Par Hervé Nedelec
Pas de vacances pour le devoir d’informer. Ainsi en va-t-il pour les bons élèves marseillais, qui s’affichent beaucoup sur les murs ou dans les journaux, pendant que les cancres continuent à faire tâche sur leur copie.
Une longueur d’avance donc pour la présidente d’Aix-Marseille Provence Métropole. Elle ne cesse d’inonder l’environnement urbain de son faire-savoir. Avant bien évidemment de démontrer son savoir-faire à la mairie de Marseille, qu’elle ne s’interdit presque plus puisqu’elle a convoqué autour d’elle des experts pour un futur programme. Pourtant 2026 est encore loin et la situation nationale et internationale devrait inciter le monde politique local à la plus grande prudence.
Mais revenons à Mme Vassal qui nous annonce, avec une photo pleine d’empathie à l’appui, qu’elle va bichonner le troisième âge, puisqu’elle offrira les transports gratuits en septembre aux plus de 65 ans (et au moins de dix ans). Ça l’affiche bien. Mais entraine aussitôt une riposte de son futur concurrent dans la course municipale, le maire sortant, Benoît Payan. Il a badigeonné lui nos murs avec un message : la police municipale a été très renforcée (les effectifs ont triplé depuis 2020, 600 fin 2024 et 800 en 2026). Mieux, ces hommes et femmes en bleu veillent à notre tranquillité la nuit. Encore heureux qu’il n’y ait plus de réverbères à chandelle, on entendrait dans nos rues et venelles la voix du guet. Celui qui était chargé de moucher les bougies en prononçant ces mots rassurants : « Dormez en paix braves gens ! ».
On aura donc compris qu’il était inutile de croire nos deux bons élèves, lorsqu’ils jurent, sans rougir, que les élections sont loin et qu’ils s’appliquent d’abord à bien faire leurs devoirs. Une petite revue des effectifs de la classe politique permet de nuancer cette image.
Commençons par Renaud Muselier, président de la Région Sud, qui vient de troubler cette studieuse classe marseillaise avec une sortie jugée intempestive. Jusqu’alors c’est son directeur de cabinet à la Région, le turbulent Romain Simmarano, qui profitait de ses récréations pour lancer sur Benoît Payan et ses amis, force boules puantes. « L’insécurité, les quartiers infréquentables, l’immigration incontrôlée, les choix urbanistiques, la propreté des rues, la paupérisation du centre-ville » … tout y est passé avec le principe éprouvé par Trump et ses aboyeurs : la critique peut passer par la « réalité alternative ». Celle qu’on fabrique sans tenir compte du réel. Evidemment la méthode n’est pas sans risque.
Le président de la Région a ainsi fait des Jeux Olympiques d’hiver une priorité et s’il se réjouit de voir construire à… Nice une patinoire pour ce rendez-vous, il s’entête à garder Marseille, peu concernée par cette compétition, en cœur de cible. Il se réjouit d’avoir remis son camp en marche – la droite de Macron à LR en passant par Horizons et quelques micros partis – après avoir évoqué l’éventualité d’une candidature en 2026. Il prévient que « la gauche ne trouvera pas d’alliés » de son côté et tant pis si François Rebsamen, ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, a donné cette semaine un satisfecit à Payan, pour les premières réalisations du plan initié par Macron (31 % des crédits de Marseille en grand déjà engagés).
En attendant que l’artillerie lourde se manifeste enfin, il n’hésite pas à annoter à l’encre rouge la copie de la majorité municipale. Ainsi en va-t-il lorsqu’il estime que le naufrage annoncé du Centre Bourse est à imputer au mauvais élève Benoît Payan. Les Galeries Lafayette ont été victimes selon l’analyse de Muselier de l’insécurité et plus généralement du délabrement de l’hypercentre. Il va plus loin encore suggérant qu’une partie des financements (100 millions) consacrés au plan « Marseille en grand » soit dédiée au redressement de cette situation. Quid du management coupable de la grande enseigne privée, de son choix périlleux d’ouvrir un double près du Vélodrome et de l’émergence facilitée par la municipalité Gaudin, d’une concurrence puissante, privée là encore, avec les Terrasses du Port ?
