Ministre de la Culture entre mai 2017 et octobre 2018 dans le premier gouvernement d’Édouard Philippe, Françoise Nyssen a repris la présidence du directoire d’Actes Sud depuis le mois de mai 2019. Une maison d’édition fondée par son père Hubert Nyssen en 1978, et dont elle a assumé la direction entre 1987 et 2017. Alors que le secteur de l’édition se trouve frappé de plein fouet par la crise sanitaire liée à l’épidémie de coronavirus, elle évoque pour Gomet’ les perspectives de cette entreprise emblématique du paysage culturel arlésien.
Vous avez pris une décision forte le 19 mars dernier, en suspendant les activités d’Actes Sud. La gravité de la situation l’exigeait ?
Françoise Nyssen : La proposition a été faite de cette suspension momentanée d’activité tout simplement car l’écosystème est grippé dans l’édition. Les librairies ont été fermées, et à partir de ce moment-là, il n’y a plus aucun chiffre d’affaires. Les distributeurs ne distribuent pratiquement plus, c’est également compliqué pour les imprimeurs. Dans cette situation, notre seule préoccupation est de pouvoir sortir de cette période le plus fort possible, malgré le désastre économique. C’est pourquoi nous avons décidé de recourir à ce dispositif, en maintenant pour autant le paiement des droits des auteurs, qui intervient toujours au deuxième trimestre de l’année.
Quelle gestion avez-vous mise en place dans ces circonstances très difficiles ?
Françoise Nyssen : Nous avons maintenu une cellule pour assurer le paiement des salariés et la gestion de l’ensemble Actes Sud, qui comprend les éditeurs associés et les dix libraires pour un total de 350 salariés. Il faut que l’on puisse assurer leur situation, et déjà préparer le retour en négociant avec les banquiers. Contrairement à ce que l’on croit parfois, l’activité de l’édition ne dépend que de ce qu’elle vend. Il y a quelques aides, mais elles représentent moins de 1 % du bilan d’Actes Sud. L’édition peut être une activité fragile, qui nécessite un fond de roulement important, beaucoup d’investissements. Il faut donc une économie bien gérée pour tenir.
Les mesures de suspension de l’activité permettront-elles selon vous de sauvegarder les 350 emplois ?
Si l’on est pas solidaires dans cet écosystème, on laisse rentrer les prédateurs comme les plateformes
Françoise Nyssen
Françoise Nyssen : Évidemment. C’est l’objectif pour que tout le monde puisse se sortir dignement de cette affaire-là. Après, je pense qu’il faudra que chacun repense sa façon de travailler. On ne pourra pas faire l’économie d’une véritable réflexion sur comment on s’organise, comment on se structure, comment on pense les différents métiers. Il faudra être très inventif, attentif et réactif là-dessus. Nous sommes une maison d’édition, il y a des auteurs, des libraires, des bibliothécaires, des journalistes. Tout cela doit vivre ensemble. Si l’on est pas solidaires dans cet écosystème, on laisse rentrer les prédateurs comme les plateformes qui, elles, sont complètement dématérialisées, offshore, et qui n’ont pas comme souci ni l’humain, ni le territoire.