D’où vient l’idée de créer « La Plateforme_ , » une école du numérique sur le territoire de Marseille ?
Cyril Zimmermann : Après avoir passé récemment une année aux Etats-Unis, à San Fransico, j’avais envie de m’engager sur le territoire avec un projet d’école à plus grande échelle. A San Francisco j’avais remarqué que les salaires étaient importants pour des développeurs qui n’avaient pas un niveau extraordinaire car ils étaient formés en trois à six mois maximum. C’était des personnes sans formation particulière, sans équivalent du bac et certains d’entre eux venaient d’arriver aux Etats-Unis. Une école m’a cependant marqué : la Holberton School. Elle a été montée par deux Français et initialement financée par le fondateur de Yahoo, Jerry Yang, puis par le fonds d’investissements Daphni de Marie Ekeland avec pour modèle « je vous forme gratuitement ».
[pullquote] Il est très compliqué de recruter des développeurs à Marseille[/pullquote] Ce qui était étonnant aux Etats-Unis car les formations de qualité ne sont jamais gratuites, et si elles le sont c’est que le niveau n’est pas haut. En échange les étudiants reversent un pourcentage de leur futur salaire à l’école. J’ai vu à quel point le code informatique peut donner des jobs nobles, bien payés et avec une forte demande pour des gens venant d’horizons hyper variés, diplômés avec une bonne éducation ou des personnes sans les codes culturels habituels. En rentrant à Marseille, je suis allé voir Denis Philipon (dirigeant de Voyage Privé et président du club Top 20, NDLR), que je connaissais et que j’avais rencontré aux Etats-Unis. Je lui ai expliqué ma volonté de monter un projet d’école à Marseille. Car je connais le besoin localement. Si je n’ai pas déplacé le siège de mon entreprise (AdUX, ex-HiMedia, NDLR) de Paris à Marseille c’est bien parce que je savais que je ne réussirai pas à recruter sur la ville. Pour en avoir parlé avec plusieurs autres sociétés technologiques, il est très compliqué de recruter des développeurs à Marseille. Ce qui ne permet pas d’attirer des entrepreneurs, ou des filières avec de grosses entreprises ou n’importe qui voulant travailler dans ce domaine. Alors qu’il y a de la demande. C’était donc dommage de ne pas faire d’école de ce type à Marseille.
Plusieurs initiatives ont été lancées avec les grandes écoles du numérique comme Simplon ou la Passerelle Numérique et des écoles actuelles comme Epitech ou Sup de Web, l’écosystème de formation actuel est-il réellement insuffisant ou inadapté ?
[pullquote]Denis Philipon m’a expliqué que le Club Top 20 avait identifié cela comme un réel problème[/pullquote]C.Z. : Des écoles existent déjà, l’idée n’est pas de dire que ce qu’elles font n’est pas bien ou pas adapté mais il y a trop de peu d’opportunités. Je l’ai vu en tant qu’entrepreneur. Cela m’aurait avantagé de faire mes développements technologiques à Marseille au cours des deux dernières années mais c’est compliqué de trouver des profils à recruter sur la ville. Quand j’en ai parlé à Denis Philipon il m’a expliqué que le Club Top 20 avait identifié cela comme un réel problème. Denis Philipon m’a aussi dit que c’était un projet qu’il avait envie de porter donc qu’il était prêt à s’engager. J’ai alors regardé qu’elles étaient les autres formations, mais aujourd’hui leurs effectifs sont trop faibles pour une grande ville comme Marseille avec 20 à 25 élèves pour Simplon et 15 à 25 élèves pour la Passerelle Numérique. Cela reste très limité en terme de taille. Le deuxième élément qui m’a ouvert les yeux c’est une discussion avec le directeur de l’une des écoles les moins chères, à 3 000 euros l’année. Il m’a dit que pour essayer d’attirer les élèves des milieux défavorisés il a mis en place un accord avec une banque qui prête les 3 000 euros de scolarité sous forme d’ un prêt étudiant qui s’étale sur une longue durée. 3 000 euros à l’échelle d’une vie quand tu es certain d’avoir un travail à la sortie de l’école c’est rien selon moi. Le directeur m’explique cependant que cela ne marche pas car les potentiels étudiants ne veulent pas s’endetter à hauteur de 3 000 euros quand ils sont déjà en difficulté financière. A partir de là, le projet que j’ai construit et que j’ai présenté au Top 20 a été basé sur la gratuité pour attirer tous les profils, à la fois ceux qui ont le bac ou des années d’études supérieures et qui veulent se réorienter, et les personnes qui n’ont pas le bac ni de formation qualifiante. La gratuité doit être financée au départ par les mécènes et par la puissance publique grâce à notre label Grande école du numérique. C’est cette gratuité qui permettra d’aller chercher tous les publics possibles grâce aussi à Pôle emploi et au Département pour trouver des allocataires du RSA.