Les réactions n’ont pas tardé et il a eu droit à un zéro pointé de la part des maires de secteurs de gauche. Ils ont vu dans sa sortie intempestive un manque total de discernement. « Et que devient, s’est-on même offusqué côté mairie, du plan école ? ». Muselier renvoyé dans son coin répond par une métaphore : « le Samu ne s’interroge pas sur le patient qu’il transporte ». Comprenez le public est en état d’urgence, mais il doit faire une place au privé en détresse pour s’être auto-mutilé. Peut mieux faire.
Autre bon élève potentiel, Benoît Payan. Il vient d’affronter un conseil bien discipliné, les lecteurs de La Provence. Lors de ce grand oral bienveillant, le Premier magistrat s’est évertué à éviter les développements imprudents, en économisant les mots et en évitant les envolées trop lyriques. Son intervention, à l’opposé de celles de Muselier, avait un objectif : ne pas perturber ses observateurs d’un jour. Il s’est même inspiré de la sagesse philosophique en évoquant ses rapports (nouveaux) avec la Métropole : « tout n’est pas nul d’un côté et génial de l’autre. Il y a même une vraie amélioration depuis l’époque où la Métropole disait que la ville devait se taire ». Et dans cette mansuétude inattendue d’aller jusqu’à surnoter Martine Vassal pour la politique menée au profit d’une partie significative de la ville : « Sur le Nord on a réussi à avancer et je suis obligé de le mettre à son crédit ». Un ange passe devant tant de bonne camaraderie. Quant aux attaques venues de la Région, Payan les balaye et argue pour faire consensus : « Il y a trop d’élus et ils n’ont pas assez de pouvoir ». La faute bien sûr au millefeuille – Région, Département, Métropole, Ville, secteurs – que beaucoup souhaitent voir disparaitre pour simplifier et rendre plus efficace. Dégraisser le mammouth en quelque sorte. Elève appliqué diront certains de celui qui martèle à l’envi « je suis le maire de tous ». Doit confirmer donc.
Mais que serait une classe sans ses cancres. On aimerait qu’ils soient à l’image de celui de Prévert qui « disait non avec la tête mais oui avec le cœur ». Tel ne fut pas le cas de l’ancien député Guy Teissier. Au dernier conseil municipal il a émis l’idée de débaptiser l’école Simone de Beauvoir (anciennement école Marceau). Le colonel de réserve de pointer du doigt le soupçon de soutien aux pédophiles, pour la compagne de Jean-Paul Sartre. En 1977, elle avait signé de fait dans Le Monde et Libération une pétition en faveur de trois hommes alors que s’ouvrait à Versailles devant la cour d’assises des Yvelines, leur procès, après trois ans de prison préventive. Ils étaient jugés en fait pour « attentats à la pudeur sans violence sur mineurs de moins de 15 ans ». La pétition avait été initiée alors par le trouble écrivain Gabriel Mazneff (aujourd’hui 83 ans) et co-signée par Aragon, Jack Lang, Bernard Kouchner mais aussi Roland Barthes, l’auteur du célèbre Mythologies. Recontextualisée cette pétition à notre époque frôle la malhonnêteté intellectuelle. Mais il est vrai que Simone de Beauvoir associée à Me Gisèle Halimi s’était aussi impliquée dans la défense des Algériennes torturées et violées pendant la guerre d’Algérie. On comprend que ça fasse beaucoup pour celui qui s’est engagé à 17 ans pour l’Algérie Française.
Dans ce même conseil municipal celui que ces adversaires appellent désormais « le Ravier de la crèche » y est allé de son humour franchouillard. Il a contesté l’idée de renommer la « passerelle Estelle », Laurence Chanfreau, militante LGBT. Avec l’élégance qu’on lui connait il a suggéré qu’on l’appelle plutôt « passerelle de la vulve » (allusion à une création de l’artiste lesbienne). Encouragé sûrement par le fait qu’il a été relaxé après avoir parlé de « poing G de Marseille » à propos de Samia Ghali, il a rendu donc sous les huées une copie hors sujet, sans crainte du redoublement. Et puisque ses anciens alliés du RN ne siègent plus, il a pu mesurer son abyssale solitude dans le coin que lui a désigné le maire. Et s’il finissait par intéresser les chercheurs qui ses derniers jours se sont réunis pour « la semaine du cerveau » ?
A Marseille ce ne sont pas les écoles qu’il faut rénover, mais quelques élus.