C’était une de ces matinées ensoleillées où on tarde à quitter la Corniche pour rejoindre le centre-ville. En face de ma tasse fumante, un jeune homme frétillant comme un gardon, qui se rêvait déjà au sommet alors qu’il entamait à peine son marathon pentu.
Renaud Muselier est médecin depuis peu et il s’est tout naturellement inscrit, à la fin de ces années 80, dans le sillage de Maurice Toga, professeur agrégé en neuropathologie qui fut son maître dans sa formation professionnelle et son mentor pour son engagement politique. De la médecine Muselier a appris, à la clinique St Martin où il a côtoyé les polytraumatisés, que l’on n’est jamais à l’abri d’un accident ou tout le moins d’une sortie de route. De la politique où sa boussole familiale lui désigne Colombey les Deux Eglises, il ne sait pas encore, comme Honoré de Balzac, que « le dévouement politique est récompensé par la trahison ou par l’oubli. » Ce jour-là devant le journaliste qui le découvre, il parle beaucoup de son père et de sa mère, résistants, de son grand-père vice-amiral, héros de la France Libre, de Marseille qu’il veut séduire, des tatamis où il a appris la force brutale du karaté mais pas les ruses de l’aïkido. Chez cet enfant gâté, il ne manque que les plaies et les bosses pour revendiquer un statut de leader.
Une « dream team » pour converger vers le petit palais du Vieux-Port
Il va être servi presque quarante ans durant et c’est aujourd’hui, dans un courrier, qu’il revendique pour la droite et le centre le droit d’être à la fois la mouche et le coach dans la perspective des élections municipales de 2026.
Muselier n’a pourtant jamais cessé depuis de nombreuses années d’affirmer qu’il n’était pas candidat à la mairie de Marseille, mais de fait il ambitionne de prendre d’assaut le IVème secteur, ces sixième et huitième arrondissements historiquement détenus par la droite gaudiniste et laissés en 2020, à la surprise générale, au Printemps marseillais et Olivia Fortin.
Un pilier de la droite, croit savoir La Provence, affirme que l’annonce du président de la Région Sud a « rendu hystériques » un certain nombre d’élus du même camp. Muselier, pour enfoncer le clou, claironne qu’il est temps de créer une « dream team » pour converger vers le petit palais du Vieux-Port et bouter Payan hors de ces murs. Le socialiste a, il est vrai, sans le vouloir, irrité son tonitruant adversaire en apparaissant en tête d’un récent sondage de l’Ifop (8 décembre). Il le donne avec 34% des voix devant le Rassemblement National (31%) et assez loin de Martine Vassal (21%).
Muselier a tourné ses canons vers la ville
Cette dernière semble un peu désarçonnée par la charge sabre au clair de son « ami Renaud ». Elle qui avait cru le temps venu de désamorcer le baril de poudre qui menaçait la galère métropolitaine qu’elle barre et sur laquelle est embarqué aussi le maire de Marseille. A la manière du Roi Soleil, Muselier a tourné ses canons vers la ville qu’il accuse tout à trac d’être incapable d’affronter les périls du moment : de la situation des écoles à l’insécurité, en passant par les rendez-vous régionaux et européens manqués. Il impose donc sans ménagement sa gouvernance pour conduire les troupes à l’affrontement de 2026. Lorsqu’il était secrétaire d’Etat auprès de Dominique de Villepin il avait concédé avec humour une réalité : « il fait tout, je fais le reste ».
A le lire c’est l’inverse qu’il propose désormais à Martine Vassal. De quoi troubler, voire terroriser, ses alliés politiques qui se tournent vers l’ancienne garde rapprochée de feu Jean-Claude Gaudin pour sortir de la tenaille que Muselier a refermée sur ce qui reste encore à Marseille de macronistes ou de républicains en état de combattre.
Pour comprendre ce vent soudain qui balaye le landerneau politique, il faut se rappeler comment Muselier a été cabossé trente ans durant par son plus intime ennemi, Jean-Claude Gaudin. Tout gaulliste qu’il est, il peut emprunter à Churchill : « toute nation qui oublie n’a pas d’avenir ». Certes il fut premier adjoint au maire, mais sans jamais avoir eu accès au moindre levier confisqué par les hommes de l’ombre, confidents du monarque phocéen.
Non, il n’a toujours pas digéré les tractations mortelles qui le virent privé en 2008 de la présidence de la communauté urbaine, au profit du socialiste Eugène Caselli alors que la droite était majoritaire. Oui encore, il se souvient combien sa proximité avec Jacques Chirac avait irrité le Premier magistrat de la ville, alors que les gazettes célébraient Muselier après l’agression sauvage de la CGT dont il avait été victime (1er septembre 1994). Et de la même façon lorsqu’il s’en prit au « système Guérini » dans un livre vengeur qui n’avait pas l’assentiment du maire et de son entourage (chez Jean-Claude Lattès en octobre 2011.) La liste est lourde.
Renaud Muselier a 65 ans et plus de souvenirs que s’il en avait cent. Il dit n’avoir d’ambition que pour Marseille. Il ne nous oblige pas à le croire.