Ce jour-là, Bruno Gilles est un peu en retard. Toute la journée du vendredi 14 septembre, le sénateur Les Républicains des Bouches-du-Rhône a enchaîné les interviews, télés, radio, pour la presse écrite… Il y a encore quelques mois, il lui aurait été impossible de tenir une telle cadence. Un autre rythme l’abandonnait irrémédiablement. « Ce n’est un secret pour personne, j’ai vécu une épreuve de santé difficile ». Dans son bureau de la mairie du 4e et 5e arrondissements de Marseille, où les photos de ses amis politiques et de ses proches habillent les murs, où les piles de dossiers témoignent de longs mois d’absence et sous le regard presque bienveillant de ses multiples figurines de Tintin, ramenées par des amis ou des administrés des quatre coins du monde, Bruno Gilles semble un autre homme. « C’est miraculeux, ce qui m’est arrivé. L’évolution de mon état de santé étonne même le professeur Collart ». L’homme qui, en décembre dernier, lui greffait un nouveau cœur. « Aujourd’hui, je suis dans une forme olympique », lâche avec détermination, le sénateur, qui a toujours un coup d’œil dans le rétro.
Cette longue période de convalescence où chaque jour est un combat avec soi-même est gravée en lui. C’est à ce moment-là que son avenir s’est joué. « Continuer différemment, arrêter… » De rééducations en réflexions, de discussions en motivations, le sénateur met ce temps à profit pour apprivoiser son nouveau cœur et se tracer une nouvelle voie… Celle qui le mènerait peut-être jusqu’au fauteuil de maire de Marseille en mars 2020. Il en parlait en « catimini », avec sa femme, ses amis politiques, avec Jean-Claude Gaudin, Martine Vassal et Renaud Muselier, dont les déclarations sur sa « légitime » candidature renforce sa décision. Elle s’accompagne d’un nouvel élan politique, une nouvelle méthode pour faire campagne, moins traditionnelle, résolument « participative ». Du neuf, du moderne… Jusqu’à l’annonce même de sa candidature : une lettre ouverte aux Marseillaises et aux Marseillais dont il a rédigé 21 versions. « La première, dimanche dernier, entre 2 et 3 heures du matin avant de partir en séminaire de rentrée avec le groupe LR au Sénat», avant la définitive diffusée sur les réseaux sociaux le 13 septembre 2018.
Un « jour qui restera gravé dans ma tête, parce que c’est le moment où j’ai réussi à franchir ce pas ». Ce fameux cap dont parle Georges Clémenceau dans cette citation qui conclut sa déclaration : « Il faut d’abord savoir ce que l’on veut, il faut ensuite avoir le courage de le dire, il faut ensuite l’énergie de le faire ». Une phrase choisie avec soin, tant elle fait écho à la vie de Bruno Gilles. « Elle représente parfaitement mon parcours. » Il espère qu’elle résonnera longtemps et prévient que durant ces 18 mois, « je vous la ressortirai souvent ». 18 mois pour asseoir définitivement sa légitimité. Pour rassembler, fédérer, échanger, créer et construire un projet. Pour convaincre, et pour, à la manière du professeur Frédéric Collart, Bruno Gilles, fasse à son tour, battre le cœur des Marseillais.
Pourquoi avoir annoncé votre candidature sous forme de lettre ouverte aux Marseillaises et Marseillais ?
Bruno Gilles. Parce que d’abord, ça ne s’est jamais fait. Et puis j’avais envie de sortir d’une déclaration de candidature traditionnelle. Une conférence de presse, c’est toujours un peu compliquée à organiser avec les journalistes mais aussi avec les personnalités. En discutant avec certains amis, on a pensé à une lettre. Et c’est d’ailleurs plus difficile à écrire. Cette lettre aux Marseillaises et aux Marseillais, je trouve aussi qu’elle me correspondait bien, car lorsqu’on est candidat il faut aussi essayer de rester soi-même. Sans fausse modestie, je suis plutôt content de la manière d’annoncer cette candidature.
Qu’est-ce que vous entendez exactement par campagne participative ?
B.G. L’idée d’un programme participatif, c’est qu’au départ il n’y a pas de programme ficelé. Je suis volontairement provocateur quand je dis quelquefois, je n’ai pas de programme. Bien sûr que j’ai plein d’idées, et une petite équipe, avec des solutions aux problèmes que soulèvent les Marseillais… mais faire un programme participatif, ça veut dire qu’on va rencontrer les gens, discuter, écouter, travailler avec eux… L’idée est d’avoir des groupes de travail de personnes issues de la société civile, des amis, bien évidemment, de la majorité municipale… Il faudra ensuite compulser tout ça, sans rêve irréalisable. Cette participation doit enrichir le débat.
Le scrutin des municipales est dans 18 mois, n’est-ce pas trop tôt pour se déclarer ?
