Notre système de santé est plus que bouleversé par la pandémie de covid-19. Révélateur d’une crise latente, il pose questions. Pour Gomet’, Bruno Ventelou, économiste de la santé, directeur de recherche au CNRS, chercheur à Aix Marseille School of Economics au sein du département environnement santé pose les premiers jalons d’une indispensable remise en cause.
Bruno Ventelou, 53 ans, travaille sur le lien entre l’économie comportementale, la décision médicale, les choix des patients et l’offre et la demande de soins. Expert reconnu il a été membre de l’IHU Méditerranée Infection, et il a travaillé pour l’Inserm. Il collabore régulièrement avec l’Observatoire régional de la santé.
Qu’est-ce que la crise sanitaire que nous traversons a révélé sur notre système de santé ? Particulièrement sur l’hôpital public ?
Bruno Ventelou : Nous avons fait le choix d’une spécialisation des hôpitaux, ces dernières années, vers la prise en charge des maladies chroniques, des “ALD”, les affections de longue durée. La population française est un peu âgée et ses problèmes sont majoritairement les maladies chroniques (*). Ce sont des maladies qui rendent l’état de souffrance du patient durable et nécessitent une prise en charge régulière comme l’hypertension, les insuffisances respiratoires, le diabète…
Le système de santé français a muté vers la prise charge de ces maladies chroniques ; il est organisé pour traiter ces pathologies avec une durée de séjour courte. Ce choix a induit une certaine rigidité, et des cloisonnements. L’hôpital français avait complètement perdu sa capacité à répondre aux maladies infectieuses.
On n’avait pas connu cela depuis très longtemps. La dernière grande maladie infectieuse que le système de santé a eue à prendre en charge fut le sida. Ce fut un choc pour le système de santé et il a fallu faire une exception dans le système. Notre hôpital est plutôt efficace en régime permanent sur des pathologies connues, mais il a du mal à se réorganiser pour faire face au choc d’une maladie infectieuse.
Pensez-vous que notre système de santé ait un problème quantitatif, « il faut plus de moyens », ou qualitatif, celui d’un mode de gestion ?
Bruno Ventelou : La société française est prête aujourd’hui à consacrer à sa santé 11 % de son PIB. C’est beaucoup moins qu’aux États-Unis qui sont à 18 % mais pour des résultats de santé très faibles. Aux USA, on y dépense beaucoup pour des gens riches qui vont gagner trois semaines d‘espérance de vie, alors que l’on délaisse de vastes populations défavorisées qui pourraient gagner des années de vie avec des dépenses limitées. Avec 11 %, nous sommes dans le haut de la moyenne des pays de l’OCDE. C’est un choix ! Notre population est vieillissante, elle a satisfait beaucoup de ses besoins (alimentation, logement, accès aux biens culturels) et nous pourrions imaginer que la France alloue une part plus grande de sa richesse à la santé pour passer de 11 à 12, à 13 ou 14 %. Le niveau macroéconomique de la dépense de santé est un débat dépassé. Longtemps certains ont défendu le fait que la santé ne devait pas croître plus vite que le PIB, c’est une vision purement quantitative et comptable discutable.