En ces temps lointains, les choses de ce monde étaient d’une simplicité biblique. Il y avait ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas. Un ancien mineur de Gardanne, retraité à Fuveau, nous expliquait ainsi que les communistes, lors de l’enterrement d’un de ceux qui avait usé ses poumons au fond des puits, restaient sur le parvis de la jolie église qui fait face à Saint Victoire, pendant que les autres suivaient l’office sous les voutes consacrées. Luc Ferry, l’ancien ministre de l’Education, résumait bien cette singularité, tout récemment : « Il y avait, à la fin des années 60, deux églises. Les Catholiques qui priaient pour le salut céleste, et le PC qui appelait au salut terrestre ! »
Dans l’aire marseillaise, ce parti centenaire a longtemps été la figure de proue de la gauche, et le parti dominant dans la classe ouvrière. Tant et si bien que son adversaire le plus motivé fut longtemps Gaston Defferre, un bourgeois héraultais, venu faire carrière d’avocat dans cette ville rebelle, qui s’opposa avec force au PC qu’il dut pourtant accepter, in fine, comme partenaire.
Preuve que le PC fut longtemps une force vive, son candidat Georges Marchais, après avoir rempli le Vélodrome lors d’un meeting mémorable, arriva en tête du premier tour à la présidentielle de 1981, devant le sortant Valéry Giscard d’Estaing et … François Mitterrand. On connait la suite et le déclin lent mais irréversible de cette formation qui a constamment animé les luttes sociales, faisant du Vieux Port un des baromètres de l’opinion publique du pays.
Mais ça c’était avant.
Aujourd’hui, on voit poindre au plan national un funeste présage.
Aujourd’hui, on voit poindre au plan national un funeste présage. Les sondeurs ou des groupes de réflexion, comme la Fondation Jean Jaurès, annoncent, comme sérieuse, l’hypothèse d’une élection présidentielle emportée par Marine Le Pen. Il en serait fini du plafond de verre, du front républicain, du vote utile.
A regarder Marseille et les Bouches-du-Rhône, à observer les manœuvres en cours pour les élections régionales, à suivre un certain nombre de faits de société et quelques faits divers, on peut légitimement s’interroger sur ce qui, il y a quatre ans, était tout à fait inimaginable.
Prenons ainsi les épisodes qui se sont succédés, depuis l’avènement des gilets jaunes, jusqu’à l’émergence de la Covid. Le complotisme, les fack-news, les interpellations haineuses, ont trouvé un terreau pour se propager, sans qu’aucune digue démocratique ne puisse les endiguer. Une porosité patente existe désormais entre l’extrême droite et la droite la plus extrême, sans les pudeurs de gazelle qui faisaient naguère les accords souterrains avec le FN, et des déclarations outragées à leur évocation. La vague LaRem s’est brisée sur la réalité locale, et on a peine à croire que sept circonscriptions sur seize du « 13 », ont été conquises en 2017 par des supporters d’Emmanuel Macron. La gauche malgré l’appel à l’unité et les scènes pathétiques d’une récente tentative de rassemblement, n’ira pas en rangs serrés sauver l’actuel locataire de l’Elysée. Enfin la classe ouvrière, qui a quasiment été dissoute avec l’affaiblissement du PC qui la représentait, et la désindustrialisation d’une grande partie de notre économie, se reconnait plus dans les diatribes assumées du Rassemblement National, que dans les divagations bolivariennes de quelques insoumis.
Les élections du mois de juin seront donc l’étape clé, avant le sprint final de 2022
Les élections du mois de juin seront donc l’étape clé, avant le sprint final de 2022 où Macron devra se justifier d’un bilan, quand Le Pen n’aura qu’à concrétiser un élan. Comme on le dit au Vélodrome, ce n’est pas forcément celui qui a eu la possession de la balle pendant tout le match, qui gagne. Renaud Muselier sera-t-il pour autant l’arbitre de cette confrontation à venir ? Le gaulliste a dans sa poche le carton rouge qui peut exclure du jeu la fille du plus antigaulliste des opposants. Il sait que dans son camp, certains spéculent déjà sur l’éventualité de faire l’appoint à l’assemblée nationale pour que Mme Le Pen puisse s’appuyer sur une majorité de gouvernement. Il hésite pour autant à faire alliance avec le parti du Président dont les supporters se sont évanouis dans la nébuleuse numérique, faute d’une organisation militante enracinée et « présentielle », comme on le dit désormais pour l’enseignement. Il a opportunément repris en main la fédération départementale des Républicains. Mais pour avoir dansé longtemps avec l’ancien maire sur le thème de « je t’aime moins non plus », et goûté la cigüe de la trahison, le médecin n’ignore pas qu’il devra se protéger de ses amis, avant de se charger de ses ennemis. Tout est à écrire donc et une partie de l’histoire de France se jouera ici dans quelques semaines. Jean Giono écrivait : « La Provence dissimule ses mystères derrière leur évidence ». A moins qu’un hussard de la République démente l’écrivain.