« Le porno est le reflet de notre société. On est dans une société sexiste, donc le porno l’est aussi ».C’est en tout cas ce que pense Robin d’Angelo. Journaliste indépendant, il a infiltré le milieu de la pornographie amateur qu’il raconte dans son livre « Judy, Lola, Sophia et Moi ».
Des propos confirmés par Ludivine Demol, doctorante à l’Université Paris 8 Vincennes, spécialisée dans l’influence de la consommation de la pornographie sur la construction identitaire genrée des adolescents. « Le porn est une production culturelle comme une autre. Il dit exactement la même chose que les films que l’on voit à la télé ou au cinéma, mais c’est abordé d’une manière différente ». À savoir plus directe, en montrant les détails de l’acte sexuel et notamment la pénétration, quand les autres films se cantonnent souvent à des plans plus suggestifs. Le rapport de domination homme/femme, d’homme puissant et viril et de femme objet, omniprésent dans le porno, ne s’arrête donc pas à ce type de production. On le voit aussi dans les publicités, les téléfilms, les blockbusters. La saga James Bond est montrée en exemple, où tous les personnages féminins tombent dans les bras du héros à chacun des épisodes. « C’est dangereux de cantonner les rapports de domination simplement à l’industrie pornographique », ajoute la doctorante.
Quels sont les impacts de la création et la diffusion de contenus pornographiques sur la société, et notamment sur les jeunes ? Ce domaine respecte-t-il la dignité humaine et des femmes ? Débats sur ce thème à @kedgebsMRS – @LudivineDeFe @HeForShe pic.twitter.com/AcAqHorrzf
— Gomet’ (@Gometmedia) 28 janvier 2019
Une domination identique à tous les secteurs
Outre la supériorité de l’homme sur la femme, le cœur du porno repose également sur une autre domination, celle du réalisateur sur les acteurs. « Ce rapport de domination, c’est celle du patron sur l’employé. Elle existe partout. Parfois, on doit faire des heures supplémentaires sans en avoir envie. Dans le porno aussi, les actrices doivent faire des choses alors qu’elles n’en ont pas toujours l’envie », souligne Ludivine Demol. « On parle de consentement sexuel, on ne peut pas dire que c’est un business comme les autres ! », s’insurge Robin d’Angelo.
Lors de son immersion au cœur de la pornographie amateur, il raconte avoir été témoin de moments où des actrices ne voulaient pas tourner certaines scènes, jugées trop violentes. « Elles ont fini par le faire par rapport à l’argent qui était en jeu. Quand on est mis dos au mur, tout le monde n’a pas la possibilité de dire non », met-il en avant. Nomi, ancienne actrice pornographique, veut nuancer les paroles du journaliste. « Tu généralises. La pornographie ce n’est pas ça. En 20 ans de carrière, on ne m’a jamais obligée à faire quoi que ce soit ».
Quels changements depuis 20 ans ?
Ludivine Demol insiste sur son idée que la pornographie est un secteur économique comme un autre. « Je suis d’accord sur le fait que c’est horrible, mais c’est une situation semblable aux autres secteurs. En 20 ans, le milieu pornographique a changé et a suivi les tendances d’autres domaines. Par exemple, celui de la confection de vêtements. On produit moins en France aujourd’hui, on délocalise car la main d’œuvre est moins chère ailleurs et plus exploitable. On retrouve ça aussi dans l’industrie pornographique ». La doctorante fait notamment référence au fait que de plus en plus d’actrices viennent des pays de l’Est. Confrontées à beaucoup de misère, elles sont plus enclines à accepter certaines propositions car « elles peuvent gagner en quelques heures de tournage l’équivalent d’une semaine en tant que caissière ».
Peut-on également parler de changement dans le contenu même des films pornographiques ? Plusieurs interventions du public notent le caractère plus « hardcore » de certaines scènes aujourd’hui, une violence davantage mise en avant. « C’est vrai que dans le porno d’avant, il y avait des fantasmes moins bizarres que maintenant. Le porno n’est plus le même », évoque Nomi. C’est l’une des raisons qui l’a poussée à mettre fin à sa carrière. Robin d’Angelo n’est pas exactement du même avis. « On n’avait pas accès au porno de la même façon auparavant. Le plus trash était dans les sex shop, il fallait aller le chercher. Désormais, on peut l’avoir simplement avec internet. Je ne suis pas sûr qu’il y ait une véritable différence sur ce point ».
Vers une pornographie féministe ?
Un porno « féministe » émerge en tout cas ces dernières années. Il repose sur une volonté de diversifier les contenus afin de ne pas les cantonner aux représentations habituelles justement sexistes – et bien souvent imaginées pour plaire avant tout aux hommes – que l’on trouve dans la pornographie. Et de revoir les conditions de travail des actrices pour casser cette domination patron/employée. Cela passe, par exemple, par l’implication des protagonistes dans le déroulé des shootings. « Mais c’est une niche, à part Erika Lust (ndlr, l’une des pionnières de la pornographie féministe), personne n’en vit correctement », souligne Ludivine Demol.
Un premier pas vers la déconstruction de l’image du porno ? Changer seulement cette image véhiculée par le porno n’aurait pas une grosse incidence sur la société d’après les intervenants. C’est de façon globale que doit émerger le changement. « Il faut s’attaquer à la déconstruction des sexualités féminines et masculines. Les films pornographiques viennent renforcer l’image de domination et de sexisme, mais c’est une goutte d’eau parmi tant d’autres » conclut la doctorante.