Identifiée par l’État comme une solution majeure pour décarboner en France l’industrie et la mobilité lourde, adossée par ailleurs au « défi assez extraordinaire qui est de faire de Fos-Berre-Marseille le premier hub d’énergie décarbonée de Méditerranée », pour reprendre les mots de Régis Passerieux, commissaire à la transition industrielle, écologique et énergétique de la zone Fos-Berre, la filière de l’hydrogène “durable” bénéficie en région d’un élan formidable, par-delà les interrogations (les coûts, la dépendance à l’électricité et au nucléaire notamment) qui continuent d’escorter sa montée en puissance.
Un constat qu’ont parfaitement illustré les débats extrêmement riches, variés, passionnés et passionnants, initiés à l’occasion du 2e forum Nos énergies en questions(s), organisé la semaine dernière par Gomet’Media et ses partenaires France Nature Environnement, Centrale Méditerranée et le réseau des Grandes écoles de la région Sud, sur le campus de Centrale et consacré au nucléaire et à l’hydrogène.
On pressent que l’hydrogène sera le maillon nécessaire (Régis Passerieux)
« On sait maintenant, on pressent que pour atteindre nos objectifs, l’hydrogène sera le chaînon nécessaire », a souligné Régis Passerieux. Un constat préliminaire appuyé par Fabien Anselmet, professeur émérite à Centrale Méditerranée, qui a pointé « une augmentation assez notable des besoins envisagés, puisqu’on va pratiquement doubler pour passer de 800 kilotonnes par an actuellement à 1,6 million de tonnes par an à l’horizon 2035. » Avec une prédilection affirmée pour l’hydrogène obtenu par électrolyse de l’eau avec de l’électricité nucléaire.
C’est dans ce contexte que les acteurs économiques et industriels de la région se positionnent de manière forte et, souvent, comme précurseurs. « Les premiers projets, on a commencé à les accompagner dès 2016, avant le grand plan Hulot de 2018, quand l’hydrogène était encore quelque chose de très confidentiel », a rappelé Sylvain Brémond, directeur général adjoint de Capenergies, un réseau de 520 membres (grands groupes industriels, PME, start-up, centres de recherches, collectivités…) au service de la transition énergétique dans les territoires. « On a accompagné depuis une soixantaine de projets ».
Pourquoi un tel foisonnement, selon lui ? « On est dans une région avec le pôle industriel, à Fos-sur-Mer, le plus important de France avec Dunkerque. Ça fait de nous les cancres de la classe en termes d’émissions de gaz à effet de serre mais aussi ceux qui ont devant eux un chantier immense à engager. Autre caractéristique, on a une région avec une façade maritime importante et, évidemment, des enjeux de décarbonation des transports maritimes tout aussi importants. On bénéficie par ailleurs d’infrastructures routes et logistiques majeures. Enfin, dernière caractéristique forte de la région, une géologie, autour de Manosque, avec des qualités salines et des formations propices à l’accueil dans de bonnes conditions de stockage d’hydrogène de manière massive. Ça nous donne une opportunité unique de développer tout un écosystème en ayant en mains un atout majeur car cette question du stockage est primordiale ».
Hy2Gen, un projet à plus de 1,5 milliard d’euros
Parmi ces projets, l’un des plus importants est porté par Hy2Gen (associé dans un consortium avec H2V depuis le printemps dernier) et vise à créer sur la ZIP de Fos-sur-Mer, d’ici 2030, une usine de production de carburant “durable” (e-SAF pour électro-Sustainable alternative fuel) à partir d’hydrogène bas carbone produit sur site et de CO2 capté dans la région. Et ce, à destination du transport aérien. « La réglementation européenne impose qu’à partir de 2030 un certain volume de carburant renouvelable devra être incorporé dans les réservoirs des avions. Très concrètement, nous, on crée un carburant de synthèse pour l’incorporer ensuite dans le carburant fossile et créer ainsi un nouveau carburant, durable », détaille Fabrice Orsini, le directeur du projet de Fos-sur-Mer.
Un projet énorme, « à plus de 1,5 milliard d’euros. Ça fait 50 ans qu’on n’a plus fait de projets industriels, hormis dans le nucléaire, sur des montants pareils en France. » Un projet qui trouve naturellement sa place dans la région. « On a, à Fos, des raffineries qui nous permettent déjà de faire le blending, c’est-à-dire le mélange entre les carburants de synthèse qu’on va produire et le carburant fossile, salive Fabrice Orsini. Et par ailleurs, on pourra transporter ce blend à moindre effort, si je peux dire, puisque les infrastructures logistiques, notamment les pipelines, sont déjà en place, qui permettent d’alimenter tous les aéroports du quart sud-est jusqu’à Genève. » De quoi rêver en grand d’une filière de production française de carburants durables.
HSL, la petite molécule qui monte, qui monte…
Autre projet en vue lors de ce forum énergie, celui porté par HSL Technologies (ex-Hysilabs), l’entreprise aixoise basée au Technopôle de l’Arbois, et son produit phare, l’hydroxyde, une molécule « qui permet de transporter l’hydrogène comme un liquide stable et sécurisé depuis le site de production, puis de relarguer ce même hydrogène dans sa forme gazeuse une fois sur le site de destination », explique Daria Matignon, accounts coordinator chez HSL.
Avec des débouchés dans les solutions de stockage par exemple, mais d’abord et avant tout, évidemment, dans les transports. « La vision de l’Europe, souligne encore Daria Matignon, c’est d’avoir en 2030 environ 10 millions de tonnes d’hydrogène produites en Europe et 10 millions importées. » Un marché énorme, qui aiguise les appétits. « On ne sait pas encore, à ce jour, comment transporter de si gros volumes. Mais nous pensons fermement que nous pouvons vraiment faire partie des solutions. »
Des solutions, c’est ce sur quoi travaillent également des grands groupes comme GRDF et Engie. Chef de projet gaz, nouveaux gaz hydrogène, R&D et gazéification, Cédric Jolivet a notamment mis en lumière les travaux menés par GRDF pour développer « des réseaux de distribution 100 % hydrogène pour alimenter des clients industriel et mobilité. Avec l’objectif, à horizon 2026-2027 d’avoir deux à trois projets de démonstrateurs territoriaux. »
Directrice du développement hydrogène d’Engie, Diane Defrenne a, elle, mis en avant, entre autres projets multiples portés par le groupe énergétique français, celui baptisé “Hygreen“, à côté de Manosque, qui vise à produire de l’électricité solaire et à en transformer une part croissante en hydrogène vert. « Avec un projet comme HyGreen, d’une capacité de 30 000 tonnes de production d’hydrogène renouvelable par an, on peut décarboner jusqu’à 500 000 tonnes de productions industrielles », a-t-elle souligné. Une autre illustration du grand foisonnement à l’oeuvre en région, dans un paysage énergétique en pleine mutation.
Liens utiles :
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