Entre chronique sociale et récit d’apprentissage le nouveau film de François Favrat met en scène une rencontre singulière entre une jeune graffeuse issue d’une cité de Nantes et les Compagnons du devoir. Sans moralisme ni complaisanse Compagnons offre un regard porteur d’espoir sur l’avenir d’une jeunesse en quête de sens.
Au casting, on y découvre la comédienne Naaja Bensaïd, qui n’en est pas à son coup d’essai, parfaite dans le rôle de la jeune fille, à la fois téméraire et fragile. À ses côtés, Agnès Jaoui, formidable dans un jeu sobre et distant, ainsi que Pio Marmaï particulièrement convaincant.
Le film est sorti dans les salles de la métropole le 23 février. Gomet’ a rencontré François Favrat, Agnès Jaoui et Najaa Bensaïd lors de leur venue à Marseille au cinéma Pathé La Joliette.
Après Boomerang (2015) un polar familial adapté du roman éponyme de Tatiana de Rosnay, François Favrat change de registre, retrouve Agnès Jaoui -Le rôle de sa vie (2004) – et se tourne vers le récit d’apprentissage : celui de Naëlle (Najaa Bensaïd), âgée de 19 ans qui vit au sein d’une famille monoparentale dans un quartier nantais. Passionnée de street art, la jeune fille téméraire saute sur les toits de la cité “Bellevue”, dessine des graffes sur les cheminées tandis qu’elle peine à croire à un avenir heureux.
Naëlle se trouve alors face à un cruel dilemme
Contrainte de suivre un chantier de réinsertion dirigée par Hélène (Agnès Jaoui), celle-ci lui propose d’intégrer la Maison des Compagnons de Nantes, un monde de traditions qui prône l’excellence artisanale et la transmission entre générations. Après avoir émis des réserves sur la jeune fille, Paul (Pio Marmaï), Compagnon vitrailliste, accepte de la prendre en formation dans son atelier. Mais le contexte social ne facilite pas la tâche de la jeune apprentie. Impliquée contre son gré dans un trafic de cannabis, après avoir jeté les sachets pour sauver sa peau et celle de sa famille, la voici menacée par les dealers. Naëlle se trouve alors face à un cruel dilemme, protéger sa famille ou trahir la confiance des Compagnons du devoir …
Fractures sociales, décrochages scolaires, violences urbaines, on ne compte plus les films sur ces sujets de société, ô combien d’actualité. Celui-ci se distingue, en s’attachant à montrer des ouvertures possibles pour la jeunesse, comme le travail manuel, représenté ici dans toute sa noblesse, tout en s’appuyant sur des valeurs séculaires comme l’entraide et la solidarité. Dans ce monde à l’horizon de plus en plus couvert “Compagnons” est un film humaniste qui fait du bien.
Votre idée de départ était-elle de faire un film sur les jeunes des cités ou sur les Compagnons du devoir, un sujet jamais traité au cinéma ?
François Favrat : Au départ c’est une idée des producteurs Romain Brémond et Daniel Preljocaj qui s’étaient emballés sur le thème des Compagnons après avoir lu le synopsis que Jane Brémond, la co-scénariste avait écrit. Cela m’a tout de suite intéressé car je voulais mettre en valeur les métiers manuels discrédités et parler des jeunes des cités. Tous ne sont pas de “la mauvaise herbe”, nombre d’entre eux veulent s’en sortir. Pour moi c’était un double enjeu pour écrire et mettre en scène ce film, car je ne connaissais ni l’univers des compagnons, ni celui des quartiers. Après un long travail de recherche dans les Maisons des Compagnons à Paris, Angers et La Rochelle, je suis finalement arrivé à Nantes où il y a une grande Maison des Compagnons, et là j’ai découvert la cité Bellevue. Nantes est une ville que j’aime beaucoup où j’avais envie de tourner. Ensuite, lors de mes repérages, je suis allé à la mission locale où j’ai vu des jeunes complètement paumés, marrants, pas du tout du genre sombres qui suivaient une formation de peinture. Il y avait avec eux un autre gars, j’ai commencé à discuter avec lui, c’était un Compagnon peintre de l’Union compagnonnique, Hervé Moreau. C’est lui qui a déclenché quelque chose dans l’écriture du scénario. Car ce compagnon en plus de ses activités de peinture donnait des heures à ces jeunes-là.
