On a l’impression que dans le monde aujourd’hui se succèdent des périodes de sécheresse, des inondations, des catastrophes naturelles. Est-ce que c’est le réchauffement climatique peut expliquer ces phénomènes ?
Loïc Fauchon : Le climat a toujours eu, des écarts, des colères, des tempêtes, des cyclones, des hurricanes, des raz-de-marée, et puis aussi, par manque d’eau, des sécheresses. Souvenons-nous il y a une trentaine d’années des très grandes sècheresses en Afrique qui ont fait des millions de morts. L’absence d’eau fait souvent plus de dégâts humains que l’excès d’eau. Il faut évidemment combattre ce que nous appelons les désastres liés à l’eau.
Le climat ne doit pas être rendu responsable de tout. Il ne doit pas être le bouc-émissaire des erreurs de l’Homme. Nous travaillons dans le cadre d’un panel de haut niveau organisé par le Secrétaire général des Nations Unies, j’en fais partie depuis une vingtaine d’années avec nos collègues chinois qui sont très actifs . On observe bien qu’une grande partie des dégâts sont souvent des dégâts dus aux erreurs de jugement de l’Homme. On construit dans le lit des rivières, au bord du littoral et puis quand les rivières sont en crue ou quand les littoraux se déchaînent, on dit que c’est le climat. Non, ça a souvent existé. L’évolution du climat aggravera peut-être ces désastres, mais regardez l’histoire de la Chine avec des inondations géantes au début du siècle. Il y en a toujours eu.
La colère des éléments naturels ne doit pas être oubliée et nous devons respecter la nature et ne pas vouloir sans cesse la dominer.
Donc, ces désastres liés à l’eau sont aujourd’hui assez bien connus. Certains pays les traitent par une politique de prévention extrêmement rigoureuse. Je pense au Japon, à la Chine, à l’Indonésie notamment, donc en Asie du Sud-Est.
On n’est plus en retard sur les sécheresses car le traitement, la prévention, est complètement différente. Et puis après, il y a la politique de réparation qui elle aussi nécessite un partage des expériences. Tout cela fait partie de notre travail de mise en relation entre ceux qui ont une réponse à un endroit et qui peut être utile aux autres à un autre endroit.
Justement le Conseil mondial de l’eau facilite les échanges et les partages d’expérience. L’innovation sera l’un des sujets forts du prochain Forum. Expliquez-nous comment vous travaillez ces innovations ? Comment vous les partagez ?
Loïc Fauchon : C’est de la responsabilité de beaucoup d’organisations internationales d’être un lieu de circulation des solutions. L’innovation aujourd’hui, n’est plus limitée aux pays qui savent, aux pays qui ont des moyens. L’innovation court le monde. Ce n’est pas un hasard si le dernier Grand Prix de l’Eau a été attribué à un jeune ingénieur du Niger, qui avait mis au point un système d’une extrême simplicité pour faire des arrêts d’eau pour l’irrigation à partir de son téléphone portable. On ne l’avait pas fait au Nord, on l’a fait au Sud. Et le Sud a partagé avec le Sud. Et donc, notre prochain Forum a la volonté à la fois d’être politique – d’où un sommet de chefs d’État sur lequel nous travaillons avec le président du Sénégal – et de l’autre côté d’être un lieu concret, un lieu de terrain pour apporter les réponses que ceux qui n’ont pas accès à l’eau attendent.
Ils savent que les solutions existent, mais ils veulent les réponses pour eux, sur le terrain. Ça peut concerner la qualité des eaux, des forages plus profonds, le recueil des eaux de pluie pour disposer d’eau potable. Chacun va apporter sa réponse. Et ses réponses, nous allons très concrètement les bâtir en vraie grandeur autour du site du Forum. De telle sorte que l’ensemble des participants – les délégués, les visiteurs, on en espère 120 000 – puissent aller toucher ces réponses de la main et se dire « Cette réponse est adaptée à mon pays, à mon village; à mon exploitation agricole.» Si nous réussissons les deux – c’est-à-dire faire avancer la conscience politique et faire partager les réponses, et donc les innovations – nous aurons rempli notre rôle.
Il y a aussi la question des financements. Puisqu’il ne suffit pas d’innover, il faut aussi financer ces innovations. Quelles sont les réponses que vous pouvez apporter ?
Loïc Fauchon : Alors évidemment, il faut beaucoup plus d’argent à consacrer à l’eau. Ce qui nous avait amenés à une époque à dire, « les robinets avant les fusils » et « les budgets civils avant les budgets militaires ». Après quand on rentre dans le sujet, est-ce que ce sont les porteurs de projets qui doivent déterminer les financements ? Ou, est-ce que ce sont les banquiers, les organisations financières qui doivent dire à quoi nous consacrons l’argent ? Aujourd’hui il y a un déséquilibre. Ce sont les financeurs qui règlent la question de l’offre financière. Nous voulons que la demande soit mieux entendue, soit mieux prise en compte. Je ne vais pas rentrer dans des solutions techniques. Dans tous les cas, il nous faut plus d’argent pour l’eau et il faut de l’argent plus près du terrain qui corresponde aux besoins essentiels des populations.
Merci Loïc Fauchon de nous avoir reçus au Conseil Mondial de l’Eau, à Marseille, et rendez-vous donc à Dakar pour le prochain Forum.
Loïc Fauchon : Vous y serez tous les bienvenus ! Merci.
(*) Depuis notre entretien, réalisé le 6 octobre, le Sénégal et le Conseil Mondial de l’Eau ont annoncé dans un communiqué commun le report du 9e Forum Mondial de l’Eau prévu à Dakar, à la date du 21 au 26 mars 2022.