« Qu’est-ce qui fait une cagole ? ». C’est la question que s’est posée Catherine Tourre-Malen, maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil et chercheuse à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative (Amu/CNRS). Elle est venue présenter au Centre national de recherche scientifique (CNRS) à Marseille le début de son étude anthropologique, démarrée entre 2014 et 2015. Devant une salle comble très réceptive face à ce sujet bien local, Catherine Tourre-Malen a d’abord tenté de définir la cagole. Malgré beaucoup de références dans des bande-dessinées, des livres, des documentaires et l’entrée du mot dans le Petit Robert en 2011, cagole est un terme très utilisé mais parfois mal défini. « À mes questions sur comment ils reconnaissent une cagole, leur première réaction est de me dire : « Une cagole c’est une cagole ». L’exercice est devenu beaucoup plus flou quand ils devaient expliquer ce qu’était une cagole. », déclare la chercheuse.
En réalité, l’idée même de la cagole viendrait de cagoulo en provençal et qui désignait le tablier des employées d’usines d’emballage de dattes si précaires qu’elles étaient obligées de se prostituer pour terminer leur fin de mois. Cagole est alors péjoratif et associé la prostitution, notamment dans certains journaux du XIXe siècle que cite la chercheuse. « Traiter quelqu’un de cagole reste loin d’un compliment », complète Catherine Tourre-Malen.
« La cagole serait trop tout »
« La cagole serait trop tout : elle a trop d’accent, elle parle trop fort, elle est trop moulée, trop décolletée, trop bronzée, trop maquillée, trop voyante, trop pailletée, trop dorée, trop « qui se veut sexy » même quand son physique ne l’y autorise guère, trop présente, elle a les cheveux trop peroxydés ou trop noirs, elle affiche un habillement trop décalé par rapport à son âge, son poids ou les circonstances », définit Catherine Tourre-Malen d’après son enquête de rue. « Le style cagole est présent dans toutes les catégories d’âge, de classes sociales et origines géographiques ».
Pour d’autres, la cagole n’est pas synonyme de mauvais goût. Franz-Olivier Giesbert, journaliste et présentateur télé pense qu’elle est « une femme qui prend soin d’elle, a le sens de la répartie et s’habille avec élégance ». « Un journaliste du Guardian [un quotidien anglais] s’est demandé à l’occasion de l’élection de Miss Cagole 2010 à Paris si la cagole, cette antithèse de la parisienne chic en petite robe noire n’est pas l’avenir de l’élégance française », renchérit Catherine Tourre-Malen.
La cagole représenterait alors un autre type d’élégance. Loin du tailleur ou du jeans classique, la jupe en cuir, la mini-jupe, les créoles géantes, les imprimés panthère, les baskets compensées, les ongles longs vernis ou encore les vêtements sexy feraient parties de la panoplie de la cagole. « Une cagole va jusqu’au bout de sa féminité », a confié une femme qui se revendique cagole à Catherine Tourre-Malen.
Une figure féministe ?
Ultra féminine, la cagole peut paradoxalement représenter une forme de féminisme, selon la chercheuse. « Elle est souvent qualifiée d’écervelée, elle est très souvent bijoutée et très maquillée. Elle porte sur elle tout ce que les féministes ont souvent appelé la manifestation du désir masculin et donc elle serait plutôt aliénée que libérée », analyse Catherine Tourre-Malen. Les cagoles, au franc parler, « s’affranchissent de leur féminité stéréotypée ».
Catherine Tourre-Malen voit la même démarche dans le style de la cagole que lors des manifestations contre les violences de quartiers en 2003 qui donna naissance à Ni Putes ni soumises, un mouvement féministe qui réclame un « droit à la féminité ». « Les filles des cités se sont habillées en portant des marques, en s’habillant à la mode, en se maquillant parfois à outrance, parce que le maquillage est devenu une peinture de guerre », raconte la chercheuse. Outre la dimension militante, certaines cagoles n’y voient rien d’autre qu’une démarche personnelle. « Les deux cagoles que j’ai pu interroger m’ont dit : « Nous on s’habille comme ça pour nous, pas dans l’idée d’une conquête masculine. Que les hommes nous regardent c’est leur affaire. Nous on s’habille comme ça parce qu’on est libres de s’habiller comme ça » », explique Catherine Tourre-Malen. Avant de conclure : « Pour moi les cagoles sont finalement des femmes vaillantes ».
Liens utiles :
> Portrait de la cagole dans l’émission Karambolage sur Arte