Le biographe de Jean-Claude Gaudin, Jean-Pierre Chanal, actuel directeur adjoint des services de la Mairie de Marseille, qui ne manque pas de talent, va devoir en user pour conclure l’ouvrage qu’il est en train de concocter avec son ami et maître. En 1986, lorsque Gaston Defferre avait brutalement disparu, lors d’une funeste nuit où ses « camarades » l’avaient contesté, cette plume acérée avait qualifié dans Le Provençal, Michel Pezet, leader de la fronde contre le maire, de Marseille, de « parricide ». L’avocat ne s’est jamais remis de ce procès à charge. Comment aujourd’hui, après la Bérézina subie par la droite marseillaise, qualifier celui par qui ce malheur inimaginable est arrivé ? L’Histoire retient plus facilement les désastres que les
conquêtes. Cioran ajoutait pour sa part qu’une « civilisation débute dans le mythe et finit dans le doute ».
Gaudin avait construit cette fable bon enfant qui voulait que Marseille réussisse, malgré l’hostilité ou le mépris du pouvoir central, malgré une mauvaise réputation fabriquée par les médias, malgré une conspiration permanente qui allait jusqu’à viser, en ces temps de Covid 19, le plus éminent de ses sachants. La réalité était ailleurs pourtant.
C’étaient les morts d’une rue du centre, ces marchands de sommeil élus de la République, ces écoles publiques dévastées et ces écoles privées opulentes, ces quartiers asphyxiés et ces paquebots asphyxiant, cette ville festive et ces cités peu à la fête, cette pauvreté endémique et cette prospérité insolente. Tout cela a fini par se savoir, se dire, se diffuser. Les pagnolades de Gaudin ne faisaient plus rire et plus personne ne croyait
que, c’est un exemple, « chez nous, la pollution est balayée par le Mistral ».
Il fallait ajouter à ce naufrage quelques dernières vilénies
Le roi était nu et les derniers rapports des magistrats de la chambre régionale des comptes avaient pointé les ultimes dérives : recrutement des municipaux, gestion du Samu social, emplois mal identifiés, deniers publics dilapidés. La liste est longue et non exhaustive comme « l’euphémisment » les journaux. Il fallait ajouter à ce naufrage quelques dernières vilénies. Ce fut fait avec des marchandages de camelots, des apprentis faussaires experts en procurations, des nuits et des jours de longs couteaux où l’on pratiquait le meurtre entre amis.
Le pire cauchemar, pour cette droite républicaine qui a oublié les principes pour lesquels les meilleurs d’entre elle se sont battus, est
arrivé. Elle a été balayée par un soldat inconnu, une femme médecin prête à venir au chevet de sa ville pour sauver ce qui peut l’être. Vaste
programme qui reste à préciser.
Ce toubib, familiarisé avec les urgences doit savoir qu’il est urgent de ne pas attendre. Son diagnostic posé, il faudra qu’elle puisse compter sur des équipes. Ce qui fit la force du Printemps Marseillais, peut être demain sa faiblesse. Il est né de la synthèse improbable d’idéologies, de collectifs, de citoyens divers. A-t-il pour autant gardé la pureté de son alliage premier où les partis étaient à égalité avec les associations ? Quelles concessions
avouables, ou pas, a-t-on mis ce samedi dans la balance pour obtenir le poids d’une majorité absolue ? Comment mettre fin à un système
qui, en longévité, dépasse largement la gouvernance de Gaudin ?
« Je ne trempe pas ma plume dans un encrier, mais dans la vie »
Blaise Cendrars
Michèle Rubirola a l’impérieux devoir d’imposer sa vision, son énergie, sa volonté. Elle a affirmé, dans son premier discours de première magistrate, qu’elle suivrait les recommandations de la cour régionale des comptes. On en accepte l’augure et on attend cette grande lessive du Printemps. Elle est la première femme élue dans le fauteuil de maire dans cette ville réputée rebelle. Elle peut s’installer dans l’Histoire où n’être qu’une péripétie. Elle a cité, alors que l’ombre de Gaudin venait de s’effacer par une porte dérobée, Blaise Cendrars. L’écrivain suisse, fou amoureux de la cité phocéenne,
affirmait que « Marseille appartient à qui vient du large ». Mais il assurait aussi : « Je ne trempe pas ma plume dans un encrier, mais
dans la vie ». C’est au tour de Michelle Rubirola d’écrire une nouvelle page, avec cette encre-là.