Où en êtes-vous aujourd‘hui ?
J. B. Comme je vous le disais (lire la première partie de notre entretien), nous sommes parvenus à rassurer et convaincre les familles. Si certaines mamans se posent parfois encore la question et attendent encore de longs mois voire des années car nous sommes tous différents, pour 80% des enfants cette difficulté est passée. L’école fait désormais partie du quotidien. Maintenant le défi, c’est plutôt le suivi et l’assiduité. Quand on vit dans des conditions aussi précaires avec un risque d’expulsion permanent. Chaque expulsion équivaut en moyenne à six mois de déscolarisation pour un enfant. Et le retard scolaire se creuse, il devient parfois énorme.
Outre une trêve scolaire des expulsions, vous en appelez aussi à la création de classes supplémentaires pour accueillir ces enfants ?
J. B. : Il faut en effet plus de dispositifs destinés à ces enfants. J’avais rencontré le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer quelques mois après son arrivée au gouvernement et j’avais soulevé une question. Il existe dans les textes des dispositifs qui s’appellent des Unités pédagogiques pour enfants allophones arrivants (UPEAA). Dans la classe UPEAA, il y a une enseignante qui apprend à parler, lire et écrire en français à des enfants arrivants. Sauf que la condition pour pouvoir bénéficier pendant deux ans maximum de ce suivi particulier, c’est d’être sur le territoire depuis moins d’un an. Or les enfants dont je m’occupe sont souvent là depuis longtemps, et même certains sont nés ici. Et si l’on s’en tient aux textes, ils n’ont pas le droit à ce suivi. Finalement, pour eux, il n’y a rien. Ils devraient être en classe ordinaire. Mais il y a en France, des enfants de onze, douze, quatorze ans, qui ne savent même pas écrire leur prénom…
Quelles sont ces familles ? D’où viennent-elles ?
J. B. : La grande majorité des familles que j’accompagne sont des familles Roms, essentiellement venues de Roumanie et de Bulgarie, d’autres sont issues du Kosovo, de Serbie ou de Croatie. Les Roms sont aujourd’hui entre 800 et 1000 à Marseille, la moitié sont des enfants. J’accompagne aussi d’autres familles venues d’autres pays mais le travail n’est pas le même. Les parents d’origine algérienne, irakienne, syrienne, mongole ou afghane, sont en général allés eux-mêmes à l’école. Ils sont juste en difficulté pour inscrire leurs enfants. C’est un accompagnement essentiellement administratif et je ne les vois pas de toute l’année. Ils me rappellent parfois au moment de la réinscription, mais pas toujours. Pour les familles de Roms, il y a l’analphabétisme des parents et la très grande précarité.
Combien d’enfants accompagnez-vous ?
J.B. : Actuellement en situation de précarité, environ 250 enfants, de la maternelle au lycée. Depuis le tout début de l’Ecole au présent en 2012, j’ai accompagné 460 enfants sur le chemin de l’école.
Vous qui connaissez bien ces familles. Parviennent-elles finalement à s’insérer dans la société ?
J.B. : Les familles Roms sont sédentaires dans leur pays. Ce sont des gens extrêmement pauvres qui, avec la chute des régimes communistes, se sont vus repoussés un peu plus loin des villes. Ils ont la volonté de vivre, de travailler, de s’installer. Ceux qui arrivent à s’en sortir, du point de vue de mon expérience, sont ceux qui sont allés à l’école ou dont les parents ont eu accès à l’éducation. Ils peuvent sortir de la précarité. Ça met du temps d’avoir un emploi, puis un logement. Il y a beaucoup de familles qui vivent encore dans un bidonville alors même que les parents sont en emploi. Je constate que ceux qui restent dans la rue sont les plus « en vrac », sans ressources, ils souffrent des conséquences de la précarité depuis plusieurs générations. Et pour moi, c’est très important de rester auprès de ceux-là dont peu de gens s’occupent. Car il n’y a rien pour eux.
Qui vous aide dans votre action ?
J.B : Benoit Bouchier, un jeune retraité ingénieur, m’a rejoint il y a trois ans. Il travaille bénévolement, pas à temps plein mais il fait beaucoup de choses. Il s’occupe beaucoup de l’accès l’emploi des parents. L’Ecole au Présent est financée par la Fondation Abbé Pierre depuis le départ, la Fondation de France depuis trois ans et une Fondation internationale. Grâce à ces financements privés, je garde ma liberté d’action et de parole, ce ne serait pas pareil si j’étais financée par l’Etat.
Et les collectivités locales ?
J. B. : Je ne demande pas, je suis un peu têtue et je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent. Je tiens à ma liberté. Pour l’instant, le soutien des fondations est suffisant.
Travaillez- vous avec d’autres structures ?
J. B. Oui je travaille beaucoup avec l’Ampil (Action méditerranéenne pour l’insertion sociale par le logement) de Kader Attia, la Fondation Abbé Pierre, l’association Rencontres Tsiganes. Le Rotary nous aide beaucoup. Il y a beaucoup de gens qui soutiennent L’Ecole au Présent, j’ai peur d’en oublier. Jacques-Henri Eyraud, le président de l’OM, est présent avec OM Fondation.
Demain, la suite de notre entretien avec Jane Bouvier de l’association L’Ecole au Présent
« Se battre pour pour une trêve scolaire des expulsions »
Relire la première partie :
Jane Bouvier de l’Ecole au Présent : « Avoir des idées, manifester, ce n’était plus suffisant » (1/3)
* Vous souhaitez aider l’association L’Ecole au Présent en donnant par exemple des fournitures scolaires ? Envoyez un message à l’adresse mail suivante : lecoleaupresent@gmail.com