Les fêtes de Noël sont, entre autres, le temps des marrons glacés. Passons sur les gifles glaçantes d’un Trump qui nous annonce vouloir annexer le Canada, le Groenland et Panama, d’un Poutine soutenant que c’est un vol d’étourneaux qui, une nouvelle fois, a abattu un avion de ligne ou d’un Kim Jong Hun envoyant en camp de redressement les couples tentés par le divorce. Alors optons pour la formule du philosophe Jankélévitch : « La seule chose sérieuse ici-bas, c’est l’humour ». Et autorisons-nous, pendant ce que l’on appelle aussi la trêve des confiseurs, quelques gourmandises qui, notre carrière durant, nous ont tellement régalés.
A tout seigneur tout honneur, puisque nous avons longtemps œuvré en terre phocéenne, souvenons-nous de Gaston Defferre que quelques-uns lorsqu’il avait le dos tourné osaient surnommer « Gastounet ». Car l’homme qui aimait l’ironie ou le sarcasme était un redoutable bretteur. Il se retrouva ainsi sur le pré pour avoir insulté un député gaulliste, René Ribière. C’était le 21 avril 1967, et Gaston l’emporta au « premier sang », blessant l’outragé à la main. Le maire de Marseille confia qu’il avait visé l’entre-jambe, car il savait que son adversaire se mariait le lendemain de ce duel. Churchill n’aurait pas fait mieux.
Dans les travées du vélodrome Defferre allait aussi droit au but. Ainsi lors d’un match où l’arbitre se faisait régulièrement traiter par les virages « d’enc… », il répondit à sa compagne, Edmonde Charles-Roux, qui ne comprenait pas ce que hurlait la foule à l’adresse de l’homme au sifflet : « Ils disent qu’il a de mauvaises mœurs ! ». On reconnaitra là le sens de la mesure lexicale du Cévenol qu’il était.
Comme on saluera le participant roué qu’il était, lorsqu’un micro était fiché devant lui. Devant un Jean-Claude Gaudin décidé à lui faire mordre la poussière, Defferre eut cette phrase ou plutôt ce silence que les hommes de télévision appellent un « tunnel » : « Monsieur Gaudin vous êtres une espèce de… une espèce de… une espèce de… té je ne trouve pas le mot ! ». Gaudin on s’en doute, quoiqu’éberlué par le culot de son contradicteur, l’avait deviné lui ce mot.
Un « Jean-Clôôôôde » comme l’appelaient ses supporters, qui ne manquait pas d’humour quand il ne sacrifiait pas à son plaisir d’aller jouer les maires… dans la célèbre pastorale Morel. Ainsi interpellé par quelques journalistes sur un feuilleton raté, qui avait tenté en vain de faire carrière sur les petits écrans et qui se voulait, avant l’heure, un « plus belle la vie », il lâcha, feignant la grosse colère : « les pagnolades oui, les couillonnades non ! ».
Grinçant encore, lorsqu’il affronta sans succès Robert P. Vigouroux, à la veille d’un grand chelem, en 1989. Il se savait perdant et avait invité les quelques journalistes qui le suivaient encore à la Pizzeria chez Vincent, où il avait ses habitudes. Nombreux étaient les anonymes qui venaient cependant le saluer. Il se tournait alors vers nous, sans lâcher la main du courtisan et, en forçant un peu plus un accent à la Raimu, nous disait : « Ah pour ça, il viendrait presque me faire le baise main, mais devant l’urne leur main elle fait autre chose ! ».
Et puis, toujours à la même époque, on ne résiste pas à vous conter une anecdote où nous étions très peu de médias, puisque l’affaire des municipales était pliée. Valéry Giscard d’Estaing, dans sa grande mansuétude, était venu prêter main forte à celui qui ne l’avait jamais laissé tomber. L’ancien locataire de l’Elysée se lança dans un immense plaidoyer pour son ami Gaudin. Il était fort enrhumé et sans doute le cerveau passablement embrumé. Il osa : « Marseille où se jette le Rhône ». Jean-Claude devant mon regard désappointé me glissa à l’oreille : « Il dit n’importe quoi ! C’est pas grave plus personne ne l’écoute ! ».
Michel Pezet, un autre adversaire de Jean-Claude Gaudin savait lui-aussi manier le verbe, à la manière d’un scalpel comme l’excellent avocat d’Assises qu’il était. Edmonde Charles-Roux, veuve de Gaston et académicienne Goncourt, ne lui pardonnait pas d’avoir refusé l’alliance que préconisait François Mitterrand pour prolonger l’intérim assuré par Vigouroux après la mort brutale de Defferre. Dans Le Provençal, son journal, on appelait Pezet « le parricide ». Elle faisait donc feu de tout bois. Et savait surtout, même s’il restait discret sur sa vie privée, que Pezet avait été déterminant pour avoir participé à l’écriture, en 1982, de la loi Forni qui dépénalisa l’homosexualité. Dans le quotidien où elle tenait chronique (« Le monde comme il va »), elle avait déniché une petite info venue de Russie qui affirmait que « l’homosexualité tuait plus que le tabac ». Interrogé par nos soins sur ce nouveau coup bas, Pezet alluma sa pipe avec ces mots : « de toute façon moi j’ai tous les défauts ! ».