“On te donne un jour et un jour ce sera à toi de donner”, cette maxime des Compagnons que l’on peut lire sur l’affiche, vous aussi, vous l’appliquez en offrant à ces jeunes de la cité la possibilité de tourner dans votre film ?
François Favrat : C’est un film qui crée des liens avec des univers improbables. J’ai eu un vrai plaisir à travailler avec ces jeunes. Boulette par exemple, celui qui porte une casquette, si vous aviez vu sa tête quand je lui ai dit qu’il allait faire le film. Ne serait-ce que pour ça !
Dans les faits, ce n’est pas facile d’être accepté chez les Compagnons du devoir, qu’en pensez-vous ?
François Favrat : Dans le film, Naëlle entre dans l’atelier mais rien ne dit qu’elle devienne Compagnon. Elle a trouvé une voie, c’est ce qui est le plus important. Dans la réalité, il y a environ 10% de jeunes qui font des formations du type CAP, brevet professionnel, mais il y a en a moins de 10% qui se lancent dans le compagnonnage. Il faut avoir envie de vivre en communauté, d’aller d’une ville à l’autre. Ce n’est pas évident quand on a des attaches.
Vous incarnez une femme Compagnon. Pouvez-vous nous en dire plus sur le rôle de cette Mère au sein de la communauté, son évolution au cours du temps ?
Agnès Jaoui : L’admission des filles est récente, elle date seulement de 2004 pour l’Union Compagnonnique. Mais les mères ont toujours existé dans chaque Maison des Compagnons. Les seules femmes qui étaient acceptées auparavant étaient déjà appelées “Mères” et faisaient à manger pour tout le monde. Aujourd’hui, elles ne font plus du tout cela, elles ont un vrai rôle de référente, de conseillère, d’encadrement. Actuellement, il y a environ 10% de femmes Compagnons, elles ne sont pas très nombreuses car cela se sait peu.
Aviez-vous déjà entendu parlé des Compagnons avant de faire le film et avez-vous eu la même réaction que Naëlle en découvrant cet univers de l’intérieur ?
Naaja Bensaïd : Je n’avais jamais entendu parlé des Compagnons auparavant. Et oui, j’ai eu un peu la même réaction que mon personnage. C’est un peu étrange comme univers. C’est une institution assez impressionnante. Je me rappelle avoir été assez surprise au début et au final un peu comme Naëlle, j’ai été étonnée qu’il puisse exister des endroits comme cela.
On sent une violence intérieure chez Naëlle, comment expliquez-vous que ces jeunes à qui on tend la main soient autant dans le refus ?
Naaja Bensaïd : Ils n’ont pas forcément confiance en l’aide véritable de l’autre. Souvent à l’école on ne sait pas comment réagir face à quelqu’un de turbulent ou de renfermé sur lui-même. Du coup la réaction la plus fréquente, c’est de les réprimer par des heures de colles ou de les exclure. On ne cherche pas à traiter le problème en profondeur. Créer de vrais liens avec eux par exemple, comme des sorties ou un stage pas forcément accessible à ces jeunes là. Finalement on construit l’idée que certains métiers ne sont pas fait pour eux et du coup leur réaction est hyper-violente. Moi-même je me souviens avoir rencontré en
troisième la CPE (conseillère principale d’éducation) de mon collège, et j’avais été frappée car elle avait une idée préconçue de ce que je pouvais faire, avant même de chercher à me connaître.
Agnès Jaoui : Naëlle n’y croit pas, tout simplement ! Je crois qu’il y a un maximum de jeunes qui ont une méfiance totale dans les institutions qui leur tendent la main. Je sais que Djamel à raconter plusieurs fois que c’est un éducateur qui lui a sauvé la vie.
Comment avez-vous vécu le tournage avec des acteurs non-professionnels ?
Agnès Jaoui : Moi, J’aime bien ça. Cela vous sort de votre confort, cela vous bouge et vous oblige à vous adapter. J’aime beaucoup. C’est plus fatiguant, car il faut leur expliquer. Mais c’est largement compensé par ce que cela apporte.
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