La Cour des comptes nationale vient de publier un rapport public thématique consacré aux stations de ski face au changement climatique. Les magistrats se sont saisi de ce sujet du tourisme hivernal car écrivent-ils « le modèle économique de ski français s’essouffle ». L’enquête a été pilotée par une formation inter-juridictions avec la Cour des comptes et cinq chambres régionales des comptes, dont celle de Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Tous ceux qui fréquentent la montagne constatent hiver après hiver que le froid recule, que la neige se fait rare et qu’elle tient de moins en moins bien. Mais personne ne s’est donné la peine, à ce jour de faire un travail prospectif et financier, pour jauger au regard du changement climatique quel était l’avenir de cette industrie touristique et de ces sports, de cette économie vitale dans notre région.
Plutôt que de regarder le problème en face, de dire les vérités qui fâchent, on s’est contenté de cautères sur une jambe de bois en démultipliant les canons à neige et autres stockages ou transports de l’or blanc.
La Cour des comptes s’est d’elle-même judicieusement emparée de ce sujet et son constat général est sans appel.
Première base de travail, les températures : la courbe ci-dessus est imparable et attristante pour les amateurs de glisse. Toutes les études scientifiques convergent vers le constat d’une hausse des températures et consécutivement une baisse de l’enneigement, menant à la fonte du pergélisol avec des risques naturels associés et à la perturbation sur la ressource en eau.
Une hausse de 1°C des températures provoque une remontée de la limite pluie-neige de 150 à 200 m
Cour des comptes
La Cour des comptes relève que « les régions de montagne apparaissent particulièrement vulnérables face au changement climatique ». La température moyenne en France métropolitaine a augmenté de 1,7 °C depuis 1900 selon Météo France, le changement est plus important dans les Alpes (+1,97 °C entre 1900 et 2016 ; Alpes du sud (+1,88 °C) avec une nette accélération entre 2016 et 2020. Et la constatation des météorologues est simple et rude : « une hausse de 1°C des températures provoque une remontée de la limite pluie-neige de 150 à 200 m ».
Résultat la neige régresse avec une diminution du couvert neigeux et du nombre de jours de précipitation neigeuse en particulier pour les stations en dessous de 2000 m.
60 stations de ski en sursis ?
La question n’est pas que climatique. Elle est financière et sociale, car il s’est construit une économie des sports d’hiver dans les trois départements alpins de notre région. Nous comptons 60 stations (selon le Comité régional du tourisme) avec 2500 km de pistes de ski alpin et 1200 km de pistes de ski de fond.
La Cour des comptes a établi un modèle d’analyse économique qui se fonde sur ses propres données et sur les données climatiques. Elle prend compte dans son rapport uniquement les 163 stations de montagne pour lesquelles la Cour disposait de ses propres données vérifiées alors que le territoire en dénombre 350 et dans notre région 31 stations ont été passées au scanner sur la soixantaine.
Les magistrats ont établi un modèle économique qui permet d’attribuer à chaque station un score de vulnérabilité à partir de trois types de données : « le risque climatique, le poids socio-économique de la station et la capacité financière de l’autorité organisatrice des remontées mécaniques ».
Dans les 10 stations qui ont la pire des notes en matière de vulnérabilité huit sont sur notre territoire. Le massif du Queyras est particulièrement exposé. Molines et Saint-Véran, Abriès et Ristolas, Arvieux, Ceillac, Aiguilles-en-Queyras, Saint-Léger-les-Mélèzes (Champsaur), et dans le département des Alpes-Maritimes, Roubion-les-Buisses. « Cette situation, commente le rapport, s’explique pour l’essentiel par la combinaison d’un risque climatique important, de territoires peuplés et bien équipés sur le plan des domaines skiables (fort risque socio-économique), et d’autorités organisatrices qui disposent d’une surface financière réduite (faible capacité à s’adapter). »
Ce qui surprend, c’est leur concentration dans le Queyras. Mais la totalité de ce score de vulnérabilité est d’abord due à une forte dépendance aux finances publiques et un indice socio-économique faible. En matière climatique par exemple, Molines et Saint-Véran sont dans le vert et auront encore de la neige.
