A Paris, on a beaucoup glosé cette semaine sur la mouche qui avait piqué Frédérique Vidal, dénonçant l’islamo-gauchisme qui gangrènerait nos universités. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, de formation scientifique, s’inquiète de voir s’enkyster dans les facultés et autres grandes écoles les tenants d’idéologies séparatistes, les militants de la déconstruction historique, les partisans d’une dialectique sans contradicteur. Il y avait pour celle qui a pourtant présidé une université – Nice Sofia Antipolis – quelque naïveté à penser qu’on peut ainsi, sans risque, mobiliser la recherche française au nom de la défense de la démocratie. Les thésards pontifiants ont bien évidemment jeté ce bébé-là avec l’eau du bain, priant les non-sachants de se tenir à l’écart de leurs problématiques.
Il y a quelques années, à l’IEP d’Aix-en-Provence, c’est un professeur d’histoire militaire, qui avait fait les frais d’une guerre qu’il avait maladroitement déclarée à une étudiante portant le voile dans l’Amphi Bruno Etienne. « Vous êtes le cheval de Troie du salafisme ! » avait-il lancé à la jeune fille. Elle fut aussitôt secourue par les plus extrêmes de ses condisciples, réclamant le bûcher de l’opinion publique pour cet infâme professeur réactionnaire.
Il n’est pas si éloigné le temps où la faculté de Droit d’Aix-Marseille était l’une des places fortes du GUD
On serait d’une tartufferie sans borne, si l’on s’étonnait aujourd’hui de voir l’enseignement supérieur traversé par des courants minoritaires, mais dont le tintamarre fait illusion. Il n’est pas si éloigné le temps où la faculté de Droit d’Aix-Marseille était l’une des places fortes du Groupe Union Défense (le GUD devenu par la suite Bastion social aujourd’hui dissout), groupe d’extrême-droite plus réputé pour sa dextérité avec une barre de fer qu’avec un stylo plume. Quelques vieilles barbes lorsqu’elles regardent du côté de la fac des Lettres mitoyenne tremblent encore à l’idée que les « Cosaques » osent franchir les grilles de leur sanctuaire. D’aucuns parleront sans doute de folklore inhérent à ces cerveaux en devenir, ces « cires molles » comme les appelait naguère un certain général Vanuxem, farouche partisan de l’Algérie française et de la guerre du Vietnam.
Faut-il pour autant s’inquiéter que le monde universitaire accepte peu ou prou de réduire le débat d’idées à la portion congrue ? Qu’est devenu l’esprit voltairien qui faisait qu’on pouvait s’opposer à un adversaire, tout en acceptant qu’il s’exprime pour mieux le combattre.
A la faculté des Lettres on voit ainsi des libertaires prôner l’urgence de la dépénalisation du cannabis. En ces temps de confinement partiel ou complet, ils vantent les mérites de cette consommation récréative. On doit les entendre, comme ils ont l’impérieux devoir d’écouter ceux qui gèrent, avec les plus grandes difficultés, ce fléau. Un récent article de La Provence révélait qu’il y avait plus de 200 points de vente à Marseille, soit un chiffre très largement supérieur à celui des bureaux de poste encore en fonction. Un policier témoignait également. Il affirmait qu’un « patron » d’une de ces supérettes de l’herbe pouvait encaisser à son seul profit 150 000 € mensuellement. Voilà donc une problématique intéressante d’un point de vue politique, sociologique et culturel. Sans parler de l’Histoire puisque les livres nous apprennent que Hachachin – où l’on retrouve deux mots, haschich et assassin – désignait entre le XIe et le XIIIe siècle, une secte musulmane d’une extrême violence.
On voit ainsi prospérer des débats sur le genre, les races, la période coloniale…
Il est temps, et c’est sans doute ce qu’a voulu exprimer très maladroitement Mme Vidal dans sa diatribe, que l’université rompe avec les cénacles confortables où elle s’auto-célèbre, occupant un espace théorique souvent à mille lieux des réalités.
Les groupuscules quels qu’ils soient, ont beau jeu dans ce huis clos de luxe, d’installer les questionnements les plus insolites et d’apporter des réponses incroyablement simplistes, quand elles ne sous-tendent pas des contre-vérités affligeantes. On voit ainsi prospérer des débats sur le genre, les races, la période coloniale, qui ont en commun une finalité : nier le contradictoire, terroriser l’opposant, déconstruire le monde.
On opposera doctement à cette inquiétude, que les phénomènes cités sont résolument minoritaires. Toutes les dictatures de la pensée se sont au commencement, enracinées dans des formes groupusculaires. Observer le phénomène du haut de sa chaire, ne garantit pas qu’on soit à l’abri du danger. En 1968 quelques chenapans avaient gravé à la hâte sur les murs « il est interdit d’interdire ! » Serait-ce une vieille utopie ?