B.G. Non, parce que 18 mois, c’est long mais en même temps ça peut être très court. L’idée c’est aussi d’avoir quelque chose d’innovant avec ce fameux programme participatif. Je pense qu’on a changé d’ère, on a complètement changé de logiciels sur une campagne électorale. Est complètement révolu le temps où l’on pouvait faire un programme entre nous, entre élus et entre appareils politiques et quelques mois avant le distribuer dans le cadre de visites de quartiers. 18 mois, c’est bien. Peut-être même qu’on va manquer de temps. Puis il faut savoir unifier, rassembler tout le monde donc cette période me paraît pas mal.
Ce modèle participatif n’est-il pas inspiré de la méthode En marche ?
B.G. Ça m’a marqué (sourires). Je ne suis pas un des plus gros soutiens d’Emmanuel Macron, je suis même plutôt un de ses adversaires, mais je revois tous les différents reportages, ces images quelque peu cachées, ces petites vidéos parfois tournées avec des Iphone… ça participe aussi à la campagne et je crois qu’il a trouvé un bon créneau dans le cadre d’une présidentielle… Ce n’est pas Emmanuel Macron qui va nous apprendre à faire une campagne municipale, mais ça va se faire encore plus de cette manière, parce que les choses ont changé…
Il y a une forme de remise en question des techniques de campagne traditionnelle et même de la manière de faire de la politique lorsqu’on vous écoute ?
B.G. Quand on est issu d’un appareil politique, qu’on est responsable politique comme moi on a des habitudes, on est formaté, campagne après campagne… il faut aussi nous remettre en question. Le monde a changé, la vie politique a changé et puis le maire de Marseille Jean-Claude ne se représente pas. La donne est différente. Quand il était sortant on comptait beaucoup sur sa personnalité au-delà des clivages politiques. En mars 2020, il ne sera plus là, c’est aussi l’occasion de se remettre en question, de faire une campagne moins traditionnelle, une campagne médiatique un peu différemment. Pendant cette période d’avant mars 2020, ce sera moins à lui de faire campagne, même si je ne minimise pas son action et ce qu’il pourra nous apporter en tant que maire en place et sortant, mais à un moment, il faudra aussi compter sur nous même.
D’ailleurs, moi je suis candidat aux élections municipales de mars 2020, je ne suis pas candidat à la succession ou au remplacement de Jean-Claude Gaudin. Le maire est élu jusqu’en mars 2020, il est lui-même responsable de son calendrier et s’il peut aller jusqu’à la fin de son mandat, je lui souhaite bien évidemment la possibilité de le faire. Mais il faut préparer, non pas l’après-Gaudin parce que ça serait trop réducteur de dire ça. On veut écrire une nouvelle aventure, une nouvelle histoire avec les Marseillaises et les Marseillais…
Ne fallait-il pas attendre que Martine Vassal, la présidente du Département des Bouches-du-Rhône, soit confortée à la présidence de la Métropole avant de vous déclarer ?
B.G. Il y a plusieurs analyses et lectures possibles. C’est un sujet dont j’ai aussi beaucoup discuté avec des amis personnels, mes amis politiques avec Jean-Claude Gaudin, Renaud Muselier, Martine Vassal, En politique, il n’y a pas beaucoup « de fenêtres de tir ». La semaine prochaine, c’est Martine Vassal, et ça ne court-circuite pas son élection, ensuite la rentrée parlementaire au Sénat et l’Assemblée nationale, après on rentre dans les élections internes de notre parti politique… On arrive en début d’année et finalement vous avez déjà perdu trois mois, or moi j’ai quelques objectifs pour cette fin d’année, de pouvoir commencer à montrer des résultats.
Vous parlez justement de vos ami(es) politique Jean-Claude Gaudin, le maire (LR) de Marseille Martine Vassal, présidente du Département des Bouches-du-Rhône et Renaud Muselier, président de la Région Sud. Tous les trois ont appuyé la légitimité de votre candidature mais formulent des mises en garde sur d’éventuelles divisions. Comment allez-vous fédérer autour de votre candidature ?
B.G. D’abord le terme légitimité est fort, plus que soutien d’ailleurs, parce qu’on peut soutenir quelqu’un qui n’est pas légitime. J’ai été content que les trois reprennent ce terme. Puis cette légitimité est importante pour moi parce que c’est celle d’un responsable politique, mais ce n’est pas que les LR qui vont nous permettre d’être élu en mars 2020… C’est la légitimité aussi d’un parlementaire qui a défendu Marseille à l’Assemblée nationale puis au Sénat, celle d’un élu local qui connaît Marseille (près de 22 ans de maire d’arrondissement). Quant à l’union, c’est ce que je dis dans ma lettre aux Marseillaises et aux Marseillais. Sans union, inutile d’aller aux élections. Même dans sa propre famille politique, rien n’est jamais acquis. Ce délai important de 18 mois, vient aussi du fait que je vais devoir continuer à parler avec mes amis politiques. J’ai aussi beaucoup discuté avec les deux députés Valérie Boyer et Guy Teissier, les maires de secteur, les conseillers généraux, régionaux… Il va falloir que tout le monde trouve sa place.
Qu’attendez-vous concrètement de Martine Vassal et Renaud Muselier dans les semaines, les mois à venir ?