Serre-Che et Vars s’en sortent
Passons maintenant aux bons élèves, ceux qui ont un score de vulnérabilité inférieur à 5 et qui sont présents dans notre classement. On y retrouve les stations de ski alpin qui sont en altitude comme Serre-Chevalier avec trois points, Serre Eyraud au-dessus du Champsaur avec 3,40 ; la Grave la Mège avec deux ; Pra-loup avec la très bonne note de 2,17 et Vars avec 4,16. Mais la Cour met en garde les élus et dirigeants de la station préférée des Marseillais : « Compte tenu des investissements réalisés, lit-on, la commune de Vars et la « Société pour l’équipement et le développement de Vars » (Sedev) misent sur une augmentation de la fréquentation du domaine skiable, sans en justifier la pertinence, alors que celle-ci diminue depuis plusieurs années. »
Par contre Montgenèvre qui a une excellente note à 1,89 avec ses 400 km de pistes et ses 70 remontées mécaniques a encore un avenir.
Coup de chapeau à nos stations plus modestes, en particulier un grand bravo à l’Ubaye, qui avec sa station de Saint-Paul qui décroche un score de 1,13 et avec Sainte-Anne la Condamine un score de 1,89.
Pelvoux Vallouise Orcières Merlette, Ancelle et Névache sont en limite autour des 5 points. Valberg dans les Alpes-Maritimes dépasse les 6 points de vulnérabilité
Ces financements par la puissance publique conduisent à reporter la charge d’une activité touristique de l’usager vers le contribuable
Cour des comptes
La Cour des comptes invite à réviser un modèle qui subventionne un système en perdition : « Les juridictions financières ont estimé à 124 M € par an les financements publics perçus par les opérateurs des remontées mécaniques en situation de fragilité soit un niveau de dépendance à la dépense publique d’environ 23 % ». Conclusion : « Ces financements par la puissance publique conduisent à reporter la charge d’une activité touristique de l’usager vers le contribuable. »
Les actions d’adaptation mises en œuvre ne trouvent pas grâce aux yeux des magistrats : « Les politiques d’adaptation menées par les acteurs de la montagne reposent essentiellement sur la production de neige, ainsi que, dans une proportion nettement plus réduite, sur le développement d’activités de diversification. La production de neige permet de fiabiliser l’enneigement à court terme. Mais, elle ne constitue qu’une protection relative et transitoire (…). Son coût est en effet important et son efficacitéé tend à se réduire avec la hausse des températures. (…) L’impact de la production de neige sur les ressources en eau apparaît sous-estimé dans de nombreux territoires. Il serait nécessaire que les autorisations de prélèvements d’eau destinées à la production de neige tiennent davantage compte des prospectives climatiques. »
Aux responsables alpins des stations de ski de s’emparer de ce diagnostic et de le discuter. Nous publions ci-dessous les six recommandations de la Cour.
- Mettre en place un observatoire national regroupant toutes les données de vulnérabilité́ en montagne accessibles à tous les acteurs locaux.
- Faire évoluer le cadre normatif afin que les autorisations de prélèvements d’eau destinés à la production de neige tiennent compte des prospectives climatiques.
- Formaliser des plans d’adaptation au changement climatique, déclinant les plans de massifs prévus par la loi Climat et résilience.
- Conditionner tout soutien public à l’investissement dans les stations au contenu des plans d’adaptation au changement climatique.
- Mettre en place une gouvernance des stations de montagne ne relevant plus du seul échelon communal.
- Mettre en place un fonds d’adaptation au changement climatique destiné à financer les actions de diversification et de déconstruction des installations obsolètes, alimenté par le produit de la taxe sur les remontées mécaniques.
Rappelons enfin que ce “check-up” ne concerne dans notre région qu’une « station » sur deux ,30 sur 61, qui couvrent selon le site Skiresort 46 « domaines » skiables. On peut extrapoler qu’en fait une quinzaine de stations sont vulnérables, que toutes celles qui sont basées autour des 1500 mètres d’altitude connaissent et vont connaître à court terme des difficultés qui imposeront des reconversions douloureuses : les 568 remontées mécaniques de notre région devront se trouver une autre destinée.
Document source : le rapport complet de la Cour des comptes avec les indices pour chaque station de ski
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