Quel sera le fonctionnement et l’organisation des différents cursus proposés par La Plateforme_?
[pullquote]L’école est composée de trois cursus : le code, l’intelligence artificielle et la formation continue sur mesure.[/pullquote] C.Z. : L’école est composée de trois cursus : le code, l’intelligence artificielle et la formation continue sur mesure. La partie code dure deux années avec un apprentissage par des cas et non par des cours magistraux ou classiques. C’est un apprentissage par la même méthode que l’Ecole 42 ou celle à l’origine d’Epitech où les étudiants réalisent des travaux successifs accompagnés de référents pour les aider. L’idée est d’en faire des développeurs web et mobile sur deux ans, et non pas une année comme les autres écoles afin que que tous les profils puissent acquérir toutes les compétences techniques et de savoir être. On veut prendre le temps pour que les élèves soient compétents et puissent directement s’intégrer en entreprise. Des chefs d’entreprises m’ont expliqué qu’avoir des profils très jeunes mais qui n’ont pas été formés au travail collectif ne les intéressent pas. D’où notre volonté de partir sur deux ans afin d’avoir le maximum de temps pour acquérir tous les savoirs. La première année, il y a quatre mois de stage sur les dix mois de scolarité et six mois la deuxième année pour 10 mois aussi. La proportion présence en école et entreprise est donc inversée entre la première et deuxième année. On veut recevoir jusqu’à 100 étudiants par promotion. La première année nous n’atteindrons pas l’effectif complet car on vient juste de se lancer. Mais pour l’instant le recrutement se passe bien et j’espère qu’on atteindra 40 à 50 étudiants. Ce cursus est gratuit.
La formation en IA s’adresse au même public ?
C.Z. : La deuxième formation s’adresse aux ingénieurs, jeunes diplômés bac+4 ou en censure entre le quatrième et cinquième année. On va leur proposer une formation d’un an sur l’intelligence artificielle. C’est une collaboration avec l’École centrale de Marseille. Dans ce cursus il y a un mois de cours de mathématiques et d’algorithmique d’un niveau élevé avec les professeurs de Centrale. On ouvre la formation aussi à d’autres profils comme des médecins, biologistes ou même étudiants d’école de commerce qui pourront bénéficier de cours de rattrapage. Ensuite il y a deux périodes de projets en entreprises de sept à neuf semaines vendues par l’école à des sociétés qui ont des sujets potentiels sur l’intelligence artificielle. La réalisation de ces projets sera faite par des équipes de deux à cinq étudiants. C’est un vrai projet basé sur un besoin identifié d’entreprises sur lequel les étudiants vont devoir travailler et résoudre. Fin janvier ils partent six mois en stage à l’étranger. Je discute actuellement avec des capitaux à risque et des start-up en Californie pour proposer des stages à l’étranger aux étudiants. A la fin de cette période ils auront un diplôme délivré par l’Ecole centrale de spécialisation en intelligence artificielle. On vise 20 à 25 étudiants par an dans ce cursus qui coûte 1 660 euros.
Et pour la formation continue ?
C.Z. : La troisième partie de l’école est la formation continue. Elle se divise en deux approches. Soit on s’adresse à des cadres d’entreprises pas spécialisés en technologie. On leur propose alors une ou deux journées de travail sur deux thématiques : l’IA et la « block chain ». On mettra aussi en place dans un deuxième temps des formations plus longues d’une semaine avec des rappels trimestriels. L’autre type de formation sera un cursus sur mesure pour des techniciens ou développeurs formés à des langages qui ne sont plus ceux utilisés actuellement et qui souhaitent donc se remettre à jour. Pour cette partie ce seront des tarifs de formation continue.
La Plateforme_ : financement, calendrier, équipe, localisation, demain la suite de notre entretien avec Cyril Zimmermann
Edité avec Marie Lagache