B.G. Je n’ai vraiment pas de doute sur leur soutien. Ils ont déjà des collectivités énormes à gérer. Je ne je vais pas leur demander de présider un groupe de travail, mais j’attends bien évidemment qu’il m’aide dans cette campagne, surtout sur le projet, d’autant que les compétences de vision, d’aménagement du territoire appartiennent à la Métropole, au Conseil départemental et à la Région. Il faut aussi, même si on l’a déjà fait, que l’on prenne l’habitude de travailler ensemble sur ces grands projets, en se projetant. Par exemple, est-ce que l’on tranche définitivement sur le fait qu’il doit y avoir un casino à Marseille… (A lire dans le deuxième volet)
Quels adversaires redoutez-vous ? L’Insoumis Jean-Luc Mélenchon ou le frontiste Stéphane Ravier ?
B.G. Je me positionne contre les deux extrêmes, que ce soit Jean-Luc Mélenchon ou le Front national, sachant que pour l’instant, Mélenchon n’est pas candidat. Mais tout peut arriver à Marseille. Est-ce qu’il viendra ? Est-ce qu’il y aura une tête de liste socialiste ? Je l’espère pour la démocratie. Marseille qui a été un vivier socialistes ne peut quand même pas démocratiquement ne plus exister dans cette élection municipale. Et puis il y aura une liste qui sera représentée par les amis du président de la République même si, LaRem a aujourd’hui, beaucoup de difficultés pour grandir et passer de l’adolescence à l’âge adulte. Je ne crains pas une liste, plus qu’une autre. Avec mes amis politiques, on a bâti une certaine méthode, une idée… Il y a aura des moments clés, une campagne plus intense les derniers mois… Mais quand on part candidat dans une élection, en particulier dans une ville aussi difficile que Marseille, on part pour gagner. Et je pars pour gagner!
Les bonnes relations qu’entretient le maire de Marseille avec le président de la République ne vous ont pas échappées. Vous songez déjà à des alliances avec La République en marche, par exemple ?
B.G. C’est vrai que Jean-Claude Gaudin entretient de bonnes relations avec le chef de l’Etat, comme Renaud Muselier ou Martine Vassal. Mais entre avoir de bonnes relations et faire des listes communes, il y a un pas que jusqu’à présent personne n’a voulu franchir, ou en tout cas, que personne ne m’a demandé de franchir. Quand on est à 18 mois d’une élection, que l’on n’a même pas passer le premier tour, commencer à réfléchir sur des accords, c’est l’inverse de ce que j’aimerais qu’on fasse. Ça serait revenir à des accords d’arrière-boutique. Et puis la situation politique localement, nous est beaucoup plus favorable qu’à eux. Aujourd’hui, dans le contexte national, avec tout ce qui arrive, l’affaire Benalla, le cafouillage autour de l’impôt à la source etc… Si l’élection avait lieu demain, tous ceux qui mettrait Macron sur leur liste seraient sûr d’être battus.
Si vous êtes élu maire de Marseille en mars 2020, vous quitterez le Sénat ?
B.G. Oui bien entendu. Quand on est sur des grosses collectivités, la Mairie, la Métropole, le Département, la Région effectivement il ne faut qu’un seul mandat. Je crois que déjà les journées de 24 heures ne suffiraient pas pour gérer l’un ou l’autre.
Même si vous partez 18 mois avant le scrutin, une campagne reste toujours très intense, surtout dans les derniers mois. Naturellement, on ne peut que songer à votre épreuve difficile en décembre dernier. Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
B.G. Je suis dans une forme olympique. Les feux sont tous au vert. Je fais même des choses que je ne faisais plus avant et que je n’ai jamais fait. Se déclarer 18 mois avant me permet aussi de partir un peu comme un diesel. J’ai beaucoup discuter avec les médecins, ma femme, mes enfants… Vous vous doutez bien que si mon état de santé ne me le permettait pas, je ne l’aurais jamais fait, surtout vis-à-vis de ma famille.
Pourquoi avoir choisi de terminer votre lettre aux Marseillaises et Marseillais par cette citation de Georges Clémenceau ?
B.G. Elle représente parfaitement mon parcours, ma vie actuelle. Ça été des longs mois de réflexion personnelle pour savoir vraiment ce que je voulais. Continuer différemment, arrêter et finalement ce que je veux c’est être candidat à la mairie de Marseille. Et je comprends bien Clémenceau quand il dit « il faut avoir le courage de le dire », car ce n’est pas facile. Il faut cette force et puis il faut beaucoup d’énergie d’où le parallèle avec mon état de santé, et si les électeurs me font confiance, il faut aussi beaucoup d’énergie pour gérer cette ville pendant six ans. En trois phrases on résume parfaitement ce qu’a été ma vie il y a quelques mois et ce qu’elle est aujourd’hui.
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[Politique] Bruno Gilles se déclare candidat à la mairie de Marseille en 2020
A lire mardi, la suite de l’entretien avec Bruno Gilles.