Il est des semaines où les faits, et les commentaires qui vont avec, se percutent plus fort que d’habitude. Il en va ainsi de la glorieuse, et excitante certitude, de ce sport d’informer. En cette fin novembre, où les autorités nous ont annoncé une atténuation de notre confinement, on a vu, particulièrement dans l’aire marseillaise, s’entrechoquer des images et des informations dans un joyeux désordre, une hiérarchisation mise à mal, une mauvaise foi affichée sans vergogne. Sur les réseaux sociaux, des postillonneurs quasi professionnels, ont répandu leur fiel avec une assurance sans risque, dans une surenchère à laisser sans voix le docteur Goebbels lui-même. Difficile dans ce maelström anarchique de distinguer le bon grain de l’info, de l’ivraie des faits, qui, tout en restant têtus, se sont retrouvés secoués dans un shaker populiste et poujadiste inédit.
Deux informations servies à chaud, sans le glaçon salutaire de la réflexion, méritent un zoom avant. Une manifestation d’abord, réunissant sur le Vieux-Port, le monde de l’hôtellerie, de la restauration et, au cas où on s’endormirait sur nos lauriers sanitaires, le monde de la nuit. Ce matin-là, sur BFM-TV, on voyait ainsi témoigner de sa désespérance, le patron d’un restaurant du Vieux-Port où l’on pratiquait encore en septembre dernier une distanciation sociale des plus légère et des moins contraignante. Le petit Tintin reporter avait sans doute été léger sur la vérification de sa source qu’il faut, comme on le dit dans le métier, recouper, mais d’abord vérifier. Comme furent survolés, par des objectifs complaisants, les centaines de professionnels et leurs calicots revendicatifs. Avec notamment une jolie formule onirique – « la nuit doit revoir le jour » – que n’aurait pas repoussée Baudelaire, Verlaine ou Rimbaud. Même si elle avait quelque chose de surréaliste, en ces temps où les jours sont comptés, pour tous ceux qui se battent en première ligne contre la pandémie. Là encore on aurait pu interroger cette réalité où des serviettes immaculées défilaient aux côtés de quelques torchons improbables. On a beaucoup parlé, ce jour-là, du triste état des chiffres d’affaires, de la qualité du service, de l’authenticité des produits, de la solidarité avec les producteurs locaux… Parlait-on vraiment de Marseille ? Un ange ou une armée d’anges sont passés avec ces affirmations, mais peu les ont vus. Le brouhaha a fait sens, sans être interpellé.
On a aussi parlé d’abondance des montagnes sacrifiées, oubliées, martyrisées. L’heure était grave puisque les stations seraient ouvertes, mais pas les remontées mécaniques qui permettent de coller sa fesse à celle de l’autre dans une distanciation aussi relative que le souci de ne pas propager un virus. Mais là c’était grave, puisque c’est le peuple laborieux qui se trouvait humilié, cantonné, amputé. Enfin une partie du peuple quand on sait que moins d’un Français sur dix a le privilège de respirer l’air des cimes. Chiffre sans doute plus minime encore à Marseille où l’observatoire de la solidarité révèle que neuf arrondissements font parties des dix les plus pauvres de France. Bon, on arrête là, il ne faudrait pas gâcher le plaisir de dénoncer la paille des contradictions gouvernementales (qui sont patentes), en opposant la poutre d’une conscience citoyenne à géométrie variable.
Il faudra plus que du courage et une bonne maire, pour sortir du long hiver que subit Marseille
Comme le disait récemment Edgar Morin au Monde, à propos de faits autrement plus sérieux – la fanatisme religieux et le terrorisme- « Tout cela mérite non imprécation, mais examen et réflexion. » La barre est sans doute un peu haute, pour certains. Dommage, car outre cette gesticulation braillarde il y avait matière à réflexion ces derniers jours. A commencer par la dure réalité à laquelle, jour après jour, est confrontée, en cet automne maussade, le Printemps marseillais. Ses élus, souvent inexpérimentés, font l’expérience du « pays réel ». De services municipaux en capilotade même s’il est périlleux de le dire trop fort, d’écoles à l’agonie qui datent de « Defferre jeune », comme l’a affirmé avec humour un élu, d’une opposition en ordre de bataille, pour préparer sa revanche sans se préoccuper outre mesure de l’urgence et des situations de péril. Il faudra plus que du courage et une bonne maire, pour sortir du long hiver que subit Marseille.
L’Institut Montaigne, toujours dans cette semaine où la meute a été l’arbre qui a caché la forêt des problèmes, a publié une étude commandée par une centaine de chefs d’entreprise. Où il est dit que la gouvernance de la Métropole doit être représentative des territoires et de leurs enjeux, où il est rappelé qu’il faut une politique ambitieuse des transports en instaurant pour partie la gratuité, où il est encore affirmé que les citoyens doivent être associés aux grands projets d’investissement. Pour parodier d’autres vœux pieux, « il faut que l’espérance revoit le jour ». Nous nous égarons là, car à Marseille on n’a pas l’habitude de respecter les priorités. Et comme le disait Héraclite cité par Morin : « Eveillés, ils dorment ».