Le 8 mai prochain on célèbrera deux flammes. Celle qui rappellera, sous l’Arc de Triomphe à Paris et partout en France, la capitulation en 1945 de l’Allemagne nazie. Celle qui débarquera sur le Vieux-Port du Belem, un sublime trois mâts construit à la fin du XIXe pour livrer du cacao à la chocolaterie Meunier. Il arrivera de Grèce où la flamme olympique lui a été confiée pour rejoindre l’Hexagone. A partir de là, des centaines de porteurs, honorés autant qu’émus, sillonneront le pays (et l’outremer) pour, après 68 étapes, rallier Paris et embraser la vasque qui à partir du 26 juillet éclairera les Jeux.
Alors que par ailleurs, on se déchire pour de bonnes ou d’exécrables raisons sur l’avenir de l’Europe, cette double célébration met du baume au cœur de tous ceux qui croient encore à la Paix, à l’abolition des frontières, à l’humanisme et à l’universalisme. En attendant cette heureuse perspective appelée par tous les femmes et les hommes de bonne volonté, on s’étonnera des voix qui s’élèvent ici et là pour s’adonner à un drôle de jeu. Olympique dans son ampleur, il consiste à dénigrer les JO. En bon français on appelle cela le « bashing » et à Marseille il est, si l’on peut dire, compétitif.
Dans cette ville « on respire content »
Gustave Flaubert
On entend ainsi régulièrement quelques râleurs impénitents déplorer les investissements consentis pour doter la ville d’une marina nautique olympique en lieu et place de la base du Roucas Blanc. Les mêmes assurent mordicus que Marseille a toujours tourné le dos à la mer, que les sports de voile ne font pas partie de ses traditions, que ces activités sont dédiées à une élite. Il faut qu’ils relisent d’urgence Flaubert qui de son escale phocéenne disait en découvrant le littoral que dans cette ville « on respire content ». Ou Stendhal qui décrivait avec gourmandise le Vieux-Port : « Ce quai est peuplé de matelots et de perroquets, et les beauprés des bâtiments arrivant d’Amérique viennent casser les vitres du premier étage des maisons. » Sans évoquer la jubilation d’une Simone de Beauvoir rejoignant la Corniche depuis son lycée où elle exerça un an durant. Ou encore l’ironie de Marcel Pagnol qui recommandait à ceux qui n’aimaient pas naviguer « d’acheter une île ».
La municipalité parie sur 150 000 spectateurs pour l’arrivée du Belem. Beaucoup plus se retrouveront cet été sur la Corniche pour admirer entre rivage et phare du Planier, planches à voile, kite surf, dériveurs ou multicoques. 330 athlètes et 40 nations prêts à faire des vagues et devenir les seigneurs des anneaux… olympiques.
Bon il se trouvera bien quelques empêcheurs de naviguer en rond pour déplorer que la Corniche soit envahie ces quelques jours-là (du 28 juillet au 8 août) par des piétons l’œil rivé sur cette baie exceptionnelle. Les tenants invétérés du plancher des vaches pourront se consoler au Vélodrome où dix matchs sont prévus pour le tournoi olympique de football (24 juillet au 6 août).
Les champions anti-jeux toutes catégories sont néanmoins pléthore dans notre bonne cité. Et leurs arguments d’une mauvaise foi insigne multiformes.
« A Marseille, c’est pas pareil ! »
Il y a ceux qui s’interrogent sur l’insécurité d’une ville dont le cosmopolitisme les inquiète. Ils oublient qu’il est dans ses gènes. Elle fut fondée par les Phocéens venus s’abriter dans la calanque du Lacydon et y créer un comptoir nécessaire à leurs activités marchandes. Selon la légende, elle prospéra même après le mariage d’un commandant grec, Gyptis, venu de Foça (région de Smyrne en Turquie) avec Protis, fille d’un roi Celto-Ligure. Il y a ceux aussi qui jugent l’ambition olympique incompatible avec la multiplicité des travaux en cours, l’état déplorable de certaines rues, l’insuffisance des réseaux de transports, les lacunes en matière d’hébergement ou dans le même temps l’inflation dangereuse d’Airbnb, le manque de mutualisation des moyens des territoires… liste sans fin. Il y a ceux enfin qui prétendent à longueur de polémiques que tout ça tient en une phrase : « A Marseille, c’est pas pareil ! »
On prête à feue Edmonde Charles Roux cette sentence : « Les Marseillais disent des choses épouvantables d’eux-mêmes. Ils se méprisent de les dire et vous haïssent de les croire. » Et si les JO les faisaient mentir et les réduisaient à leurs tristes galéjades. Que la fête commence.