Il était ainsi un président du Conseil Régional tout dans l’esquive ou le contrepied. Lors d’une élection législative où Tapie lui avait demandé le renfort du PS qu’il dirigeait, il accompagna le tonitruant président de l’OM dans un bain de foule, au cœur d’une grande surface du 9ème arrondissement. Tapie filait bon train et la caméra d’Antenne 2 n’arrivait pas à capter les deux hommes ensemble, jusqu’au moment où ce fut possible. Enfin quelques secondes car Nanard flanqua sa main sur l’objectif pour interdire l’image qu’il ne souhaitait pas. Les journalistes se tournèrent vers un Pezet amusé de ce début de pugilat. Il nous tendit des croissants avec ce conseil : « Il sont délicieux eux, vous verrez ! ».
Ainsi allait la politique alors : virile mais pas toujours correcte ! On n’avait pas à s’en étonner, d’autant que la ville était sans retenue derrière le bonimenteur de charme qui nous expliqua comment organiser le jeu avec lui. Tapie avait le tutoiement facile et nous lança un jour : « Moi c’est simple, quand c’est bon pour moi, c’est « on », quand c’est mauvais c’est « off » ! ». Pas la peine de lui parler de « déontologie », il aurait cru qu’on lui proposait un joueur roumain pour l’OM. Nous nous sommes donc, comme un certain procureur Montgolfier, entêtés à le vouvoyer et à lui dire « monsieur ».
Ce respect-là nous le devions particulièrement à une figure départementale, Louis Philibert, indétrônable maire du Puy Sainte-Réparade à qui, devenu ministre, Gaston Defferre confia les rennes du Conseil Général qui siégeait alors à la préfecture. Ce géant débonnaire avait la palpation facile, comme tous les ruraux qui préfèrent « toper là » avec une main solide, que promettre avec des « paroles verbales ». Jean Roussel premier élu à décrocher, sous les couleurs du Front National, un siège de conseil général, paya cher pour savoir qu’on ne prenait pas impunément la bête à rebrousse poils. Il fit lors d’une réunion un discours provocateur qui eut pour effet de sortir le Raminagrobis départemental du ronronnement où il semblait s’être endormi. « Monsieur Roussel, interrompit le président Philibert, vos amis faisaient la queue pour aller dénoncer nos compatriotes au 425 de la rue Paradis (Ndlr : Le siège de la Gestapo), lorsqu’à 17 ans je rejoignis le maquis ! ». Roussel ne demanda pas son reste. Pour longtemps.
Il était ainsi le chasseur Philibert. Un coup et il faisait mouche. Et puis il osait ce que les autres ne pensaient jamais faire. Lors d’une visite officielle du prince Charles à la mairie d’Aix, il raccompagna le futur roi jusqu’à sa Bentley. Lui tenant la portière, il eut ces derniers mots pour son hôte royal : « Et tu n’oublies pas de saluer mémé de ma part ! » ? Il ne choqua pas Charles qui savait que « Loulou » avait plusieurs fois accompagné la reine Elisabeth lors de ses escapades sur les terrains de chasse de la République. François Mitterrand avait confié ce rôle de confiance à Louis Philibert, qu’il respectait et aimait pour l’avoir si souvent fait rire.
Cette galerie de portrait ne serait pas équilibrée, si l’on n’évoquait pas cette « Maryse » que Gaudin appelait la « Dame d’Aix ». Lorsqu’elle fut élue députée, en 2002, après avoir choisi quelques jolies toilettes sur les conseils de sa chargée de communication, elle fit son entrée dans l’hémicycle avec un tonitruant « bonjour à tout le monde ! ». Jean-Louis Debré, depuis le perchoir, lui servit en retour un « bonjour à vous aussi madame » très policé. Celle qui était née Charton-Massini, ne reniait pas ses origines toulonnaises et si on avait tenté de chasser son naturel, elle serait revenue au galop, comme elle le fit au palais Bourbon, en voulant boxer un député communiste qui, selon ses mots, « s’était manqué à son égard ». Elle avait, il est vrai le respect simple, mais sincère. Le 10 juin 2001, alors qu’elle venait d’être élue maire, elle accueillit les personnalités accourues pour inaugurer la gare TGV sur le plateau de l’Arbois, avec ses mots : « Monsieur le ministre, monsieur le préfet, mesdames et messieurs que je ne connais pas tous, même si vous avez de bonnes têtes… ». Le préfet me glissa à l’oreille : « si nous avons de bonnes têtes, ça va alors… ». Pour le reste de ses exploits verbaux, il faudrait un livre.
Ainsi vont donc nos hommes et femmes politiques. Avec ce petit quelque chose en plus… sans doute l’accent.
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