aux Baumettes agrandies. Les socialistes ensuite et leur printemps tardif qui envisagent à nouveau de brasser large pour arriver à bon port. Si l’on regarde les vœux que les uns et les autres affichent dans la ville, on peut sans risque de se tromper deviner quel est le cœur de cible des uns et des autres.
Martine Vassal avec une iconographie datant du XIXe siècle réclame une « république forte ». Sa communication s’appuie sur celle d’un ancien régime, la toute jeune (alors) IIIe République qui célébrait en 1892 la première (1792). C’était le temps béni des colonies, des comptoirs dispersés dans le monde, des protectorats nouveaux dont celui des… Comores. Marseille était florissante il y a un siècle et demi, comme l’indiquent encore quelques façades opulentes sur la Canebière, rue Paradis ou place du général De Gaulle. Depuis de l’eau a passé sous le pont transbordeur qui du reste n’existe plus. En ces heures charitables on dira comme St Ex que « la nostalgie c’est l’envie de je ne sais quoi… ».
Benoit Payan et son équipe ont décidé dans les gazettes et sur les panneaux de conjuguer eux l’avenir au présent. C’est une Corniche envahie de piétons, planches à roulettes, poussettes et vélos qui nous invite à scruter vers un lendemain qui chante. On voudrait y croire au moment où les particules fines nous classent en zone rouge, où les automobiles les plus polluantes continuent de nous emboucaner, où la pétarade violente des deux roues terrifie sans complexe les bipèdes qui font le trottoir.
L’afficher bien suffira-t-il pour franchir les mois qui nous séparent du scrutin local ? On en formule le vœu, en songeant cependant comme le philosophe Georg Christoph Lichtenberg que « Janvier est le mois où l’on offre ses meilleurs vœux à ses amis. Les autres mois sont ceux où ils ne se réaliseront pas. »
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Le bloc-notes d’Hervé Nedelec