La scène musicale mythique de Marseille, le Dock des Suds, est aujourd’hui menacée. Le campus du numérique La Plateforme qui doit accueillir 3000 élèves à terme a présenté un projet de bâtiment pour s’installer sur les lieux. L’association culturelle Latinissimo, locataire historique, craint d’être mise à la porte.
Alain Bashung, Cesaria Evora, Carl Cox… Les plus grands artistes ont joué au Dock des Suds. Cette salle, c’est aussi la Fiesta des Suds organisée par Latinissimo qui a fait vibrer Marseille et porté une certaine idée de la fête populaire depuis 1992. Autant dire un véritable morceau de l’histoire culturelle du territoire. Aujourd’hui, les anciens entrepôts du port sont cernés par les tours de bureaux et les programmes immobiliers. Derniers vestiges d’un quartier métamorphosé par l’opération d’aménagement Euroméditerranée. Depuis longtemps, la question de la pérennité du site se pose en plein cœur du quartier d’affaires. Et aujourd’hui, la menace se précise.
La Plateforme_ lorgne le Dock des Suds
En janvier dernier, l’association Latinissimo, locataire et gestionnaire du Dock des Suds et fondatrice du festival la Fiesta des Suds, apprend l’existence d’un projet immobilier qui pourrait potentiellement sur son site. « Deux élus de la Ville de Marseille nous ont alerté », raconte à Gomet’ Jacques Lantelme, le président de Latinissimo. Le candidat intéressé par le Dock des Suds est en fait Cyril Zimmermann, entrepreneur à succès et créateur de l’école du numérique La Plateforme_ dans le quartier de la Joliette. Il y a quelques semaines, ce dernier annonçait à Gomet’ travailler sur un nouveau campus pouvant former 3 000 étudiants contre seulement 200 actuellement. Il ambitionne une ouverture à l’horizon 2026 mais les premières maquettes commencent à circuler. Gomet’ a notamment pu consulter un projet confidentiel de transformation du Dock des Suds présenté à la Région. L’information a également été confirmée par l’architecte Roland Carta lors de la présentation du projet de Cité scolaire internationale qui va être construite juste à côté du Dock des Suds : « La plateforme va s’installer au Dock. C’est un secret de polichinelle », nous a-t-il confié.
Pourtant, chez les premiers concernés, difficile d’obtenir plus d’informations. Contacté par Gomet’, Cyril Zimmermann se refuse à tout commentaire. Même silence radio chez le propriétaire Euroméditerranée. Seule la ville de Marseille accepte de communiquer : « Nous sommes bien au courant, avoue Mathilde Chaboche. Mais pour l’instant, rien n’est signé », assure-t-elle. L’adjointe à l’urbanisme de la mairie a rencontré l’association Latinissimo pour discuter du dossier. « Je pense qu’il faut garder un lieu de culture dans ce quartier », avance-t-elle. Par contre, ce ne sera pas forcément le Dock des Suds. « Il est désormais très contraint avec des lieux d’habitations tout proche et bientôt une école. Difficile d’imaginer des concerts comme il y en avait avant », estime l’élue. L’avenir du Dock des Suds semble de plus en plus s’éloigner du monde du spectacle et « on aimerait bien savoir à quelle sauce on va être mangé », s’inquiète le président de Latinissimo.
Un dialogue de sourd avec Euroméditerranée
Évidemment très attaché au Dock des Suds, Latinissimo assure être ouvert à la discussion. « Le souhait d’Euromediterranée de valoriser ce foncier est tout à fait légitime. Seulement, ils sont dans l’obligation de nous proposer un endroit alternatif pour nous reloger », explique Jacques Lantelme. Mais les échanges entre l’établissement public d’aménagement et l’association sont au point mort. « Notre dernière réunion de travail remonte à 2016 », se désole-t-il. Pour toute réponse aux sollicitations de l’association, Euroméditerranée a finalement décidé en juin 2020 de ne pas renouveler son autorisation d’occupation temporaire qui date de l’époque où le Grand port maritime de Marseille était propriétaire du Dock des Suds. Cette dernière est transformée en convention d’occupation précaire qui se termine au 1er janvier 2021. « Nous sommes depuis cette date occupant sans droit », avoue Jacques Lantelme. Le 15 février dernier, Latinissimo a reçu une mise en demeure de quitter les lieux, signifiée par huissier. « Le message est clair : on veut nous virer », traduit le président de l’association.
Latinissimo clame sa légitimité
Euroméditerranée justifie sa demande par les retards de loyers accumulés par l’association. Latinissimo paye 160 000 euros par an à l’établissement public pour le Dock des Suds. Seulement, avec la Covid, impossible d’organiser des évènements et donc de faire rentrer de l’argent : « C’est tout de même hallucinant qu’un organisme d’État refuse l’exonération de loyer à un acteur culturel qui ne peut pas travailler à cause des décisions du gouvernement », s’énerve Jacques Lantelme. L’association se défend en avançant son investissement personnel dans le bâtiment. Elle a investi 2,5 millions d’euros de fonds propres depuis 2006. « On devrait avoir droit à un bail commercial », estime son président. Face aux difficultés de dialogue avec Euroméditerranée, Latinissimo a travaillé sur des projets d’évolution du Dock des Suds pour recréer une activité plus pérenne. Elle a contacté deux grands promoteurs immobiliers pour imaginer un lieu innovant lui permettant de rester dans les murs, voire de se développer : « On a des projets très avancés proposant de conserver la salle de spectacle, un tiers-lieu avec des bureaux, une crèche… plein de très belles choses qui tiennent la route », assure Jacques Lantelme. Mais les dernières nouvelles semblent donner l’avantage au projet de la Plateforme qui pour l’instant n’a pas pris langue avec l’association historique.
Mathilde Chaboche : « L’État doit prendre ses responsabilités et consulter tous les acteurs »
Si le projet de Cyril Zimmermann avance à grand pas, rien n’est encore acté. La Ville de Marseille prévient d’ailleurs par la voix de Mathilde Chaboche qu’elle « ne laissera pas Euroméditerranée décider toute seule. L’État doit prendre ses responsabilités et consulter tous les acteurs ». Latinissimo ne quittera pas le Dock sans se battre : « Si on ne trouve pas d’accord, on sera les premiers à faire un recours », promet-il.
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