Après cinq ans d’interruption, le procès le 1er février 2022 de l’effondrement du Rana Plaza reprend. En 2013, la chute de cet immeuble d’ateliers de confections au Bangladesh a ébranlé l’industrie de la mode avec un bilan humain de 1 130 morts. En 2020, les citoyens sont une nouvelle fois confrontés aux révélations d’une liste de 83 entreprises (Uniqlo, H&M et Zara…) qui exploitent la communauté musulmane Ouïgoure, enfermée dans les camps du Xinjiang en Chine. Côté environnemental, ce n’est pas mieux. L’industrie textile représenterait « 10% de l’impact carbone mondial et 20% de la pollution des eaux sur terre » assure Marguerite Dorangeon, la cofondatrice de Clear Fashion, une application qui note les enseignes de 1 à 100 selon les critères (environnement, santé, humains, animaux) et dont le siège a récemment été déplacé à Marseille.
Quelles informations se cachent derrière les étiquettes de notre garde-robe ? C’est la question que se sont posées Marguerite Dorangeon et Rym Trabelsi à l’aube de la création de Clear Fashion en 2018. L’idée de l’application, qui fait penser à Yuka pour l’alimentation, a germé dans la tête des deux étudiantes ingénieurs agronomes avant la fin de leur cursus universitaire en 2017. « Les marques pouvaient mettre des vêtementssur le marché sans produire d’information. Elles n’étaient donc pas incitées à faire mieux. Notre but est d’apporter de la transparence pour faire évoluer le secteur de la mode vers un fonctionnement plus vertueux. » détaille Marguerite Dorangeon, Veja blanches aux pieds, une marque française de baskets écologiques. « L’idée semblait révolutionnaire car c’était la boite noire… » ajoute-elle en souriant sous son masque.
Deux levées de fonds auprès de business angels
Appelée « Clothparency » aux prémices de l’aventure, le nom « difficilement mémorisable » s’est transformé en « Clear Fashion » qui illustre « mieux la mission que nous portons » explique la cofondatrice. Après plusieurs séjours au sein d’incubateurs parisiens dont Makesense, une première levée de fonds de 400 000 euros en 2019auprès de business angels et la constitution d’une équipe de 10 collaborateurs, la société s’est établie à Marseille à la fin de l’été 2021. « On pouvait être un peu partout étant donné que l’on travaille avec 40% de marques internationales, que c’est une application… Marseille, c’est avant tout un choix personnel. » nous confie la rémoise d’origine.
A l’automne 2021, la start-up lève 2,8 millions d’euros auprès de la banque d’investissement publique (BPI) et de business angels du fonds Astérion Impact. « Ce sont des particuliers qui croient au projet et qui nous conseillent dans notre développement » affirme Marguerite qui reste l’actionnaire majoritaire à 61% avec son associée Rym. Parmi ces investisseurs, Clear Fashion compte plusieurs entrepreneurs renommés à l’instar de Lucie Basch, cofondatrice de Too Good To Go, Pierre Dubuc, cofondateur d’OpenClassRooms ou Francis Nappez, cofondateur de Blablacar. Aujourd’hui, la start-up évalue 450 marques que scrutent 250 000 utilisateurs. La levée de fonds lui a permis de « doubler les effectifs » passant de 10 à 22 salariés, basés à Marseille dans de nouveaux locaux de la place Lulli (6e arrondissement).
Une méthodologie construite pas à pas
Avant de lever plusieurs millions, Clear Fashion a mis au point une méthodologie complexe pour collecter, analyser les données et donner un score représentatif « pondéré sur les impacts réels de l’entreprise » sur la planète et la société. « Nous avons dû nous faire une place dans le secteur. Nous nous sommes entourés de 70 experts de tous les domaines à notre lancement », rembobine la jeune femme.
Suite à cette concertation et une étude de terrain auprès des consommateurs, un formulaire de 150 questions est élaboré pour brosser un tableau global de l’impact des entreprises textiles. « La force de notre méthodologie est de questionner l’ensemble de la chaîne de production, du fournisseur au distributeur. » soutient Marguerite Dorangeon. Cette méthodologie est « sans cesse améliorée » par une équipe en recherche et développement qui travaille avec un laboratoire partenaire. L’objectif étant d’avoir un maximum d’informations pour établir un score fiable qui puisse être, par la suite, commercialisé sous forme d’étiquettes dans les e-shop ou les boutiques des marques qui souhaitent attirer des consommateurs responsables.
Démocratiser le « Clear Fashion Score »
Les cofondatrices entendent diffuser plus largement ce score sous forme d’étiquette afin de trouver des débouchés de chiffre d’affaires dont le montant « naissant » n’a pas souhaité être communiqué. « Nous l’avons lancé fin 2021 mais notre objectif pour 2022 est d’accélérer cette diffusion. Nous sommes en discussion avec beaucoup d’acteurs intéressés pour afficher ce score » avance Marguerite.
Pour utiliser le score Clear Fashion, les marques payeront des droits d’auteurs à la start-up pour la méthodologie utilisée et les heures de travail consacrées. Néanmoins, Marguerite Dorangeon rappelle l’indépendance des évaluations qui restent « totalement décorélées de toute participation financière ». L’évaluation reste gratuite donc, et l’affichage du score en boutique ou sur le e-shop devient monnayable. Marguerite semble pourtant désintéressée des profits générés. Son rêve : faire que le score Clear Fashion soit disponible pour tous les vêtements et sensibiliser un maximum de consommateurs dans le monde. Pour ce faire, l’entrepreneure table sur « un développement à l’international dès 2023. »
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